Temps de lecture : 6 min
« Les Français boudent les fruits et légumes, les producteurs inquiets », titrait Les Échos en janvier denier. Par ailleurs, fin 2022, un rapport du Sénat sur la compétitivité de la Ferme France, rappelait l’ampleur de la perte de compétitivité de l’agriculture française qui impacte entre autres le secteur des fruits et légumes. 28 % de notre consommation de légumes est importée. Je suis allé à la rencontre de Fabrice Renaudeau, le Directeur Général de Bonduelle Frais pour comprendre le modèle que défend l’industriel et comprendre comment compte-t-il s’y prendre pour contribuer à végétaliser un peu plus notre alimentation.
Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours ?
Origine de l’ouest de la France, j’ai un parcours de plus de 30 ans dans la grande consommation en France et en Europe au sein de grands groupes. À la recherche d’une entreprise où je pourrai vraiment avoir un impact personnel, mon cheminement va m’amener à intégrer Bonduelle en 2015. Ce qui allait faire la différence, le lien fort avec l’amont agricole. Aujourd’hui, je suis Directeur Général de Bonduelle Frais pour la France et le Bénélux, avec 7 sites en France et 1100 collaborateurs.
Pouvez-vous nous présenter le groupe ?
Bonduelle est un groupe industriel familial français qui pèse 2,2 milliards de chiffre d’affaires et qui compte 11 000 collaborateurs. Nous avons deux grandes activités avec deux modèles économiques différents. D’un côté, Bonduelle Long Life (la conserve et le surgelé) via un modèle d’agriculture de campagne extensif et un principe de récoltes 1 fois par an. De l’autre, Bonduelle frais avec un modèle agronomique de maraichage et des récoltes quotidiennes via un réseau de 230 maraichers.
Les entreprises familiales ont-elles vraiment un coup d’avance ?
Dans un monde d’incertitudes et de grande volatilité, c’est évident. Nous sommes passés d’un monde dans lequel l’intensité de la performance faisait qu’on avait ou pas un succès à travers la notion de croissance et de profit. Aujourd’hui, c’est plutôt la qualité et la résilience qui font la performance. Le modèle d’une entreprise familiale permet d’intégrer la notion de temps à la performance et de ne pas être constamment sous le diktat du temps court. Dans une entreprise familiale, la mission, la vision et les valeurs sont aussi davantage ancrées et incarnées.
Quel modèle agricole défendez-vous chez Bonduelle ?
Bonduelle n’est pas un exploitant agricole et ne possède pas de terres en France. Notre modèle s’appuie sur 3 piliers :
- La contractualisation annuelle avec des prix garantis et une visibilité pour les agriculteurs,
- La mise en place d’une charte agronomique depuis 1996, signée par 230 producteurs,
- L’agroécologie : notre objectif est que 80% de nos producteurs s’inscrivent dans le modèle d’agriculture régénératrice en 2030. À ce titre, nous sommes partenaires de « Pour une Agriculture du Vivant ».
L’enjeu pour nous est de bâtir un modèle économique à la fois performant et responsable, prônant la diversité c’est à dire adapté à chaque exploitation, chaque type de culture et chaque terroir.
La Famille Garcia dans l’Aube, 3 générations de maraichers en contrat avec Bonduelle depuis 23 ans.
Et le bio dans tout ça ?
Le bio et le « sans résidu de pesticide » représente environ 15% de nos ventes de salades 4ème Gamme en valeur. Chez Bonduelle, nous croyons à la pluralité des modèles et en particulier à l’agriculture régénératrice qui va au-delà du bio grâce à une vraie vision systémique. Au final, l’actif le plus important, ce sont nos sols.
Le bio n’est-il pas plus facile à raconter ?
Nous n’avons pas assez expliqué les avantages spécifiques et nous avons trop laissé le consommateur se projeter dans un idéal vague du bio. Le bio est victime de la facilité qu’il donnait aux marketeurs et communicants de prétendre faire de bonnes choses.
Côté agriculture régénératrice, l’enjeu est double : embarquer les exploitants agricoles et s’adresser au consommateur pour permettre de le transformer en un bénéfice pertinent et attractif. Et ça, nous n’y sommes pas encore.
Comment vous situez-vous par rapport au modèle coopératif ?
Le principal avantage d’une coopérative, c’est d’avoir le producteur au centre. Très orientée vers l’écoulement de la production, elle peut manquer parfois de liens et de compréhension avec l’environnement consommateur. De notre côté, notre force est d’être très clairement orienté consommateur. Nous devons avant tout répondre à leurs attentes tout en tissant des relations de long terme avec nos producteurs.
Près de 2/3 des légumes en conserve et surgelés en France sont importés ! Qu’en pensez-vous ?
Au niveau global de la filière légumes, les chiffres sont en effet inquiétants. C’est lié à la faiblesse de notre compétitivité, aux rentabilités des exploitations agricoles et des industriels, mais aussi aux effets démographiques . Depuis 2010, l’excédent agroalimentaire a été divisé par deux et 40 % des légumes que l’on consomme en France sont importés.
C’est un peu différent dans le monde du frais. Notre modèle agro-industriel chez Bonduelle Frais est 100% construit sur la souveraineté agro-industrielle. Les produits vendus en France sont tous transformés dans nos cinq sites de production en France. Si notre sourcing n’est pas à 100% français, plus de 80% des salades en été sont produites en France et 90% des crudités proviennent de France. Notre blé dur (utilisé pour nos taboulés) est français et notre riz provient de Camargue.
Mais cet approvisionnement français a un coût. Comment l’intégrez-vous de façon performante ?
Tout cela est possible parce qu’au cœur de notre modèle, nous avons une marque qui nous permet de valoriser. Le sourcing français est un des éléments de la proposition de marque, mais nous avons également par exemple 100% de nos produits en Nutriscore A ou B et nous avons banni 100% des conservateurs. Pour autant, nous souhaitons rester accessibles : une barquette de carottes râpées, c’est moins de 2 euros et un repas salade complet de 300g que nous venons de lancer au rayon snacking coûte moins de 5 euros.
Votre raison d’être chez Bonduelle est « Inspirer la transition vers l’alimentation végétale ». Concrètement, comment comptez-vous faire consommer plus de légumes aux consommateurs et en particulier aux plus jeunes qui semblent clairement les bouder ?
Notre raison d’être, c’est la base de notre métier depuis depuis 170 ans. Ce n’est pas un truc qui nous a été soufflé par des consultants. Notre métier, c’est de rendre l’alimentation végétale plus gourmande, plus pratique et plus accessible pour le plus grand nombre.
Nous souhaitons contribuer à repositionner le végétal au coeur de notre culture culinaire.
Nous l’avons transcrite en un programme d’actions qui intègre l’amélioration continue de la qualité de nos produits existants et bien entendu l’innovation produit et emballage. Le potentiel pour aller développer le végétal se situe sur le traiteur et aussi sur la salade 4ème gamme au rayon frais.
Nous ne sommes pas des militants et ne serons jamais des pionniers du véganisme. Nous sommes des entrepreneurs de consommation de masse engagés. Notre levier pour agir sur la transition alimentaire, c’est la marque Bonduelle qui est présente dans 75% des foyers français. Notre cible, ce sont les flexitariens, soit les 35% de Français qui décident activement de réduire la proportion de protéines animales dans leur alimentation.
Quels sont les freins rencontrés ?
Les freins sont principalement culturels. Notre culture de la cuisine, c’est une culture du goût et de la sophistication par la protéine héritée de la tradition des rôtisseurs. Alors que dans de nombreuses cultures, il y a énormément de saveurs, de goûts qui proviennent du végétal dont les légumes.
Nous devons démontrer qu’avec des épices, avec des modes de cuisson différents ou encore en allant chercher les bonnes alliances végétales, on peut avoir un goût exceptionnel d’un point de vue organoleptique. Il faut acquérir de nouveaux savoir-faire. C’est le sens de notre programme Greenology destiné à nos clients ainsi que nos différents partenaires dont l’Institut Paul Bocuse. La Greenology, c’est influencer la formation des chefs en restauration pour que l’alimentation végétale trouve sa juste place. Nous avons développé avec notre réseau de chefs une démarche qui vise à expliquer, à fournir des solutions aux chefs, y compris jusque dans les gestes techniques. Avec nos chefs Luc Fontaine et Jérôme Leniaud, nous venons également de co-publier un livre qui s’appelle « la cuisine végétale de référence ».
Cet ouvrage cosigné de Frédéric Jaunault (MOF primeur), Luc Fontaine, Jérome Leniaud, Jean-Michel Truchelut et Pierre-Paul Zeiher recense, explique et met en valeur la connaissance des produits, les techniques et préparations de base ainsi que des recettes inspirantes autour du végétal.
En matière de communication RSE tout le monde raconte aujourd’hui un peu la même chose ? Comment se différencier ? Faut-il d’ailleurs vraiment communiquer ?
Aujourd’hui, les arguments d’impact positif ne sont plus des éléments de différenciation. Ce sont des éléments de communication corporate, de rôle social de l’entreprise. En direction des consommateurs, il faut revenir aux bénéfices et à l’utilité de la marque. Chaque marque doit répondre à un problème concret du consommateur. Et le problème concret du consommateur aujourd’hui, c’est comment puis-je me nourrir sainement tous les jours tout en me faisant plaisir et d’une manière accessible.
Sur le même thème :