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Dans cette nouvelle série, StripFood part à la rencontre d’acteurs politiques de terrain dans les régions, départements, mairies ainsi qu’au Parlement. Le point commun de ce casting inédit, des personnalités qui ont décidé de s’engager sur le thème de l’alimentation et de l’agriculture pour faire vraiment bouger les lignes.
Ils nous livrent leur vision de l’alimentation, nous racontent leur combat, les réussites dont ils sont le plus fiers mais aussi les difficultés rencontrées pour faire bouger le système. Inspirant.
Après Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire de Toulouse, délégué à l’Alimentation, puis Temanuata Girard, Conseillère régionale et vice-présidente déléguée à l’Agriculture et à l’Alimentation en région Centre-Val de Loire, nous allons aujourd’hui à la rencontre de Gilles Pérole, adjoint au Maire de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes, une commune résolument pionnière en matière d’alimentation durable.
Qui êtes-vous ?
Je suis adjoint à l’Éducation du maire de Mouans-Sartoux, une commune de 10 000 habitants située dans les Alpes-Maritimes. Je co-préside le groupe de travail « alimentation et restauration scolaire » de l’Association des maires de France. À ce titre je participe à différentes instances nationales sur l’alimentation et la restauration collective, comme le CNA ou le CNRC. Je suis également nouveau retraité de l’Éducation nationale.
Quels sont pour vous les enjeux prioritaires autour de notre alimentation ?
L’alimentation est un enjeu transversal qui touche beaucoup de secteurs. Santé et environnement sont pour moi les deux enjeux majeurs. Normalement, l’alimentation n’est pas une compétence des collectivités mais il faut s’en autosaisir à travers les compétences générales. L’agriculture est trop souvent abordée à travers l’économie, or ce n’est pas son seul prisme.
Quels sont les leviers à votre disposition ?
Le premier des leviers c’est la restauration collective, qui est une compétences des collectivités (écoles, collèges ou lycées). On peut faire beaucoup de choses : la première est d’offrir une alimentation saine et respectueuse de l’environnement aux enfants qu’on nourrit tous les jours.
Au début, nous nous sommes appuyés sur la restauration collective qui est la compétence de base des communes, pour ensuite éduquer l’ensemble des habitants de notre commune à acheter plus bio, plus local et plus de saison, le tout sans augmenter le budget.
Pour faire notre cantine 100 % bio décidée en 2008, nous avons créé notre propre production de légumes dans un département où il n’y a plus d’agriculture. Nous sommes ainsi devenus agriculteurs en 2011. Nous avons une exploitation maraichère sur 6 hectares avec 3 agriculteurs, salariés par la commune, qui produisent 26 tonnes de légumes chaque années, ce qui représente 96% de nos besoins avec uniquement des légumes frais, de saison et cultivés à 1 km de notre cuisine.
L’exemplarité du projet de restauration collective a alors infusé dans la manière de voir l’alimentation des familles. C’est la raison pour laquelle nous en sommes arrivés à un projet plus global, la Maison de l’Éducation à l’Alimentation Durable.
Nous travaillons avec cinq axes prioritaires :
- Relocaliser la production agricole en favorisant l’installation de nouveaux agriculteurs sur les terres de la commune ;
- Transformer et conserver les aliments pour atteindre l’autonomie alimentaire ;
- Sensibiliser à l’alimentation durable de tous les publics (enfants, familles, entreprises, jeunes, séniors, publics précaires) ;
- Soutenir les programmes de recherche action pour mesurer les impacts de nos projets (avec le concours des universités, chercheurs et étudiants) ;
- Essaimer en communicant autour des actions afin d’inspirer le changement sur tous le territoire français et à l’étranger.
Quand on pense qu’un quart du réchauffement climatique provient de l’alimentation, on prend conscience du défi à relever.
Depuis 2008, nous avons déjà travaillé avec plus de 550 collectivités en France et en Europe. Cela se passe par des échanges en visioconférences, mais nous accueillons également une fois par mois des collectivités pour leur faire découvrir notre projet et réaliser un atelier de projection pour leur propre modèle. On a également des universités d’été et des réseaux d’échanges européens. Nous avons créé un diplôme avec l’Université de Nice Côte d’Azur pour former des chefs de projets en alimentation durable. Plus de 90 villes ont été accompagnées dans la formation de leurs agents ou de personnes en reconversion.
Entre bio et local, il n’y a pas photo. Une alimentation durable (au sens de la santé et de l’environnement) ne peut pas être qu’une alimentation locale. Elle doit être forcément bio ou agro-écologique. Je préfère du bio qui fait 300 km, voire qui vient de l’étranger, que du local intensif à côté de la maison. Dans les 25 % d’impact de l’agriculture sur les GES, la part du transport n’est que de 10 à 20 %. Le local n’est vital que si c’est un nouveau mode de production agricole.
On va continuer à être un laboratoire innovant. On va bientôt tester la sécurité sociale de l’alimentation pour avoir une vraie égalité d’accès à l’alimentation durable sans devoir passer par les épiceries sociales qui sont assez stigmatisantes.
Je ne supporte pas les collectivités territoriales qui ne font que de la com’. On ne peut pas que dire aux gens « Mangez bio et local » sans montrer que c’est possible en le faisant soi-même. Nous avons fait la cantine 100 % bio à coûts constants. Comme nous l’avons fait, nous sommes désormais crédibles pour porter ce modèle auprès de la population, des entreprises, des restaurateurs ou des hôteliers.
Comment faîtes-vous pour y arriver à coûts constants ?
L’argent reste le nerf de la guerre. Quand on sait que la restauration collective jette un tiers de ce qu’elle achète, il y a une marge énorme. Notre premier levier a donc été de réduire de plus 80 % le gaspillage alimentaire. Cuisiner soi-même des produits bruts et de saison, cela coûte moins cher que d’acheter des produits industriels. Nous avons également diversifié les sources de protéines car un repas en protéines végétales coûte deux fois moins cher qu’un repas avec de la viande ou du poisson. Nous sommes actuellement à 40 % de repas sans viande ni poisson et en 2023 ce sera 50 %. C’est un moyen d’absorber l’augmentation actuelle du coût de l’alimentation.
Nous devons montrer que c’est possible et le partager autour de nous pour servir d’accélérateur.
Quel est le principal frein auquel vous êtes confronté ? Comment faites-vous pour le contourner ?
Le frein le plus important est lié à la réinstallation des agriculteurs dans une zone de fortes tensions foncières. Il faut également leur offrir un logement accessible en matière de coût, compte tenu des revenus qu’ils auront, afin d’assurer la viabilité financière de leur projet.
Quelles sont les actions concrètes dont vous êtes le plus fier et qui contribuent à faire vraiment bouger vraiment les lignes ?
- Une cantine 100 % bio depuis 2012 – une époque où personne ne parlait de bio ;
- Nous sommes la 1re commune à produire ses propres légumes pour la cantine dans une régie agricole ;
- Depuis novembre 2019, nous sommes la première commune 100 % bio à la crèche, à l’école et au collège, ce qui témoigne de la profondeur du projet ;
- La façon dont nous avons embarqué la population dans ces projets à travers des défis alimentaires et des projets d’alimentation durable en entreprise ;
87% des familles ont déclaré avoir changé leurs pratiques alimentaires grâce aux actions de la ville avec comme premier levier, les enfants qui deviennent de véritables influenceurs en la matière.
Pour en savoir plus : mead-mouans-sartoux.fr