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La connaissance scientifique de la notion de bien-manger est légitime, à son niveau, mais elle n’est qu’une expression dans une réalité bien différente, une explication, autrement dit un système d’idées. Elle ne saurait nous rendre compte de la réalité qualitative de la matière première adjointe à la pensée, mais elle permet en outre de souligner la prétention qu’une expression ou une phrase peut conduire (pour exemple : « Réveillez-vous les enfants, c’est bon et c’est moins cher » de Jean-Pierre Coffe), par une réaction elle-même abusive (pour exemple : « C’est de la merde ! » également de Jean-Pierre Coffe), via une dépréciation (« Le Plaisir à petit prix : Bien manger en famille pour moins de 9€ par jour ») , voire via un dénigrement de la science.
Ce qui importe, en effet, n’est pas de nier la valeur de ce qui paraît « bien à manger » pour chaque individu, mais de démontrer le besoin de connaissances alimentaires pour ce dernier. La science à son rang tente souvent par des expériences primordiales de justifier l’existence du bien-manger. Il faut, comme dit Kierkegaard (1813-1855), « laisser apparaître les pensées avec le cordon ombilical de la première ferveur ». Mais plus encore que la bonne alimentation, c’est de lui-même comme mangeur averti que le consommateur doit prendre conscience.
Il est courant d’associer prix et niveau de qualité. Pour beaucoup, un produit cher est forcément un bon produit, et inversement, un produit à bas prix renvoie une image de produit de mauvaise ou basse qualité (autrement nommé « discount »).
Par exemple, en matière de vin, et du point de vue marketing, le prix est fonction de la perception de la qualité par le consommateur (on parle de « prix psychologique »). Dès lors, le prix sera en partie fixé en tenant compte des critères de choix du consommateur, à savoir la renommée de l’appellation, les médailles obtenues, la marque et le packaging. On comprend donc que le prix n’est pas un indicateur de la qualité intrinsèque du produit. Pour autant, un produit largement diffusé est donc un produit qui a fait ses preuves auprès des consommateurs. Et dans l’imaginaire du consommateur « si un produit marche, c’est qu’il s’agit d’un bon produit ». Pourtant, un produit plébiscité par le grand public n’est pas toujours synonyme de qualité.
En outre, pour certains consommateurs, le réseau de distribution est un indicateur de la qualité. Pour certaines personnes, il est inconcevable d’acheter du vin dans une grande surface ; « un bon vin » reste pour eux un vin que l’on achète à la propriété ou chez un caviste. En termes de promotion, le risque pour une entreprise est de privilégier la communication, les « coups » publicitaires ou le design, au détriment du produit lui-même, pour définir une représentation de bons produits.
Bien manger à Noël, est-ce manger des produits de luxe ?
La plupart du temps, le produit de luxe est défini par sa rareté, laquelle, ajoutée à l’engouement qu’elle suscite, influe bien évidemment sur son prix. Dès la Haute Antiquité, il y eut des denrées considérées comme bonnes et réservées à une élite, le contenu de l’assiette marquant aussi le rang social de la personne. Les magasins véritablement spécialisés dans les bons produits (ex : Le bon marché), ou autrement dit dans les produits de luxe, n’apparaissent toutefois qu’à la fin du XIXe siècle, avec les fameux établissements Hédiard (1854) ou Fauchon (1886). Peu avant, à partir de 1844, s’étaient développées des épiceries d’un nouveau genre, les magasins Félix Potin (1820-1871) avec le principe vente « à bon poids et à bon prix », dans lesquels on trouvait des aliments de première nécessité, à bas prix, mais aussi des produits alors fort coûteux, tel le cacao.
Un mélange des conceptions du bon et de la qualité, révolutionnaire pour l’époque, pour définir la notion de bien manger. Plus d’un siècle plus tard, dans les années 1960, en réaction à l’expansion des supermarchés, l’épicerie fine devait susciter de nouveau un regain d’intérêt. Le produit de luxe représentant un paradigme du bon et du bien manger, parmi d’autres, reste sans nul doute désirable. La truffe, le foie gras et le caviar figurent non seulement parmi les plus chères denrées, mais restent aussi, en France, les produits refuges d’un « bon assuré ».
Menu du Festin de Babette, un livre adapté en film véritable ode à la gastronomie et à l’hédonisme. Via Papilles et Pupilles.
Mais pour autant, qu’est-ce qu’une bonne truffe, un bon foie gras ou un bon caviar ? Et ces produits apportent-ils une véritable forme de bien manger du point de vue nutritionnel ? Nous pouvons naturellement craindre le contraire. Alors bien manger dans les moments d’excellence et aux occasions particulières, tels que les repas d’exception, serait-ce le schéma contraire de celui défini dans la forme du « bien manger au quotidien » ?