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La très ancienne coutume de table, qu’est de boire à la santé, porter un toast à quelqu’un, remonterait à l’Antiquité. Les Romains buvaient des « santés » deux à deux ou en ronde. Dans les banquets d’importance, on portait ainsi honneur à l’empereur, à l’armée, ou aux muses. En l’honneur d’un invité, on vidait autant de verres que le nombre de lettres qu’il y avait dans son patronyme, comme le rapporte un petit poème de Ronsard à Cassandre :
Neuf fois au nom de Cassandre
Je vais prendre
Neuf fois du vin du flacon
En mémoire, des neuf lettres de son nom.
En Gaule, puis chez les Francs, on buvait souvent aux morts, transformant de plus en plus régulièrement les festins en rixes. Charlemagne dût réglementer alors ces désordres dans ses « Capitulaires », en infligeant l’excommunication à toute personne trouvée ivre à trop vouloir embrasser la « santé ».
Sous la Renaissance, la coutume de « boire » à la santé de quelqu’un prit la synonymie de « piéger ». Ainsi on raconte, en 1587, à la mort de Marie Stuart : « Condamnée à l’échafaud, la veille de sa mort, elle but sur la fin du souper à tous ses gens, leur commandant de la piéger. A quoy obéissant, ils se mirent à genoux et meslant leurs larmes avecque du vin burent à leur maîtresse. »
L’expression « porter un toast », quant à elle, n’est aucunement anglophone. Elle proviendrait, sous Henri IV, du français « tostée de torrere » dite « tostée dorée » qui était la tranche de pain rôtie (une sorte de pain perdu) déposée au fond d’un verre. Le verre passait de bouche en bouche, puis le dernier convive, l’invité d’honneur, dégustait la tostée.
N’oublions pas non plus d’évoquer la légende qui prétend que « santé ! » provient de l’action d’entrechoquer les coupes lors des banquets seigneuriaux afin qu’une goutte passe d’un calice à l’autre, évitant tout malentendu, et laissant le convive en bonne santé. Un signe de confiance mutuelle, à une l’époque où les empoisonnements faisaient fureur.
Mais les légendes ont la dent dure, jusqu’à proposer qu’un industriel français concluant un contrat en Chine, honora ses hôtes en sabrant le champagne. Afin d’expliquer le geste qui allait faire, il imita les deux coups d’épée en disant « Tchin-Tchin ! « . La délégation chinoise leva alors son verre, scandant : « France ! France ! »
Dans une mutation, l’hôte, ni égoïste, ni solitaire, fait serment d’Epicure et soumet qu’un bon repas et un repas de partage, composé d’amitié, de bonté, de camaraderie, de don de soi, d’échanges et de fraternité (ABCDEF). Le mérite, d’être doué d’une compétence de fraternité rabelaisienne, laisse ainsi filtrer l’image de l’amphitryon comme un héros puritain au centre d’une longue table tendant ses bras pour trinquer avec ses voisins. Aussi, nous pourrions nous demander, si, à notre époque, le partage d’une bouteille ressemble-t-il toujours à un cérémonial d’échanges ou à un moment d’analyse sensorielle personnelle ?
Si la dégustation est un rituel sociétal, trinquer serait alors un geste d’humanisme, et en garder l’habitude pourrait nous donner une bonne conscience. Mais que penser de l’acte de ceux qui trinquent directement avec une bouteille assis sur le bord du trottoir ? Seraient-ils finalement les Epicuriens de notre époque ?