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Qu’on en commun « Un dîner presque parfait », « Danse avec les Stars » et la nouvelle application à la mode « Yuka » ? Comme à l’école, ils distribuent tous des notes et on en deviendrait presque tous dingues !
Rien n’échappe au phénomène de l’évaluation. Les restaurants, les hôtels, les chauffeurs de taxi, les livreurs Deliveroo, les entreprises, les artisans, les médecins et même les femmes de ménage dans les toilettes publiques (cf. le fameux sketch de l’humoriste Blanche Gardin)… Aujourd’hui, on peut tout noter et la dernière mode pour évaluer si un produit alimentaire est bon ou mauvais c’est l’application Yuka !
Grâce à un algorythme qui agrège des données nutritionnelles (via, à l’origine, la base contributive Open Food Facts, le « Wikipédia de l’alimentation ») et des infos sur la présence d’additifs (dont la nocivité est jugée grâce au croisement de divers études en la matière), le verdict miracle est rendu en quelques secondes.
Car oui, dans un contexte où l’accès à l’information est rendu possible et ce de façon illimitée pour un consommateur qui doute désormais de tout, il faut pouvoir en extraire une synthèse exploitable et ce serait désormais chose faite.
Ce phénomène Yuka (15 000 nouveaux téléchargements par mois) nous invite à nous interroger sur une question centrale : « Qu’est ce qu’un bon produit ? »
On aimerait pouvoir dire de façon aussi simple et rapide qu’un produit est bon ou mauvais, ce serait tellement satisfaisant. Mais en prenant un peu de recul, la réalité est beaucoup plus complexe. Si l’accès à cette masse d’information pose à la fois la question de la fiabilité de cette information mais aussi de son interprétation, il y a également d’autres écueils à avoir à l’esprit.
Il y a de multiples critères permettant de juger de la qualité d’un produit
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- Un bon produit est déjà un produit bon. Bon au sens du goût forcément, mais aussi un produit appétant, qui fasse envie. Cela semble évident, mais si manger est un acte vital, cela doit aussi être un plaisir et l’alimentation y contribue fortement. Le plaisir reste en France le critère d’achat n°1 selon Kantar.
- Un bon produit est un produit sûr en matière de sécurité alimentaire. Cela semble aussi un peu basique à dire mais ce qui est vrai aujourd’hui ne l’était pas forcément auparavant, lorsque les problèmes sanitaires étaient fréquents et leur impact sur la mortalité un véritable fléau.
- Un bon produit est un produit le plus naturel possible. On distingue alors les aliments naturels, les aliments transformés et même les aliments ultra transformés. L’enjeu est bien d’avoir des listes d’ingrédients les plus courtes possibles avec un minimum d’additifs. Si ce critère n’est pas présent dans Yuka, il est revanche intégré dans l’application Open Food Facts avec le calcul de l’indice de transformation des aliments (score Nova).
- Un bon produit est un produit dont je connais les conditions de production (pour des végétaux) ou d’élevage (pour des animaux). Et en la matière, force est de constater que si pour l’élevage, le critère du bien-être animal tend à s’imposer de plus en plus, comme pour les œufs de poules élevées en plein air, les conditions de production des produits végétaux restent plus discutées. Si le modèle de l’agriculture bio connaît un succès grandissant, il existe aussi d’autres modèles dont certains sont moins connus, comme l’agriculture raisonnée.
- Un bon produit est un produit dont on connaît l’origine. Il faut alors distinguer l’origine de production et celle des ingrédients composant le produit, ce qui n’a parfois rien à voir ! On peut aussi aller plus loin en recherchant l’origine des ingrédients des ingrédients (et ainsi de suite). Faut-il encore avoir accès à cette transparence…
- Un bon produit est un produit dont le profil nutritionnel s’aligne sur les recommandations officielles. C’est à ce titre que se développent des initiatives comme le Nutri-Score avec des notes sur les packaging des produits facilitant le repérage pour les consommateurs.
- Un bon produit est aussi un produit qui contribue à un partage équitable de la valeur. Critère montant, autrefois apanage du commerce équitable à des fins de garantie des conditions des producteurs à l’autre bout de la planète, ce critère se démocratise aujourd’hui en France sous l’impulsion notamment d’initiatives comme « C’est qui le Patron ».
- Un bon produit est un produit qui est fait par une entreprise dont j’approuve les idées et les actions, notamment en ce qui concerne l’impact sur l’environnement ou le traitement des salariés. Ce critère est de plus en plus important même si l’on n’a pas toujours accès facilement à cette information.
On ne juge pas tous les produits selon les mêmes critères
Par exemple, si l’origine de production est souvent un critère important pour un fruit ou un légume, en revanche, ce sera nettement moins le cas pour une glace ou une confiserie. Si la présence de sucre dans un gâteau fait partie de la nature même du produit, donc tolérée, elle devient en revanche dérangeante dans mes conserves de légumes. Les attentes concernant des produits de consommation quotidienne peuvent être plus exigeantes (car la fréquence de consommation est un facteur) alors qu’une consommation exceptionnelle dont le but est de se faire plaisir (un bon restaurant, une raclette, une coupe de glace…) est moins sujette à ces exigences. Tout est bien entendu une question d’équilibre.
Lorsque l’on se sert de Yuka, l’application analyse tous les aliments selon les mêmes critères nutritionnels, qu’il s’agisse de plats cuisinés censés représenter un repas complet, de condiments, de boissons ou de biscuits pour le goûter ou l’apéro. Tout est ainsi calculé pour 100 grammes de produit et non à la portion consommée. Un biais important !
Un critère peut en cacher un autre
Face à cette multitude de critères, il est quasiment impossible pour un produit de cocher toutes les cases. C’est la raison pour laquelle, il est souvent présenté par le biais d’une spécificité principale qui le résume. Cette spécificité souvent ultra vendeuse (on peut parler d’allégation « paravent ») peut parfois cacher des points plus nuancés. Ainsi, un produit revendiquant son côté peu sucré, peut être très gras. Un plat peut être bio mais produit avec des ingrédients étrangers et un cahier des charges différent de ceux exigés en France. Un produit peut être vegan mais être ultra transformé ou même fortement calorique. Un produit peut être artisanal mais bourré d’additifs. Si l’on grossit encore un peu le trait, un produit peut être cher mais de piètre qualité et vice versa. Un vendeur avec une bonne tête sur un marché peut me vendre des légumes venus tout droit de Rungis (les mêmes qu’au supermarché). Là encore, la nuance s’impose.
Certains critères ne font pas l’unanimité
Nous faisons face à un certain nombre d’injonctions paradoxales en ce qui concerne l’alimentaire. Selon les époques ou bien les sources, les aliments sont parfois encensés, parfois diabolisés. C’est le cas du beurre, revenu en grâce depuis quelques années et qui a laissé sa place au sucre, désormais stigmatisé. Certains ingrédients comme le sucre peuvent être décriés et remplacés par d’autres comme les édulcorants, même si l’on ne maitrise parfois par tous leurs impacts sur le long terme. Il y a aussi des ingrédients faisant polémique qui ne permettent pas aux consommateurs de véritablement se positionner : soja, huile de coco, curcuma… Mais nous avons aussi des perceptions propres à chaque pays qui ne font pas l’unanimité au niveau de la planète. Par exemple, l’huile de palme est fortement décriée en France mais ce n’est pas le cas dans de nombreux pays étrangers. Le bio est de plus en plus plébiscité mais faute de matières premières disponibles en France, se développe un bio à deux vitesses avec un bio d’import à plus bas prix.
Les critères sont aussi relatifs en fonction des individus
Cela est évident pour la partie nutritionnelle mais aussi pour le goût ou les attentes en ce qui concerne la responsabilité des entreprises et ces critères peuvent vraiment différer selon les individus.
Bon à savoir ! Dans la veine de Yuka, il existe d’autres applications comme Scan’Up beaucoup plus complètes qui cumulent différents critères comme la nutrition, les indices de transformation, les additifs mais aussi l’origine des ingrédients, le bien-être animal, les labels,… voir même la possibilité de personnaliser avec ses propres critères.
Bref.
En fin de comptes, tout est un peu une question d’équilibre et pour apprécier si un produit est bon, on comprend qu’il n’est évidemment pas facile d’attribuer des notes ou des couleurs, même si notre société aime beaucoup ce système de communication qui a le mérite d’être vendeur. À trop s’abandonner au big data, on en viendrait presque à en perdre son bon sens.
Il est par conséquent urgent de recadrer le sujet de l’alimentation et de considérer les choses dans leur globalité. Le consommateur doit avoir accès à l’information (c’est devenu une nécessité) mais il doit retrouver le bon sens pour permettre de faire ses propres choix. Finalement, le bon choix est certainement celui qui est en adéquation avec nos propres convictions.
Mais on ne peut pas non plus se limiter à déverser cette masse de questionnements sans pour autant donner quelques repères de consommation qui selon moi vont dans le bon sens.
Si l’on prend donc un peu de recul et sans rentrer dans les critères de chacun, en matière d’alimentation, apparaissent quelques règles de bon sens à respecter qui tendraient à faire l’unanimité. Elles peuvent servir de repères pour reprendre le main sur notre alimentation et en refaire petit à petit un sujet davantage de plaisir que de peurs !
- Prendre ou reprendre le temps de cuisiner soi même quand on le peut pour ne pas consommer que de la nourriture industrielle transformée ; souvent plus économique, cette solution permet de choisir ses produits bruts et de prendre conscience de leur provenance.
- Privilégier les fruits et légumes de saison et locaux (quand la production locale existe).
- Privilégier clairement le bio français vs le bio étranger.
- Consommer davantage de fruits et légumes et réduire sa consommation de viande. La tendance du flexitarisme prend de plus en d’importance. Que les motivations soient économique, idéologiques, environnementales ou encore de santé, choisir de réduire sa consommation de viande est aussi une opportunité d’accorder une importance plus forte à sa qualité et à sa provenance.
- Privilégier les circuits courts (artisans, marchés, ventes directes) mais en prenant soin d’identifier les vrais producteurs par rapport aux transformateurs ou négociants. Les marchés sont extrêmement attractifs mais il faut savoir discuter avec les commerçants pour identifier l’origine de leurs produits. Contrairement à l’industrie, les exigences de transparence y sont moindres et les abus peuvent exister.
- Être attentifs et exigeants sur la lecture des étiquettes pour les aliments industriels en privilégiant les marques et produits aux listes d’ingrédients les plus courtes.
- Continuer à prendre du plaisir en partageant une alimentation en famille ou entre amis, en prenant le temps de manger et surtout, continuer d’en parler.
La France est le pays au monde où on passe le plus de temps à table, mais c’est aussi le pays où on parle le plus de bouffe. Continuons ainsi car à la fin c’est certainement ceux qui en parlent le plus, qui mangent le mieux !