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Food & Fashion sont deux secteurs pouvant sembler éloignés, qui sont toutefois tous deux animés par un cœur commun : le plaisir !
Je vous invite en 3 épisodes à répondre à cette question : comment, par une approche en regards croisés, identifier les impasses et les pistes inspirantes de part et d’autre pour plus de durabilité (plus responsable, mais aussi plus désirable) ?
Julie Bigot
1er volet de la série :
#2 – L’ENGAGEMENT, LE SENS, LES VALEURS ! FOOD & FASHION Une inspiration mutuelle
CE QUI EST EN MARCHE DANS L’ALIMENTAIRE / Les PISTES DE DURABILITE inspirantes :
LE LOCAL
En pleine expansion grâce à une demande croissante des consommateurs, notamment suite à la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine qui nous ont fait prendre conscience de la nécessité de retrouver notre souveraineté alimentaire. Notre dépendance aux exportations nous mettant à risque de pénurie.
Cette piste est de surcroît une approche durable puisqu’elle évite le transport, raccourcit les circuits et donc les intermédiaires ce qui est plus vertueux tant pour les producteurs (mieux rémunérés) que les consommateurs (prix plus bas).
Un développement soutenu par le gouvernement notamment avec la mesure « Développer l’alimentation locale et solidaire » de 2021, dotée d’une enveloppe de 30Millions d’€ pour soutenir les projets.
De nombreuses démarches commerciales et éthiques se multiplient, parmi lesquelles :
Ou la bien connue :
Elles répondent essentiellement à une problématique d’habitant de grande ville, loin des producteurs.
Pour une démarche sur tout le territoire, de nombreux sites compilent les producteurs autour de soi, si l’on peut prendre le temps de démultiplier ses sources d’approvisionnement !
Mais sans ré-inventer le monde, les marchés locaux dès lors que l’on parvient à identifier les producteurs locaux restent une des meilleures sources, ou encore les amap que l’on peut trouver proche de soi grâce à la carte du site reseau-amap.org.
Pour en savoir plus sur cet enjeu et engouement pour le local, écouter la conférence de Sophie de Reynal qui nous rappelle nos paradoxes de consommation, et que la définition de local dépend du contexte, il peut être tantôt européen, français, régional ou communal.
D’autre part, s’agissant d’impact environnemental le local n’est pas toujours la meilleure solution. Soit parce qu’elle n’est pas possible (chocolat et café ne poussent pas en Europe) soit parce qu’il engendre pour être produit une consommation énergétique importante (chauffage de serre par exemple).
Et pourtant nous ne sommes pas prêts à nous passer de ces plaisirs, peut-être simplement car nous manquons d’information sur l’impact de ce que nous consommons ?
Si vous vous intéressez à cette réflexion je vous conseille la conférence au CFIA de l’agence O2M* sur les bénéfices mesurés de l’impact environnemental du local.
(*O2M accompagne les entreprises dans la mesure de leur impact et leur transformation).
Pour se donner un premier aperçu du sujet le graphique ci-dessous, indique le poids notamment des différents modes de transport dans notre impact alimentaire en France. Il est intéressant de constater que les flux maritimes qui représentent 57% des flux de transports de marchandises et donc des imports venant de loin, ne représentent « que » 20% des émissions de Gaz à Effets de Serre, alors que le transport routier (utilisé majoritairement pour les productions locales) a un impact GES proportionnellement bien plus fort que sa part dans le volume de flux de transport.
Une question multifactorielle et très complexe.
L’éducation à la SAISONNALITÉ est également une piste en développement, malheureusement pas encore pour tous !!
L’accessibilité à l’information de l’intérêt de consommer en saison et la compréhension de l’enjeu nutritionnel associé n’étant pour l’instant que réservés à une population déjà sensibilisée. Cet enjeu de saisonnalité est toutefois intimement lié à celui de local, souhaité par les consommateurs, on peut espérer qu’il fasse son chemin.
Cependant, si le textile est par essence soumis à la tendance, L’alimentaire ne déroge pas au dictat de la mode, il n’y a qu’à voir les chaînes de Poke bowl qui fleurissent à tous les coins de rue, qui sont venues renforcer l’offre grandissante de toutes sortes de propositions de restauration : qui du burger végétarien, du hot dog new yorkais, de la cantine healthy ou encore du taco-sushi (et oui tous les mix sont possibles).
Bao-burger :
Tacosushi :
L’appétence pour cette cuisine du monde nous fait faire les pires folies : avocat toute l’année, ou poisson cru des restaurants de sushi… un bilan carbone qui alourdit nos assiettes ! Là encore c’est l’information qui est clef, ainsi certains restaurants ont par exemple choisi de retirer l’avocat de leurs cartes, devenu trop tendance, donc surconsommé et dont on connaît l’impact écologique (consommation gourmande en eau, destruction forestière etc.).
ENJEU SANTÉ !
L’alimentation étant directement dépendante du vivant, sa protection est au cœur de la démarche. La filière BIO est le porte étendard de cette vision d’une production durable pour une alimentation préservant la santé globale (planète et homme), mais aussi les initiatives de remplacement de la viande par des ingrédients végétaux et bien d’autres.
La qualité nutritionnelle d’un aliment est liée au sol dans lequel il pousse, ainsi qu’à une transformation respectueuse des ingrédients. La Santé étant le sujet de préoccupation n°1 des français en 2022 juste devant le pouvoir d’achat, les liens entre qualité de l’alimentation (degré de transformation, usages de pesticides etc.) et santé ayant été établis, c’est un atout phare pour le secteur.
Ces 3 leviers sont-ils transposables au secteur Fashion ?
Développer le LOCAL ?
Pour le textile, le chemin est encore long car le secteur est moins stratégique, nous ne répondons pas à un besoin vital, aussi l’impact prix d’une relocalisation aura du mal à être accepté par le plus grand nombre. D’autant que le textile a opéré un déplacement total de sa production en Asie dans les années 90 se retrouvant avec une désindustrialisation massive des marchés européens rendant beaucoup plus complexe une relocalisation de la production.
Pourtant une part du secteur est en marche pour développer le made in France, et pas seulement dans le haut de gamme. On peut citer : la marque de jean 1083, précurseur dans le domaine 100% fabriquée en France (1083 indiquant la distance maximale en km entre les différents point de production, distance la plus importante entre 2 points en France) mais aussi les manufactures de layette et tricots avec 3 sites de production en France et qui alimentent des clients très variés allant de Super U, Aubert, Casino, Bébé 9, Carrefour, Cora en Layette et des marques plus premium comme le slip français, Patine, fifi Chachnil ou Balzac.
La SAISONNALITÉ en Mode : un levier contre lequel lutter ?
On observe un dérèglement des saisons dans les deux secteurs : il ne nous viendrait pas à l’idée de nous promener en short en hiver, c’est pourtant en février qu’il débarque en magasin, et nous consommons des salades de tomates en plein hiver.
Pour le secteur de la mode, il y a un sujet de décalage de saison lié à la course pour être le premier (ex : les manteaux sont implantés de plus en plus tôt pour ne pas louper l’achat par le client qui n’en fera pas 2 dans la saison) mais aussi rythmé par les dates de soldes pourtant fixées légalement. Comment voulez-vous que l’on s’y retrouve lorsque les soldes d’hiver se déroulent début Janvier alors que l’hiver démarre tout juste en Janvier ? Il faudrait les décaler fin février, début mars. De la même façon, les soldes d’été pourraient démarrer fin août.
Ce calendrier perturbe nos repères et concrètement entraîne un achat en promotion pour la plupart des consommateurs n’ayant pas besoin d’un maillot de bain avant la plage, donc fin juin (exception faite des voyageurs et des régions plus ensoleillées).
Le phénomène de saisonnalité est perverti par la dimension tendance. La fast-fashion a instauré un rythme d’1 collection tous les 15j versus 1 par saison dans les 80’s, et sur le web c’est pire le rythme est quotidien pour accélérer la fréquence de visite du client. C’est ainsi que nous avons décuplé notre consommation en créant toujours plus de désir et d’envie. Ce renouvellement incessant des collections ayant pour résultat de rendre périssable un produit qui ne devrait pas l’être !
Le comble étant qu’en mode pourtant, ce qui représente la plus grande part des ventes ce sont les intemporels et produits permanents, et ce, même pour la fast fashion qui vend bien mieux le manteau classique noir que l’ultra-fashion coloré.
Des marques comme Asphalte ou LOOM concentrent leur production sur quelques modèles par famille de produit (pull, chemise, jean etc.) déclinés en couleurs, essentiellement en précommande. A la différence des marques de fast fashion, elles sourcent leurs produits en proche import en cherchant à limiter l’impact carbone et à optimiser la qualité.
Asphalte vous invite à participer à la création des futurs produits en partageant vos envies et attentes, ainsi la marque propose à la pré-commande un produit « ultime » issu des expressions de besoin de leurs clients.
Quant à LOOM, La promesse est clairement de ne pas faire de publicité ni afficher des prix en 9,99 pour ne pas pousser à la consommation. Une proposition de marque qui ne cherche pas à grandir vite, qui veut proposer une alternative avec des produits qui durent.
La marque partage sur son site un contenu détaillé expliquant les enjeux de durabilité de la Mode, mais aussi ce qui assure la qualité de chaque produit. Par exemple pour un pull : son objectif est avant tout qu’il tienne chaud ! n’est-ce pas ? Et bien, s’il est en laine il tiendra chaud, en synthétique NON, en revanche ce dernier au-delà de son caractère non durable sera plus résistant dans le temps… à vous de choisir, mais en conscience !
LOOM est une marque engagée dans l’évolution du secteur textile au travers du collectif En mode climat et du militantisme de sa fondatrice julia FAURE :
Nous gagnerions dans les deux secteurs à s’appuyer sur et à développer ces incontournables du vestiaire et du garde-manger (aliments bruts et locaux) qui permettent plus de durabilité à nos consommations et réserver les produits tendance et plaisir à des moments plus exceptionnels (cela nous en ferait d’autant apprécier la saveur).
La SANTÉ – Une production plus vertueuse
La production textile a clairement un impact négatif sur l’environnement, la santé des populations des pays producteurs de textile.
Des initiatives pour réduire l’impact environnemental des productions émergent en Mode touchant de plus en plus de marques grand public (et pas seulement des marques éco responsables plus niches) : ainsi on trouve de plus en plus de coton bio y compris chez des enseignes de grande diffusion comme Kiabi.
Concernant le jean, émerge le jean waterless qui permet d’économiser de 20 à 88% des 7 à 10000 litres d’eau nécessaires pour produire 1 jean, c’est en marche chez Levis ou Bonobo.
Bien que mauvais élève, le textile amorce des changements.
Source Kantar – marché textile chaussure et accessoires 2021 – Etude Jean
A ce jour ces initiatives sont portées par les marques, les préoccupations ne touchant pas directement les consommateurs finaux, la prise de conscience et la concrétisation en consommation prennent plus de temps.
Certaines analyses récentes pourraient changer la donne.
Il existe depuis plus de 15 ans une législation appelée REACH, qui cadre l’utilisation des principaux produits chimiques au sein de l’industrie textile afin de limiter leur présence dans les produits finis. Elle touche toutes les étapes de production : culture, teinture, tissage, assemblage etc.
D’après un rapport de la chercheuse Audrey Millet (Le livre noir de la Mode) sorti en 2021, l’industrie textile aurait non seulement un impact négatif avéré sur la santé des populations productrices en Inde notamment (Cancers, problèmes pulmonaires, infertilité etc.) mais on retrouve également des traces significatives de produits toxiques dans les produits finis importés, y compris en seconde main (persistance !).
Pour en savoir plus fashionnetwork.com/news/Produits-chimiques-nocifs-dans-la-mode-importee
Une nouvelle accablante, qui (si l’on regarde le côté positif des choses) pourrait permettre une accélération de l’évolution des comportements vis-à-vis de la consommation textile.
En mode persiste le fait que le lien entre préservation de l’environnement et santé, qualité des produits finis reste confus. Pourtant produire du coton dans un sol mort est plus compliqué, cela ne touche pas seulement l’agriculture alimentaire, une piste de réflexion ? Cela soulève d’autres questions : Y aurait-il un impact entre qualité de la matière finie et type de production ? l’élevage et l’alimentation des moutons auraient-ils un impact sur la qualité de leur laine et donc du produit fini ?
Le chemin vers plus de durabilité offre encore beaucoup de possibilités, nous gagnerions à développer les parallèles et ponts entre secteurs pour enrichir les démarches.
Avoir un impact fort et être durable dans le temps, c’est aussi penser : désirabilité, innovation pour s’inscrire dans l’air du temps et les attentes des consommateurs, il faut donc parler client.
C’est le 3ème angle que je vous propose pour clore cette série.