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(Redif) Le concierge masqué de Vanity Fair a encore frappé avec un article intitulé « Est-il encore chic de se taper une bûche de Noël ? »
Avec mon amie Stelda du blog Le Cas Stelda, nous nous sommes penchés sérieusement sur le sujet et avons croisé nos regards pour co-écrire cet article. Oui, oui et re oui, dans une période agitée telle que la nôtre, se taper une bûche fait incroyablement sens, même si la montée en gamme de cette bonne vieille icône de la pâtisserie aurait un peu tendance à atteindre parfois ses limites…
Une tradition populaire
Quand je pense à la bûche, je repense à ma grand-mère ! Chez elle, le mois de décembre était consacré à l’activité de roulage de la bûche non-stop. L’intégralité de la table de la cuisine était ainsi réquisitionnée en mode atelier saisonnier. Cuisson de la tendre génoise, roulage dans un torchon de cuisine, imbibage de sirop alcoolisé, crème au beurre et puis plantage de petits décors. La production artisanale était fort bien huilée — enfin beurrée !
Alors pendant cette période c’était bûche pour tous ! L’époque n’était, il est vrai, pas vraiment aux revendications alimentaires. Pas de version sans sucre, sans gluten ou même vegan. Non, non, non : tout le monde se tapait la même bûche sans broncher, même si la lourdeur de la crème au beurre se faisait tout de même ressentir quand nous arrivions fin décembre. La simplicité de cette époque (chocolat ou café ?) avait quand même du bon.
Bien sûr on inventa plus tard sa version glacée, sensée être plus légère avec cette idée que la glace, c’est bien connu, « fait couler après un bon repas ». Mais c’était autre chose. Une version beaucoup plus industrielle.
Oui la bûche, c’est « the » pâtisserie de tradition par excellence. Une tradition gourmande autour du partage en famille. Cette recette de pâtisserie est réalisée avec relativement peu d’ingrédients : œufs, sucre en poudre, faine, beurre, poudre à lever et bien entendu du chocolat, café ou encore de la crème de marron.
Mais pourquoi un dessert en forme de tronc d’arbre ?
Avant d’être un gâteau, c’est avant tout une véritable tradition populaire. Son origine remonte aux rite païens. Il s’agissait d’un rituel consistant à placer une grosse bûche de bois qui était brulée pour célébrer le solstice d’hiver, la nuit la plus longue de l’année. On renversait un peu de vin, de sel ou d’huile dessus en offrande et pour éloigner le mauvais sort, protéger le foyer et implorer les bonnes récoltes. Éteinte et rallumée chaque soir la bûche devait brûler au moins trois jours de suite, voire jusqu’à l’épiphanie selon les traditions et les régions. Cette tradition existait en France mais aussi dans la plupart des pays européens. Cependant, à partir du XIXe siècle, les cheminées disparaissant peu à peu dans les maisons, et cette tradition avec.
La date de la création de la bûche pâtissière s’établirait plutôt fin du XIXe siècle mais plusieurs pâtissiers s’en disputent la paternité ! Quoi qu’il en soit, cette tradition est purement française et elle est peu à peu devenue une francophone avec son importation au Québec à la fin de la Seconde Guerre mondiale avec l’immigration de pâtissiers français.
Et voilà pour la petite histoire !
Des chercheurs de l’université de Copenhague au Danemark affirment même avoir localisé à l’intérieur de notre cortex ce qu’on appelle l’« esprit de Noël ». Ils ont pu étudier ce sentiment largement positif mais pouvant être aussi négatif en soumettant à des cobayes des images directement en lien avec Noël ou pas, dont la fameuse bûche. Ce dessert serait donc un des éléments indispensables pour nous aider à basculer dans cet esprit si singulier des fêtes de fin d’année.
Pimp my bûche!
Et puis, la bûche, c’est aussi à l’origine une pâtisserie délicieusement ringarde avec son cortège de petites décorations en plastoc. Père Noël, petites scies, adorables haches, sapins de Noël, feuilles de houx… Qui n’a jamais pris un malin plaisir à pimper des bûches pour la rendre, sinon esthétiquement parfaite, au moins terriblement personnalisée ?
Culture bûche
Et puis, la bonne vieille bûche est aussi entrée dans notre patrimoine culturel inspirant le film éponyme (et qui, en passant, ne casse vraiment pas une bûche) de Danièle Thompson datant de 1999 avec Sabine Azéma et Emmanuelle Béart :
Notons bien évidement la référence culte au « Père Noël est une ordure ». Dans ce film qu’on ne présente plus, la bûche, renommée « kloug » pour l’occasion, est une revisite slave plutôt infâme qui finit par passer par la fenêtre.
Pour les amateurs du genre, le site « Gustave et Rosalie » propose même la vraie recette du Kloug et en bonus également celle des Dobitchu de Sofia.
Et puis n’oublions pas la présence de notre icône pâtissière dans l’émouvant sketch de Murielle Robin « La Solitude » ou encore carrément en Une de Charlie Hebdo en 2015 !
Oui la bûche, n’ayons pas peur de le dire et de le revendiquer, c’est un petit bout de notre culture, de notre identité, c’est la vie.
Mais un tantinet fat et pas toujours franchement élégante, elle s’affiche même depuis des années dans une version dégradée ultra indus dans nos supermarchés au rayon ambiant conservée naturellement par une bonne dose d’alcool (pour le plus grand bonheur de toute la famille?).
La lente montée en gamme de la bûche
Alors, il est vrai que nous avons eu un peu tendance à banaliser ce dessert jusqu’à l’épuiser. Et face à ces océans de sucre et de gras et même parfois à ce mauvais goût déchirant pour les papilles comme pour les pupilles, la bûche s’est réinventée. Mousse de cacao pur, biscuit allégé, gavée de fruits, sans gluten, sans lactose, sans beurre, les pâtissiers des grands hôtels ont métamorphosé la bestiole. À partir des années 2000, les grands couturiers sont invités à dessiner leur bûche. Et là, c’est le drame : la bûche Lipstick Couture de Karl Lagerfeld pour Ducasse, nous a coupé l’appétit en 2014, et l’esprit de la bûche est complètement parti en fumée dans la Rocket créé cette année par Michalak.
Quelques exceptions nous mettent parfois des étincelles dans les yeux : la Forêt Enchantée de Lenôtre ou la bûche Jardin d’hiver de Lenôtre et Louis-Antoine de Broglie.
La bûche Bowling d’À la Mère de famille a tout de même conquis notre coeur cette année, parce son principe est simple : striker les petits pingouins avec une boule de Noël (le tout en chocolat, bien sûr). Il fallait oser.
À force de vouloir se démarquer de son aïeule, la version grand pâtissier est devenu à la bûche ce qu’est le bar lounge au bistrot de quartier, le roman graphique à la BD belge. Une version prétentieuse, sans saveur, tellement originale qu’elle en devient illisible et écœurante. Le trop plein de décorations épurées et présentation artistique, de « revisitations », a écrabouillé la bûche. Oui, le goût, la qualité des produits, la finesse sont présents, mais tout ce qui est allongé n’est pas une bûche et tout gâteau créé à l’occasion de Noël n’est pas bûche. La question centrale, finalement, est peut-être la suivante : doit-on forcément déguster une bûche à Noël ?
Doit-on forcément déguster une bûche à Noël ?
Oui, si vous aimez la tradition et si les rituels vous réchauffent le cœur. Non, si vous préférez des gâteaux ronds, carrés, en forme d’étoiles, de papillon ou de guitare électrique.
Et si vous rêvez d’une bûche traditionnelle mais allégée, sautez sur la bûche Tourangelle, créée il y a 10 ans par les pâtissiers d’Indre-et-Loire : un biscuit à la noisette avec une crème à la vanille, des pommes tatin et un coulis de caramel au beurre salé. Un excellent exemple de tradition upgradée. Et en plus, on les trouve chez les pâtissiers de quartier !
Joyeuses fêtes !
Cet article a été co-écrit avec Stelda du blog stelda.blogspot.com