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Lors de la 26ème édition du salon du chocolat de Paris, il y avait de quoi se régaler !
Certes, la COVID a provoqué de nombreux désistements par rapports aux éditions habituelles – de nombreux acteurs étrangers n’ont pas pu venir, et quelques absences remarquées comme la maison BERNACHON, Patrice CHAPON, Jean-Paul HEVIN ou encore la Chocolaterie MORIN – mais le plaisir était intact ! Quel bonheur de pouvoir à nouveau déambuler et déguster presque comme si de rien n’était…
En amateur passionné, Laurent Meudic tient notamment à jour la CARTE DES CHOCOLATIERS BEAN-TO-BAR FRANÇAIS sur sa page Chocolat, le saviez-vous ?
Qu’est-ce que le chocolat bean-to-bar ?
Laurent MEUDIC vous explique tout dans cette précédente interview pour StripFood.
En partenariat avec StripFood, profitant de ce rendez-vous incontournable qu’est le salon du chocolat de Paris, il a interrogé différents acteurs qui nous livrent leur regard autour de 3 grands thèmes :
– les goûts des consommateurs,
– le marché et ses enjeux,
– l’évolution du métier de chocolatier.
Stéphane BONNAT
A la tête de l’une des plus anciennes chocolateries familiales au monde (1884), située à Voiron (Isère), la maison BONNAT propose une large gamme de tablettes pures origines ainsi que des bonbons de chocolat qui sont de véritables références pour les amateurs.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Nous avons une clientèle très fidèle et sensible aux recettes traditionnelles crées par notre maison. Et nous remarquons que les nouveaux consommateurs sont de plus en plus attentifs à la composition ainsi qu’aux ingrédients, ce qui nous convient parfaitement par rapport à ce que nous réalisons.
…SUR LE MARCHÉ ?
Certaines notions ou valeurs sont très à la mode depuis quelques années. Or, il faut souvent se méfier des raccourcis autour du commerce dit « équitable », du « bio », etc…
Car pour les petits producteurs qui n’exploitent que quelques hectares, se faire labelliser, en BIO par exemple, coûte très cher. Et la plupart du temps, cela les oblige à intensifier le nombre d’arbres à l’hectare pour pouvoir rentabiliser cet investissement.
Or, aussi paradoxal que cela puisse paraître, cela a justement pour effet d’augmenter les attaques de parasites donc de nuire autant aux rendements qu’à la diversité des productions dans les plantations…
C’est pourquoi chez BONNAT nous axons nos efforts d’abord et avant tout sur la préservation des variétés de cacao et sur la protection des forêts primaires environnantes. Il s’agit d’un travail considérable, de moins en moins intuitif, avec des démarches de plus en plus rigoureuses et scientifiques.
Enfin, le COVID a beaucoup perturbé les échanges internationaux et donc le tourisme. Mais les français ont tellement renforcé leurs achats en local que nous en bénéficions à plein actuellement et nous avons du mal à fournir !
… SUR VOTRE MÉTIER, LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION ?
Parmi les nouveaux acteurs « bean-to-bar », un certain nombre ne sont pas du tout issus de notre métier, se sont équipés avec des matériels de « fabrication maison » et la qualité des fabrications est très hétérogène. De quoi brouiller le message de qualité défendu par les artisans chocolatiers pour se différencier des industriels…
Après, que les clients soient de plus en plus sensibilisés aux enjeux de la filière cacao, nous militons en ce sens depuis des décennies donc cela est très positif !
Crédit photo portrait Stéphane BONNAT : Estelle TRACY
Bertil AKESSON
Propriétaire de plantations à Madagascar (cacao, poivres…), au Brésil et bientôt au Mexique, il exporte ses cacaos dans le monde entier, à destination de tous les chocolatiers qui travaillent depuis la fève (« bean-to-bar »). En outre, il propose une gamme de tablettes à son nom, réalisées selon son propre cahier des charges et bien sûr à partir de ses productions. Cette année, il n’avait pas pris de stand, mais une visite sur le salon lui permet d’échanger avec de nombreux clients et de pouvoir aussi prospecter.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Le marché de grande consommation cherche des goûts plutôt neutres, alors que les artisans recherchent des typicités propres à chaque terroir de production de cacao ; je suis donc davantage en relation avec ces derniers.
Globalement, on constate que les consommateurs réclament de plus en plus de tablettes où les profils aromatiques sont déterminants, ce qui est moins nécessaire pour fabriquer des bonbons où d’autres ingrédients entrent en jeu.
…SUR LE MARCHÉ ?
La COVID a posé et pose encore des difficultés à tous les opérateurs, en particulier ceux dont les ventes dépendent largement des touristes.
Les USA – le pays qui compte le plus de chocolatiers bean-to-bar au monde – ont massivement diminué voire stoppé leurs commandes de fèves courant 2020, pour reprendre de plus belle en 2021.
Et de mon côté, je ne peux pas accéder à mes propres plantations de Madagascar depuis le printemps 2020, le pays étant totalement bloqué ! Heureusement, mes équipes sur place se débrouillent parfaitement, d’autant qu’après 2 années catastrophiques (inondations & cyclones en 2018/2019) la récolte 2021 est superbe.
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
Les artisans – en particulier bean-to-bar – ont clairement le vent en poupe et maîtrisent de mieux en mieux le marketing autrefois réservé aux Industriels.
Par conséquent, les grands opérateurs sont de plus en plus contraints de se tourner eux aussi vers de meilleures qualités de production, notamment aux USA, au Japon ou en Suisse qui avaient démarré plus tardivement à s’engager dans cette direction.
Tout cela est donc de bon augure pour nous autres producteurs de fèves de terroirs et de qualité.
Christophe BERTRAND – A LA REINE ASTRID
Chocolatier bean-to-bar avec 8 boutiques, dont 4 co-détenues avec ses salarié(e)s, Christophe BERTRAND est un artisan engagé ! Avec passion, il défend les producteurs de cacao dans différents pays (Cameroun, Haïti…) que ce soit dans sa chocolaterie, au sein de la Confédération des Chocolatiers et Confiseurs de France où il a grandement œuvré pour la création du Club des Chocolatiers engagés.
VOTRE POINT DE VUE SUR…
… LES GOÛTS DES CONSOMMATEURS ?
Les codes dont nous avions l’habitude sont en train d’exploser : les clients sont de plus en plus experts, demandent davantage de transparence, y compris pour des produits longtemps relégués au second rang. Par exemple, cela nous pousse à apporter de la traçabilité y compris pour nos chocolats blancs, de proposer du beurre de cacao non désodorisé, etc…
Après, les consommateurs reviennent quand même aux valeurs sûres comme les pralinés, et on constate un recul des chocolats plus expérimentaux, comme les ganaches aux parfums parfois improbables…
Les effets de textures aussi sont de plus en plus demandés : croustillant, fondant, craquant…
…SUR LE MARCHÉ ?
En temps de crise, le chocolat démontre une fois de plus qu’il a la cote, et c’est une bonne nouvelle.
Du côté de la profession, il semblerait qu’un certain nombre de gros opérateurs souhaitent mettre la main sur des petites marques… A voir si ce mouvement se confirme.
… SUR LES ÉVOLUTIONS DE LA PROFESSION DE CHOCOLATIER ?
Je suis très confiant sur l’avenir de notre métier qui attire toujours davantage de consommateurs.
Quant à la recrudescence de chocolatiers bean-to-bar en France et dans le monde – que ce soit parmi les créateurs ou parmi les anciens chocolatiers qui s’y mettent – ce phénomène doit probablement inquiéter les couverturiers (ces opérateurs industriels qui fabriquent le chocolat pour le compte des chocolatiers non bean-to-bar, des pâtissiers et des confiseurs) qui perdent des clients et donc des tonnes de chocolat à la vente…