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Je vous partage ici un bilan de l’actualité 2022 en matière de protéines alternatives, et quelques pronostics pour 2023 (ou 2024, 2025… la prospective n’est pas une science dure !). Ce bilan est issu de ma veille quotidienne, de la lecture de centaines d’articles, de rapports et d’études, ainsi que de la participation à de nombreuses conférences et salons tout au long de l’année. Il s’agit forcément d’une sélection subjective, n’hésitez-pas à ajouter en commentaires s’il vous parait manquer des informations importantes et surtout à me faire part de vos propres pronostics !
Substituts Plant-based et Protéines végétales
Substituts à la viande
Depuis quelques mois on a vu paraître beaucoup d’articles pour annoncer la fin de la bulle des substituts à la viande, mais la réalité est plus contrastée que cela. Les difficultés, réelles, de Beyond Meat ont éclipsé d’autres évolutions, dont certaines positives, comme le fait que son rival Impossible Foods se développe, notamment en Asie. De même, Nestlé, qui a vendu près d’un milliard de dollars de produits plant-based en 2021 (au travers de ses marques Garden Gourmet, Natural Bliss, Vuna et Sweet Earth), a poursuivi en 2022 les lancements : faux foie gras, substituts aux œufs et aux crevettes, kit kat vegan…
De très belles levées de fonds ont eu lieu en 2022, notamment celles de Planted, Heura, NotCo, Redefine Meat, ainsi que les française Umiami, La Vie et HappyVore. Elles permettent l’augmentation des capacités de production, qui entraîne généralement la baisse des coûts, ce qui devrait rendre ces produits plus compétitifs. Autre fait marquant : les levées de fonds concernent également les start-ups asiatiques, comme la chinoise Starfield et la singapourienne Next Gen Foods, qui ont chacune levé la bagatelle de 100 millions de dollars, et qui visent les marchés de la région.
Pour mesurer la santé de ce marché, il faut regarder au-delà des ventes en grande distribution, car les vrais changements ont lieu dans la restauration, particulièrement dans les chaînes de restauration rapide telles Burger King (partenariats avec diverses start-ups dont La Vie pour son bacon).
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A suivre en 2023 et au-delà :
Evitons de juger les substituts sur la base de ce que l’on trouve aujourd’hui en rayon en France. Il suffisait de faire un tour à la Plant Based World Conference & Expo de Londres début décembre 2022 pour voir les progrès réalisés en termes de goût et de texture grâce à de nouveaux procédés. L’innovation permet de gagner en réalisme (Redefine Meat, Umiami) mais aussi de simplifier les recettes et d’aller vers le clean label (pour approfondir, voir ce webinaire).
Les économies d’échelle devraient, comme on l’a dit, entraîner une baisse des prix des substituts, voire pour certains permettre d’atteindre la parité-prix avec les viandes imitées, d’autant que l’inflation touche particulièrement les produits issus de l’élevage.
L’imitation ne sera plus l’alpha et l’oméga des alternatives à la viande : d’ores et déjà, de nombreuses start-ups se focalisent sur les plats préparés (convenience meals), et regardent du côté des cuisines ethniques pour trouver l’inspiration et créer des plats plant-based savoureux et non des analogues.
Substituts aux produits laitiers et aux œufs
La restauration rapide est, là aussi, le fer de lance de l’introduction de nouveaux produits par l’intermédiaire de partenariats, comme celui de Starbucks et Nestlé pour développer des boissons végétales.
Par ailleurs, 2022 a été l’année des lancements des substituts aux fromages par les grands groupes : Babybel et Vache qui rit végan de Bel, Philadelphia de Kraft Heinz, gamme Vivre Vert de Savencia, etc.
Dans le domaine des substituts aux œufs, la parité-prix a été atteinte avec les œufs premium par le leader américain Eat Just (grâce à une baisse des prix de 40% et à l’envolée du prix des œufs). De nouvelles start-ups se sont créées, notamment en Asie.
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A suivre en 2023 et au-delà :
Là encore, la parité-prix avec les produits « conventionnels » pourrait être atteinte pour certains produits (article à venir).
L’ingrédient phare du substitut de Eat Just, la protéine issue du haricot mungo, a obtenu l’autorisation Novel Food en avril 2022, son produit devrait donc être commercialisé en Europe.
Les fromages végétaux devraient subir la concurrence des fromages issus (ou contenant) de la fermentation de précision (voir plus loin).
Protéines végétales
On assiste à une diversification des sources de protéines utilisées dans les substituts à la viande et aux produits laitiers mais également dans des produits moins transformés : pois chiche, féverole, colza, épautre, chanvre, sarrasin, etc. La production et la constitution de nouvelles filières est encouragée dans plusieurs pays par des plans de soutiens gouvernementaux, comme au Danemark, au Canada ou encore en France.
La diversification passe de plus en plus par l’upcycling (valorisation de co-produits ou déchets d’une industrie) dans le cadre de projets d’économie circulaire (ex : boisson végétale à base de noix d’Unicoque valorisant des écarts de tri de noix). L’impact environnemental en est, en principe, réduit.
Viande in vitro
L’événement de 2022 est sans aucun doute le feu vert donné par la FDA (Food and Drug administration) pour la viande de poulet cultivée en laboratoire par la californienne Upside Foods (qui a par ailleurs levé 400 millions de dollars). S’il lui faut encore obtenir l’autorisation de l’USDA (ministère de l’agriculture américain) avant de mettre son produit sur le marché, d’autres start-ups sont aussi sur les rangs et en train de construire des usines, comme celle de Believer Meats en Caroline du Nord, qui aurait la capacité de produire 10 000 tonnes de viande par an.
En France, Gourmey, spécialisée dans le foie gras cultivé, a réalisé une levée de fonds de 48 M€ en octobre 2022 et installe un atelier de production en région parisienne.
L’agriculture cellulaire (qui concerne aussi le lait et les produits de la mer) a reçu en 2022 des soutiens financiers de gouvernement (Pays-Bas, Israël, Royaume-Uni, US, Norvège). On a vu la poursuite des partenariats entre les grands groupes de la viande et du poisson (PHW, Rügenwalder Mühle, Thai Union Group) et les start-ups.
Plusieurs entreprises ont affirmé avoir réussi à réduire leurs coûts de production grâce à de nouveaux procédés. La plupart assurent ne plus avoir recours au sérum fœtal bovin pour faire croître les cellules. Pour approfondir, voir le colloque organisé par l’Académie d’agriculture.
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A suivre en 2023 et au-delà :
Singapour, qui a autorisé le premier produit de viande in vitro (poulet de Eat Just), devrait donner son feu vert à l’australienne Vow (d’autres suivront sans doute).
Des autorisations de commercialisation devraient également intervenir en 2023 ou 2024 aux Etats-Unis et en Israël. Mais les produits autorisés ne seront vendus, dans un premier temps, que dans quelques restaurants et il faudra plus de temps avant de les retrouver dans les rayons des supermarchés de ces pays.
Fermentation de précision
Parmi les sources de protéines alternatives, la fermentation de précision est celle qui connaît actuellement les progrès les plus rapides. Depuis que Perfect Day a obtenu le statut GRAS aux Etats-Unis, il multiplie les partenariats avec les acteurs de l’agroalimentaires tels Bel, Nestlé, Unilever… Ses produits et ingrédients commencent à être diffusés en Asie. D’autres start-ups ont reçu à leur tour le feu vert pour des protéines de lait ou d’œufs issues de cette technologie.
Plusieurs start-ups se focalisent sur la caséine pour mieux reproduire des fromages, les alternatives végétales étant encore peu convaincantes dans ce domaine.
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A suivre en 2023 et au-delà :
La fermentation de précision devrait connaître un essor en Asie, en Inde et en Chine notamment, ainsi qu’au Moyen-Orient.
Il n’est pas improbable que le Royaume-Uni suive l’exemple des Etats-Unis et autorise certains produits, le Brexit lui ayant donné plus de latitude pour le faire. Parallèlement, un débat s’engagera au sein de l’Union européenne, qui devra notamment statuer sur le fait de savoir si les produits issus de la fermentation de précision doivent être considérés comme OGM ou non. Les réactions des consommateurs sont à ce jour difficiles à anticiper (tout dépendra de la façon dont cette technologie arrivera à se présenter).
Mycoprotéines
Les mycoprotéines (issues du mycélium de champignon fermenté) ne bénéficient pas de la couverture médiatique de la viande in vitro ou des insectes et pourtant, elles sont particulièrement prometteuses et se développent tranquillement mais sûrement.
Le pionnier Quorn, qui est sur le marché britannique depuis 1985, a poursuivi ses nombreux lancements de produits. Aux Pays-Bas, Enough a inauguré son usine qui lui permettra de produire, à terme, 60.000 tonnes de sa protéine Abunda par an, le tout en économie circulaire. La suédoise Mycorena et Tetrapack collaborent pour construire un nouveau site de production. L’américaine Meati a, de son côté, levé 150 millions de dollars pour accélérer son industrialisation. Aux Etats-Unis, Nature’s Fynd a commencé à commercialiser des produits fabriqués avec sa protéine Fy. Les industriels de la viande s’intéressent à cette technologie et des partenariats se nouent avec des start-ups.
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A suivre en 2023 et au-delà :
Les produits à base de mycoprotéines seront plus présents dans les rayons mais aussi dans la restauration hors foyer. Ils mettront en avant leurs avantages nutritionnels (notamment leur aspect « moins transformé ») et environnementaux.
Algues et micro-algues
Le secteur des algues et micro-algues fait l’objet de programmes de recherche comme le programme européen ProFuture. En novembre 2022, la commission européenne a adopté une communication pour développer le secteur des algues et leurs différentes applications (alimentation, feed, cosmétique, énergie, etc.) (Commission européenne)
Des producteurs ont réussi à mettre au point des ingrédients à base de chlorelle neutres en couleur et en goût. Quelques start-ups utilisent les micro-algues pour remplacer les produits laitiers, telle Sophie’s Bionutrients.
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A suivre en 2023 et au-delà :
Les algues et micro-algues seront utilisées surtout en ingrédients fonctionnels, par exemple pour remplacer la méthylcellulose dans les substituts végétaux à la viande, ou pour construire les échafaudages nécessaires à la viande in vitro.
Insectes
Les protéines d’insectes pour l’alimentation humaine ont reçu un coup de pouce en 2022 avec l’évaluation positive de l’EFSA pour la consommation humaine du scarabée Buffalo, quatrième espèce à recevoir ce feu vert de l’autorité européenne.
En 2022, InnovaFeed a levé 250 millions d’euros et Agronutris 16 millions d’euros. Ces entreprises, qui montent en puissance industrielle, restent toutefois focalisées principalement sur l’alimentation animale et le petfood.
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A suivre en 2023 et au-delà :
De nouvelle espèces pourraient être autorisées en alimentation humaine, dont la mouche soldat noir (Hermetia illucens).
Des progrès dans la sélection génomique des espèces permettront de créer des lignées d’insectes plus performants sur le plan nutritionnel et environnemental.
Perspectives communes à l’ensemble des protéines alternatives
Les sources de protéines alternatives ne devront plus, à l’avenir, être examinées séparément comme dans cet article car elles seront de plus en plus imbriquées, sous forme d’hybrides ou d’intrants (par exemple, les protéines par fermentation de précision qui servent à créer les milieux de culture pour la viande in vitro).
Les protéines alternatives qui passent à l’échelle industrielle devront faire preuve de davantage de transparence, à l’instar de ce que commencent à faire les pionniers de la viande in vitro. En particulier, les allégations environnementales devront être prouvées par des analyses en cycle de vie réalisée sous une forme normalisée et identique pour permettre les comparaisons.
L’acceptabilité des consommateurs, si difficile à mesurer lorsque les produits ne sont pas encore sur le marché, va pouvoir être observée « en grandeur réelle » avec la commercialisation de plus en plus large des produits issus de la fermentation de précision, des mycoprotéines et peut-être de la viande in vitro.
L’année 2023 nous réserve sans aucun doute un lot de nouvelles surprises : des progrès voire des sauts technologiques, des choix stratégiques forts de la part de grands groupes, des décisions politiques importantes dans certains pays, qui nous permettront de voir un peu mieux ce qui se dessine pour nourrir le monde demain.
Sur le même thème, précédemment publié sur StripFood :