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Nous voilà bien incapables d’agir face à l’urgence climatique.
La multiplication des actions des lanceurs d’alertes, les informations de plus en plus pressantes dans les médias, le dernier rapport du GIEC (et ses recommandations) ou encore les différentes marches pour le climat ne semblent rien y faire.
Pourtant, une récente étude BVA (LES EUROPÉENS ET LE CHANGEMENT CLIMATIQUE – BANQUE EUROPÉENNE D’INVESTISSEMENT / BVA – mars 2022) témoigne de notre lucidité sur la question.
72 % des Français pensent que le changement climatique sera toujours un problème majeur en 2050, contre 66 % des Européens. Seuls 24 % de nos concitoyens pensent que le problème sera alors sous contrôle (30 % des 15-29 ans) et 3 % qu’il sera résolu. Lorsqu’ils se projettent dans 20 ans, les Français imaginent que la lutte contre le changement climatique impliquera un changement de leur mode de vie.
En matière de transport, 68 % des Français pensent que la plupart des gens posséderont une voiture électrique ou à hydrogène et 34 % pensent que la plupart des gens ne posséderont plus de voiture.
En ce qui concerne le travail, 62 % imaginent que la plupart des gens feront du télétravail.
47 % pensent qu’il y aura un quota d’énergie alloué à chaque citoyen et 32 % imaginent que la plupart des gens auront adopté une alimentation à base de plantes.
37 % anticipent même des conséquences personnelles en pensant qu’ils seront amenés à déménager dans une autre région ou un autre pays à cause du changement climatique. Par ailleurs, 25 % des Français s’inquiètent de perdre leur emploi en raison de son incompatibilité avec la lutte contre le changement climatique.
Alors face à cette prise de conscience, comment expliquer notre incapacité à agir à court terme ?
Prenons le temps de découvrir pourquoi à travers 5 regards sur cette question.
#1
« Rééduquer notre cerveau pour sortir de la crise écologique » par Sébastien Bohler, ingénieur, ancien élève de l’École polytechnique, et docteur en neurosciences (durée 15 minutes)
#2
Pourquoi la culpabilisation écologique ne fonctionne pas ?
Podcast Vlan de Grégory Pouy qui interroge Albert Moukheiber, docteur en neuroscience et psychologue (durée 30 minutes)
Dans ce podcast, Albert Moukheiber explore les freins qui nous empêchent de passer de la prise de conscience à l’acte. Prenant l’exemple de la culpabilisation écologique qui ne fonctionne pas, ces mécanismes peuvent être bien entendu élargis à d’autres sphères.
Nous captons dans un premier temps une information qui assimilée peut se transformer en connaissance. Cette connaissance peut devenir une croyance et se transformer en intention puis en passage à l’acte. Mais ce schéma reste théorique et nous rencontrons des « pièges » nous empêchant de passer d’une phase à l’autre et en particulier à la phase du passage à l’acte. Quelques exemples de biais dont nous devons prendre conscience :
- exposition à des connaissances nombreuses et complexes souvent mal expliquées (défi de la pédagogie),
- exposition à de fausses connaissances,
- exposition à des connaissances vraies mais qu’on intègre de manière fausse et qui nous poussent ainsi à avoir de fausses croyances,
- incohérences des informations, des consignes pouvant être clairement dissonantes,
- biais de la distance temporelle qui nous empêchent d’agir dans l’optique de changements long terme car tout ce qui est dans l’effort décalé nuit à l’action à court terme,
- la diffusion de la responsabilité « pourquoi moi et pas les autres »,
- l’impuissance active, autrement dit le fait de ne rien faire pensant que cela ne servira à rien à notre simple niveau,
- désensitivation à trop d’informations anxiogènes auxquelles nous finissons par nous accoutumer,
- capacité à revenir sur un confort via nos plus ou moins grands privilèges.
Accès au podcast (durée 30 min)
#3
Discours retardant l’action climatique : à chacun son excuse !
Plus de détails sur les différents profil : ici.
Original article “Discourses of Climate Delay” published by Cambridge University Press in “Global Sustainability” :
Lamb, W., Mattioli, G., Levi, S., Roberts, J., Capstick, S., Creutzig, F., . . . Steinberger, J. (2020). Discourses of climate delay. Global Sustainability, 3, E17. doi:10.1017/sus.2020.13
( https://bit.ly/3rjoDK1 )
#4
On ne doit pas parler à tout le monde de la même façon car les freins sont différents selon les citoyens.
Une récente typologie de 6 comportements face à l’urgence climatique élaborée par LinkUpFactory nous éclaire sur les freins et les ressorts de ces différents groupes de populations.
#5
À l’origine du Green Gap, par Adeline Ochs
Adeline Ochs est professeur permanente à l’école Audencia à Nantes. Elle y enseigne le marketing durable et le marketing critique. Pour StripFood, elle a livré les raisons qui expliquent ce que l’on appelle le Green Gap. Cette expression, que l’on peut traduire par « écart vert » (dans le sens de l’écologie), désigne le fossé qui existe entre les bonnes intentions et les actions concrètes. C’est là que les comportements de la plupart d’entre nous se situent.
- La résistance au changement
Nos achats alimentaires obéissent à un effet de routine. Tout changement demande par conséquent un effort et se révèle être une source de stress. Si je change, mon produit sera-t-il aussi bon ou aussi pratique ? C’est encore plus vrai lorsque l’on parle de produits « plaisir ».
- La culture du moment présent
Entre le court terme et les enjeux environnementaux, notre cerveau met la priorité sur le court terme. La multiplication des offres comme celle Amazon Prime (livraison en un jour) ou celles du quick commerce, qui promettent les courses en moins de cinq minutes, nourrissent encore plus ce schéma de résistance et cette culture de l’instantanéité.
- L’égocentrisme
Nous sommes profondément égocentriques et focalisés sur nos besoins primaires et individuels, d’autant plus qu’il n’y a pas de pression sociale sur l’acte d’achat comme cela peut être le cas pour les aliments du placard. En effet, nous ne sommes pas dans le cas d’une paire de baskets VEJA ou d’une gourde qui rend visible notre engagement aux yeux de tous en nous valorisant.
- La défiance
Les communications environnementales se développent fortement. Mais face à la recrudescence des cas de greenwashing, le consommateur ne sait plus vraiment qui croire et devient méfiant sur ces questions.
- Le déni de préjudice
Le consommateur trouve une justification à son inaction comme par exemple le manque d’impact à son propre niveau.
- La culpabilisation
Encore une fois, la culpabilisation écologique ne fonctionne définitivement pas.
Parmi les réponses proposées par Adeline Ochs pour réduire ce fameux Green Gap, la première et la plus prioritaire (pour les acteurs de l’alimentaire) est celle de repenser l’offre de produits ou de services. Mais cela passe également par la création de nouveaux récits pour (re)construire un avenir désirable.
Il est essentiel que ces nouveaux récits (qui restent à inventer), puissent mobiliser les citoyens (et pas une seulement une ultra minorité et pas via la thématique de la décroissance) autour d’un projet de société positif. Les marques ont en cela un rôle essentiel car les imaginaires et les normes sociales se construisent à travers les médias et en particulier la publicité.
Pour conclure, en recadrant sur le thème de l’alimentation (qui est responsable d’environ 25 % des émissions de gaz à effet de serre), face à ce constat sans appel, je vous invite à relire la contribution de Bruno Parmentier pour StripFood (octobre 2021) : « Comment agir pour le climat via nos assiettes ? »