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Dernièrement, un livre m’a fortement interpellé : Du voyage rêvé au tourisme de masse. Ce livre questionne l’impact du tourisme de masse sur les équilibres environnementaux, économiques et sociétaux mais au delà du sujet, il pose la question de la massification des choses et de l’impact sur l’authenticité et la qualité.
Peut-on vraiment maintenir l’esprit des origines quand on raisonne à grande échelle ? Tourisme, information, alimentation : la qualité peut-elle être soluble dans la quantité ?
L’idée de masse et de volume implique nécessairement une accessibilité du prix donc a priori une tension avec la notion de qualité qui est plutôt synonyme de coûts (oui, la qualité a un prix). Comme le dit d’ailleurs Périco Légasse « un petit prix est toujours synonyme d’un vol ou d’un viol ». Néanmoins, des prix élevés ne sont parfois pas gage de qualité. Quoi qu’il en soit, ces deux notions sont relatives. Ne parle t-on pas de rapport « qualité-prix » ? Mais creusons davantage cette tension.
La fin du modèle de consommation de masse ?
Notre modèle économique traditionnel (hérité du fordisme et du taylorisme) est fondé sur une économie de la production de masse qui n’a cessé de se transformer pour permettre l’accès aux produits alimentaires pour le plus grand nombre. A l’époque, les placards de ma grand-mère étaient plein de sucres, farines et boîtes de conserves car des années auparavant, on avait connu le manque, les restrictions et le rationnement. De cette période post guerre, il nous reste un modèle qui a été pensé avec des enjeux bien différents du monde dans lequel nous vivons. On comprend alors, comme le cite Bruno Parmentier dans son interview sur le site Thinkerview (29 sept 2017), qu’« On ne peut pas juger des choix qui ont étaient fait dans les année 50 ou 60 avec la perspective de notre contexte car les enjeux et connaissances étaient différents ».
Les gens n’avaient pas grand-chose, un monde nouveau s’ouvrait, les grandes surfaces nous apprenaient ce qu’il fallait aimer. On a été heureux dans la consommation : avoir un gros chariot, c’était être quelqu’un » Chroniques chez Super U par Florence Aubenas Pour le Monde – 2019
Dans ce modèle dit de la « grande consommation », les consommateurs achètent et mangent ce que l’on produit pour eux (avec un goût de plus en plus standardisé pour plaire au plus grand nombre) et qu’on leur met à disposition «sous le même toit » dans les grandes surfaces, qui s’imposent comme les « temples » de la consommation. Le désir est suscité par les publicités dans les médias dits « de masse » ventant les mérites des produits à acheter. Pour maintenir à terme son leadership sur un tel marché, une seule solution : casser les prix et vendre le moins cher possible pour faire le maximum de volume.
La guerre des prix nous a fait perdre la valeur des choses
Tel est le monde dans lequel nous vivons encore où la variable prix devient la variable d’ajustement principale (même si les choses évoluent rapidement à ce sujet) propulsée par des positionnements d’enseignes de grande distribution se livrant une guerre des prix impitoyable. Nous avons tous en tête les messages assénés pendant plus de 30 ans comme le fameux « qui est le moins cher ? » de Leclerc.
Le rejet des modèles dominants
La rupture écologique que nous vivons, autrement dit la tension entre les ressources renouvelables disponibles et notre rythme de consommation effréné liée à la population sur terre, entraîne une « rupture écologique » sans précédent. C’est une des cinq grandes ruptures que nous vivons actuellement parfaitement expliquée par le physicien et philosophe Marc Halevy .
Nous passons ainsi de l’ère de l’abondance à celle de la pénurie. De nouveaux comportements et logiques se manifestent (sans se généraliser pour autant) et on commence à envisager de « faire moins mais mieux » que ce soit pour des raisons économiques (arbitrage budgétaire des ménages les plus défavorisés), d’extension de la sphère marchande nécessitant de nouveaux arbitrages pour de nouvelles dépenses voire comme levier de distinction sociale pour les plus favorisés. C’est un premier élément qui challenge (a priori) le développement sans limite de l’économie de masse.
Mais nous sommes également entrés dans une ère nouvelle sous l’impulsion du digital et de l’accès rendu quasi illimité à toutes les informations sur les produits et entreprises. Le consommateur désormais informé et méfiant a pris le pouvoir et peut à coup de smartphone entrer en contact directement avec les marques et entreprises pour faire pression sur ce qu’il souhaite. Car oui, désormais nous entrons dans un monde où l’agriculture et les industriels vont devoir s’adapter aux nouvelles demandes des consommateurs même si elles sont parfois paradoxales. Avant, on produisait et le consommateur achetait. Maintenant, le consommateur a le choix et, en partie, la capacité de faire changer la production. C’est la fin annoncée de la « grande consommation » et le passage vers une fragmentation de la consommation.
Plus de local, plus de naturel, plus de bio, plus d’écologie, plus d’équitable… Une part grandissante des consommateurs souhaite des produits de moins en moins industriels et transformés et rejette les modèles dominants. C’est le succès des petites marques artisanales mais aussi le retour du fait-maison ou « do-it-yourself ». Les grandes entreprises, parfois incapables de muter vers ce modèle s’offrent de jolies start-ups. C’est le cas par exemple de Danone s’offrant Michel et Augustin ou encore Yoggi dans le secteur du babyfood.
Désormais les critères de succès seraient moins le volume et le prix que la recherche de valeur et de qualité. On parle même de déconsommation même si cette question doit être extrêmement relativisée comme l’explique Jean-Laurent Cassely dans cet article de Slate : La société de consommation est morte, vive la société de consommation
Bien entendu, ne nous trompons pas, l’économie de masse est encore toujours là. Les chiffres de progression de ces nouvelles offres alternatives dont on parle dans tous les médias (bio, équitable, local, vrac…) sont forts (mais représentent encore une part infime de la consommation) et le format « classique » des hypermarchés, continuant de souffrir au profit des autres réseaux (nous fréquentons en moyenne 7 réseaux de distribution différents par mois), essaie lui même de se transformer pour résister.
De plus, la démocratisation de certaines démarches comme le bio questionne déjà : Alimentation : la guerre des prix menace dans le bio (Le Monde)
Tout le monde veut plus de qualité mais qui va payer ?
Mais alors, peut-on vraiment dans ce contexte concilier ces nouvelles exigences de qualité avec le plus grand nombre ?
Je vous ai posé cette question sur Facebook et Twitter il y a quelques semaines et pour 75 % d’entre vous ce serait effectivement possible. Vous êtes aussi nombreux à m’avoir envoyé vos idées et je vous en remercie.
Beaucoup citent spontanément ce que l’on peut appeler des micro-démarches parfaites. Acheter sur les marchés, dans les petits commerces de centre-ville, en AMAP, sur les drives fermiers, les produits équitables, bio ou encore directement à la ferme. Pour d’autres ce serait également simple de ne plus acheter de nourriture industrielle et de se remettre en cuisine. C’est un raisonnement a priori parfait qui nécessite néanmoins du temps (que nous ne sommes pas prêts à concéder totalement à notre alimentation vs nos loisirs en particulier) mais surtout de l’argent car ces solutions peuvent être parfois deux fois plus chères que les courses en grande distribution. On perçoit en tout ça à court terme les limites de ces injonctions extrêmes au « mieux consommer ».
La notion de qualité est multi-factorielle et surtout relative
Pour répondre à la question initiale, il convient de se positionner au plus juste sur ce que l’on entend par « qualité ».
Relative en fonction des cultures, des époques, du niveau de connaissances mais aussi des personnes, la notion de qualité en alimentation s’est considérablement enrichi et n’a jamais été aujourd’hui aussi complexe à décoder. Pourtant, la tentation est grande d’en simplifier la lecture comme par exemple avec les applis nutritionnelles telles Yuka.
Citons, par exemple, comme critères de qualité : la qualité sanitaire, la qualité gustative, la qualité diététique, la qualité symbolique de l’élément, la prise en compte des impacts sur l’environnement, la saisonnalité, le bien être animal, la dimension sociale ou équitable,… L’Obsoco a hiérarchisé les principaux critères de qualité en alimentaire selon les français (ce qui cache par conséquent de très grandes disparités) dans une étude datant de 2016. Le premier critère est l’information sur la traçabilité de produit, ensuite sa composition puis son apparence.
Dans ce contexte, les acteurs de l’agriculture et de l’alimentaire se mobilisent fortement autour du mieux manger, c’est la « révolution alimentaire » et c’est tant mieux. Des offres alternatives apparaissent mais ces offres sont en réalité plus chers, ce qui est parfaitement logique car la qualité a un prix. Aujourd’hui, si certains consommateurs sont en effet prêts à payer un surcoût important (avec des critères de qualité toujours plus nombreux se cumulant parfois même à outrance avec l’avalanche de labels), la masse des consommateurs ne l’est pas our des raisons économiques. En fin de comptes, il y a peu de chances que nous consommions demain tous bio, équitable, en vrac et sans emballage. C’est une parfaite utopie. Mais c’est certainement cette forme d’utopie ambiante qui fera progresser l’ensemble des marchés.
L’éducation alimentaire est le levier le plus puissant pour faire changer
Pour contrer l’argument économique d’accès à une offre de meilleur qualité, une solution passe par une meilleur information et surtout une intégration de l’éducation alimentaire dés le plus jeune âge. Réapprendre à mieux s’informer tout comme accepter d’accorder plus du temps pour cuisiner soi-même avec des produits de base et de saison qui reviennent moins chers que des produits transformés est une piste puissante.
L’échec des légumes moches se rencontre surtout chez les consommateurs « déracinés » (avec le monde agricole ou ses connaissances) et qui habitués aux légumes à l’aspect parfait ont du mal à remettre en cause leur système de valeurs. Le Figaro
En attendant, même si la révolution alimentaire est en route et le mouvement vers davantage de qualité est global, cela n’ira pas à la même vitesse partout, c’est évident. Et comme l’affirme bien justement Yves Puget dans un éditorial de LSA « cela doit se faire le plus souvent par conviction (« consommer autrement »), parfois par incitation et le plus rarement possible par obligation. Et sans laisser de côté ceux qui ne pourront suivre financièrement ».
De quoi calmer parfois certaines ardeurs jusqu’au-boutistes ou injonctions à tout va, pouvant s’avérer parfois non seulement fortement culpabilisantes mais surtout extrêmement contre-productives.