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Promue par la loi Egalim, la restauration collective avait ouvert le bal pour cadrer la démarche éco-responsable des restaurants. Or, depuis peu, les initiatives de labellisation se multiplient également dans la restauration commerciale. Un retard qu’il était bon de combler mais qui, pour le coup, ouvre certaines questions.
Quel label éco-responsable choisir pour son restaurant ? Peut-on avoir confiance ? Cela aidera-t-il les restaurants à se démarquer ? Faisons un tour d’horizon des initiatives existantes aujourd’hui en France pour guider tant le restaurateur que le consommateur dans ses choix.
Tout d’abord il est important de préciser que ces six initiatives se divisent en deux catégories : Ecotable, FIG, l’Association Française des Maîtres restaurateurs (AFMR) et Green Food sont des organisations qui se revendiquent comme des labels, tandis que Bon pour le climat ou Slow Food sont avant tout portés par un manifeste ou des conseils qui ont pour intention première de rassembler une communauté de principes et d’échanges de bonnes pratiques. La distinction est importante car elle n’engage pas les acteurs de la même manière sur les garanties que l’on peut attendre d’eux. Mais il m’a semblé intéressant néanmoins d’inclure ces deux derniers au vu de l’intérêt de leurs approches et parce qu’ils peuvent être perçus comme des labels par les consommateurs.
Enfin, je tiens à préciser que mes remarques sont totalement indépendantes, avec leur degré de subjectivité correspondante, comme par exemple sur le choix d’inclure l’AFMR, un label qui ne se positionne pas pleinement sur l’éco-responsabilité comme les autres, mais qui soutient néanmoins de nombreuses actions allant dans ce sens.
Trêve d’introduction et bonne dégustation.
Alexandre Durrande
Rédacteur indépendant spécialisé dans l’alimentation et la restauration durables.
Une opportunité de réponse aux attentes des consommateurs
Le restaurateur a une chance indéniable, celle de pouvoir dialoguer avec son client. Nul doute que la meilleure démarche est bien celle de partager en direct ses engagements durables, l’origine et l’histoire de ses assiettes (encore faut-il un personnel formé et motivé bien sûr !). Toutefois, la réalité rend la tâche souvent difficile. Coté client, habitué par les labels alimentaires (Bio, Commerce Équitable, Bleu Blanc Coeur, etc.) et les applications mobiles (Yuka, Siga, Etiquettable, par exemple) il y a également le souhait d’être rassuré au doigt et à l’œil sur les engagements pris par l’établissement. C’est ce que nous rappelle l’étude “Les pratiques responsables dans les CHR” (2019) qui indique que seulement « un Français sur dix pense que le secteur est engagé dans le développement durable », alors que « 70 % des Français sont prêts à davantage fréquenter un CHR engagé » (des chiffres bien sûr à contraster avec les critères de choix toujours indétrônables : la qualité et le prix). L’autre information à considérer est que « 54 % des consommateurs veulent pouvoir identifier les restaurants engagés au travers des labels, 53 % via l’affichage en devanture et 27 % via l’affichage en intérieur ». En somme, il faut déjà les convaincre d’entrer avant d’entamer la discussion.
Les initiatives citées ici l’ont bien compris et leur multiplication ces derniers temps en est la preuve. Mais parlant de preuves, ces labels eux-mêmes sont-ils de toute confiance ?
Transparence sur l’engagement du restaurant
C’est le point essentiel bien sûr, les labels sont avant tout une histoire de confiance avec les acteurs du secteur et les consommateurs (il suffit de voir les critiques récurrentes du label MSC sur la pêche durable). Pour déterminer cette confiance, on peut se baser principalement sur l’exactitude et la transparence des critères d’évaluation et, de manière plus subjective, sur le soutien dont bénéficie le label.
Sur le premier point, il y a d’abord une question de visibilité aux yeux des consommateurs. Ici, Ecotable sort nettement son épingle du jeu car c’est le seul à afficher clairement ses critères de sélection. Certes, Green food partage également une charte avec six critères mais ceux-ci demeurent globalement trop génériques. Entendons-nous sur ce point :
- Critère générique : une meilleure gestion des déchets par le tri.
- Critère spécifique : j’effectue systématiquement le tri sélectif.
Cette visibilité rend la démarche plus crédible pour le consommateur car sinon on ne sait pas bien comment chaque label fait sa petite cuisine pour labelliser ou pas un restaurant. C’est le cas de l’AFMR ou de FIG notamment, qui, comme bien des labels, souhaitent garder leur confidentialité (pour des raisons commerciales, on suppose) et réservent le détail supposé précis des critères aux restaurants inscrits.
La démarche devient encore plus floue concernant Bon pour le climat ou Slow Food. Ici, les recommandations sont plutôt des pistes d’orientation générales (notamment dans le cas de Slow Food) et n’engagent pas le restaurateur. Cette confiance octroyée peut donc prêter à questionnement si le consommateur a tendance à associer ces projets à des labels. Car, comme souligné en introduction, et à leur décharge, il est important de rappeler que ces deux projets ne se revendiquent pas comme des labels.
Le deuxième point est plus subjectif. Quels appuis ont chacun de ces labels ? En somme, il s’agit de leur octroyer une légitimité de facto grâce au nombre et à la « qualité » des signatures qui apparaissent en bas du document ! J’ironise un peu mais pourtant je suis d’avis d’y faire référence. Sur ce point donc, nous pouvons faire confiance à la plupart des labels. Non seulement ils sont déjà tous repris par un certain nombre de restaurants mais, de surcroît, ils ont une histoire ou un réseau conséquent. C’est notamment le cas pour ceux qui cherchent à créer une communauté (Ecotable, Bon pour le climat, L’AFMR ou Slow Food). Je vous renvoie aux détails des labels plus bas pour en savoir plus.
Être accompagné et rejoindre une communauté
Si la fonction première d’un label est bien d’octroyer ou non un statut suite à un audit, la démarche gagne à être secondée par un accompagnement et / ou une communauté d’échanges de bonnes pratiques.
Ainsi, en plus d’un audit qui naturellement découle de recommandations, Ecotable, FIG et AFMR sont les trois labels qui se positionnent le plus clairement dans une démarche d’accompagnement. Ecotable a d’ailleurs un classement en trois niveaux d’engagement qui pousse les restaurateurs à une amélioration continue.
Rejoindre une communauté est un deuxième axe essentiel car l’on sait combien partager avec ses pairs peut être motivant et rassurant. De par leur statut associatif, Bon pour le climat, Slow food ou L’AFMR ont naturellement choisi cet axe en organisant des rencontres et des évènements. L’AFMR est certainement le plus consolidé et le plus actif de ces labels tandis que Bon pour le climat se démarque notamment par le partage de recettes entre pairs (notons qu’Ecotable revendique également une communauté mais il semblerait que celle-ci soit pour le moment plutôt axée sur Paris).
La diffusion, un élément clé
Gagner en visibilité est sans aucun doute un des défis essentiels à surmonter. À quoi bon se faire certifier si le label en question est peu connu du grand public, demanderont les plus sceptiques. Nul doute qu’une partie du marché se joue à ce niveau-là, chacun essayant d’aller plus vite pour se faire connaître. Là-dessus, en dehors de l’AFMR qui, au fil des années, s’est bien installé dans le paysage culinaire français, peu de labels ont atteint encore une popularité satisfaisante. FIG a su néanmoins contrecarrer cette difficulté en s’associant dès le départ avec The Fork (la fourchette) et Tripadvisor. Face à la combinaison gagnante « visibilité / crédibilité », il est certain que FIG a marqué un pas en collaborant avec ces applications grand public, mais le temps nous dira sur quel label les français finiront pas jeter leur dévolu.
Revoyons pour finir toutes ces initiatives en essayant de faire ressortir les forces et « faiblesses » de chacune.
Type: label
Nombre d’établissements (en janvier 2021) : 96
Coût d’adhésion: non renseigné
Les points positifs:
- La visibilité et la clarté des engagements en trois niveaux, détaillés et spécifiques;
- L’accompagnement;
- Un réseau de prestataires engagés partagé avec les adhérents (des agriculteurs aux associations de récupération des invendus);
- Des badges pour compléter les spécificités des restaurants (vegan, viande durable, locavore, etc);
- Une association annexe pour créer une communauté, multiplier les échanges, les campagnes de plaidoyer, etc. axée principalement sur Paris;
- Présentation soignée et détaillée des restaurants labellisés;
- Un pré-audit en ligne;
- Des soutiens bien ancrés dans la restauration durable et/ou de renom (Chloé Charles, Emmanuelle Riboud, François-Régis Gaudry).
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc.:
- Pas d’infos sur le prix de l’adhésion au label et les modes d’accompagnement;
- Pas d’infos sur le renouvellement du label.
FIG:
Type: label
Nombre d’établissements (en janvier 2021): non renseigné (mais estimé à un peu plus de 130).
Coût d’adhésion: gratuit
Les points positifs:
- Un projet et une communication vraiment faciles d’usage;
- Un partenariat avec The Fork (la fourchette) et TripAdvisor;
- La gratuité du service;
- Un pré-audit en ligne qui engage immédiatement le restaurateur;
- La rapidité du service (5 jours pour recevoir le bilan de l’audit).
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc. :
- Pas de détails précis sur les critères d’éligibilité au label (du moins pour le consommateur);
- Il est mentionné qu’il peut être demandé aux restaurateurs des factures pour vérification mais cela ne semble pas obligatoire.
Type: label
Nombre d’établissements (en janvier 2021) : 52
Coût d’adhésion: non renseigné
Les points positifs:
- La visualisation des restaurants sur une carte.
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc.:
- Pas de détails précis sur les critères d’éligibilité au label (du moins pour le consommateur);
- Pas d’informations sur le prix, le mode de vérification (factures, etc.) ou sur le renouvellement du label.
L’association Française des maîtres restaurateurs
Type: label (seul titre délivré par l’état pour la restauration française)
Nombre d’établissements (en janvier 2021) : 1250
Coût d’adhésion: non renseigné
Les points positifs:
- Un cahier des charges qui s’appuie notamment sur la traçabilité, la saisonnalité et l’origine locale des produits;
- Un renouvellement tous les 4 ans;
- La visualisation des restaurants sur une carte;
- Une application;
- Une communauté de professionnels bien ancrée sur le territoire, avec des événements fréquents.
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc.:
- Pas de détails précis sur les critères d’éligibilité au label (du moins pour le consommateur);
- Pas d’informations sur le prix ni le mode de vérification (factures, etc.);
- Les fiches des restaurateurs ne sont pas toujours actualisées ni très garnies en informations.
Type: n’est pas un label en soi.
Nombre d’établissements (en janvier 2021) : 77
Coût d’adhésion: 100€/an
Les points positifs:
- Un éco-calculateur permet aux adhérents de calculer l’empreinte carbone des recettes. Une démarche, des conseils ancrés sur la cuisine;
- Une expérience, une équipe et un réseau de professionnels bien ancrés dans le secteur de la restauration (Olivier Roellinger est membre d’honneur).
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc.:
- Les critères affichés sont d’ordre informatif et le consommateur n’a pas de garanties sur la réalité concrète des engagements pris par le restaurant (point mentionné en introduction).
Type: n’est pas un label en soi
Nombre d’établissements rattachés à l’Alliance des cuisiniers (en janvier 2021) : 69
Coût d’adhésion: non renseigné
Les points positifs:
- Un mouvement dont le renom est partagé mondialement.
- Défense très forte de la biodiversité, des savoir-faire et des produits locaux.
On aimerait plus d’infos, de garanties, etc.:
- Les critères affichés sont d’ordre informatif et très génériques. Le consommateur n’a pas de garanties sur la réalité concrète des engagements pris par le restaurant (point mentionné en introduction) ;
- Pas d’informations sur le prix ni le renouvellement de l’adhésion ;
- Le projet associé « L’Alliance des Cuisiniers » semble encore en voie de consolidation.
Bonus track : pourquoi ne pas avoir inclus Framheim, les étoiles vertes du Guide Michelin ou le Collège Culinaire de France ?
Framheim est un autre label de restauration durable qui mérite vivement que l’on se penche dessus. Il présente une transparence, une expertise et un accompagnement qui pourraient en inspirer d’autres. Toutefois, il n’a pas été inclus dans la liste générale car il se concentre exclusivement sur le gaspillage alimentaire.
Le Guide Michelin a intégré en 2020 un nouveau pictogramme vert visant à mettre en valeur les restaurants « durables ». Cette distinction n’a pas été incluse ici car il s’agit bien d’une distinction, un « prix » indépendant de l’intention du restaurant de se faire labelliser. Allez voir les beaux portraits des chef(fes) engagé(e)s sur leur site.
Quant au Collège Culinaire de France, même si l’on ne doute pas de ses convictions proches du développement durable, il y a trop peu d’informations concernant la sélection des membres pour nous permettre de garantir le respect de critères durables (au contraire de Bon pour le climat ou Slow Food qui eux non plus ne sont pas des labels en soi).
En conclusion
On sait que la question des labels est essentielle pour faciliter et garantir la confiance des consommateurs. Pour autant, quand ceux-ci commencent à se reproduire, l’on voit bien, comme avec les labels de l’agroalimentaire, que l’on peut vite basculer dans la confusion inverse. Soyons vigilants mais souhaitons toutefois le meilleur à tous ces projets qui globalement nous apportent des garanties satisfaisantes et font collectivement bouger un marché qui en avait bien besoin.
Restaurateurs comme consommateurs, j’espère que ce « petit tour » vous aura aiguillés.