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Maitriser son alimentation est l’un des enjeux clés de la transition alimentaire, la plupart des acteurs de la chaine agroalimentaire l’ont bien compris. Le consommateur s’intéresse chaque jour un peu plus à ce qu’il mange : provenance des produits, conditions de fabrication, composition, traçabilité, impact sur la santé et l’environnement.
Cette préoccupation prend parfois une tournure culpabilisante et entraine ainsi les consommateurs dans des parcours de consommation emprunts de méfiance. Equipés de leurs smartphones, ils téléchargent de multiples applications, consultent les blogs, se nourrissent d’une information angoissante sur l’alimentation… Bref, quel stress de faire ses courses !
Et le goût dans tout ça ?!
Quelle place tient-il dans l’esprit des consommateurs ? Et du coté des industriels ?
Interrogés par Loic de Béru de 109-Conseils pour StripFood, Jean-Marie Baudic, Chef du restaurant Le Ciel de Rennes, Sébastien Guillon, Directeur général de Michel et Augustin, Armelle Guizot, Directrice marketing marque d’aucy France, Guy Lepel Cointet, Directeur marketing du groupe Bigard et Gwenaëlle Lettermann, Directrice Marketing Lactalis Fromages ; ont témoigné de la place du goût et du plaisir de manger dans nos vies.
Une dimension « plaisir » déclinée autour de 5 thématiques : la découverte, la cuisine, le partage, la dégustation et la confiance.
S’initier au goût le plus tôt possible
Pour le chef, Jean-Marie Baudic le goût se forge grâce aux références enregistrées durant l’enfance. Il milite pour une éducation au goût, le plus tôt possible : « il faut goûter et encourager la curiosité du consommateur. C’est important de lui faire découvrir au rythme des saisons, des fruits et légumes à maturité. Une carotte peut révéler un goût particulièrement agréable si elle est cuisinée au bon moment avec un brin d’originalité ».
Quand ce n’est pas la saison, le chef milite pour les bocaux et les conserves qui permettent d’emmagasiner et stocker pour l’hiver, les bonnes saveurs du printemps. « Nous devons accompagner les consommateurs pour leur apprendre à assembler et cuisiner des produits simples, à faire du bon avec quelques restes. Et cela dès le plus jeune âge, en commençant à l’école ».
Faire preuve de pédagogie
Guy Lepel Cointet confirme l’importance de la pédagogie : « Chez Charal, en association avec des chefs, nous proposons des expériences de découverte et d’apprentissage autour de la viande. Comment la choisir ? Comment la cuire ? Comment la déguster ? Au travers d’ateliers et de magasins éphémères, nous transmettons tout un vocabulaire et une pratique, et le succès est au rendez-vous ». Il s’agit de vulgariser le discours technique et de rendre la cuisine de la viande plus accessible.
Gwenaëlle Lettermann approuve. « Nous avons un rôle à tenir dans l’éducation au goût. Cela concerne tant l’attention que nous portons à ce que nous mangeons, que la transmission de toute l’histoire qui existe derrière le produit, depuis les terroirs jusqu’aux savoir-faire. Le fromage, c’est un peu comme le vin, l’éducation du palais se fait petit à petit, la perception du goût évolue, il y a une montée en puissance ». Chez Lactalis, cette approche se traduit par une attention particulière portée à la richesse aromatique des fromages avec une culture de la dégustation à tous les niveaux de l’entreprise. La mise en place de jurys sensoriels qui suivent quotidiennement la qualité des produits, en est une illustration.
Le groupe laitier et fromager contribue également via sa « Camembert Académie » à révéler tous les plaisirs du camembert. Un travail collaboratif avec des chefs auquel est associé Xavier Thuret, Meilleur Ouvrier de France. L’équipe de chefs montre qu’il existe plusieurs « plaisirs camembert » et identifie de nouvelles associations de saveurs pour finalement rendre le bon goût, accessible à tous : comme par exemple, avec du kiwi ou même du chocolat noir !
« Faire du bon autrement »
Chez d’aucy, les envies des consommateurs sont auscultées. Les légumes préférés de nos grands parents ne sont plus ceux des nouvelles générations. Ces derniers accordent plus de place aux légumes secs et aux légumineuses par exemple. Mais, quelle que soit la génération, « notre exigence est de retrouver le bon goût du légume » précise Armelle Guizot, directrice marketing de la marque d’agriculteurs.
Cette volonté de diversifier et déstandardiser les recettes est au cœur de la stratégie de Michel et Augustin comme en témoigne Sébastien Guillon. « Le chocolat a été surutilisé ces dernières années. On peut faire du bon autrement, en explorant des nouvelles saveurs plus proches de la nature, avec des fruits ou des inspirations exotiques par exemple. Le succès des restaurants de poke bowl ou des recettes à base de lait de coco, illustrent bien cette évolution. Nous avons un rôle à jouer dans l’éducation au palais des plus jeunes, nous souhaitons accompagner cette évolution vers des produits moins sucrés ». Une motivation qui pourrait se traduire à terme, par un engagement plus fort envers l’éducation au goût des enfants.
Se (re)mettre aux fourneaux
Jean-Marie Baudic, le chef du restaurant Le Ciel de Rennes, encourage le « fait maison ». Il préconise de revenir aux fondamentaux en cuisinant des recettes simples, adaptées à de petits espaces de vie et réalisables avec un équipement standard. « On peut très bien s’amuser et se faire plaisir avec des produits du quotidien. Quoi de plus simple qu’un bouillon de volaille avec quelques os de poulet ? Nous devons être acteurs de nos assiettes ». Jean Marie Baudic recommande de faire ses courses avec une nouvelle approche : écouter ses envies et acheter moins, mais mieux.
Chez Michel et Augustin, la proposition faite à chaque salarié de passer son CAP pâtissier remporte un franc succès et constitue une véritable découverte. « Ce diplôme a le double avantage de renforcer les connaissances de nos collaborateurs et d’alimenter la passion pour les produits » explique Sébastien Guillon.
Du « fait maison » … grâce aux produits industriels
Armelle Guizot fait, elle aussi, le constat d’un intérêt grandissant pour le cuisiné maison. « L’une de nos missions est de contribuer à donner des idées aux consommateurs, en montrant tout ce qu’il est possible de faire avec des légumes en conserve… La culinarité du légume se développe, il existe mille et une manière de manger des légumes : écrasé, gratin, quiche, salade…». Le légume dans tous ses états, voilà qui plairait à Alain Passard, mordu de légumes ou Claire Vallée, la cheffe fraichement étoilée pour sa cuisine centrée sur le végétal. Armelle Guizot ajoute : « nos produits en boite ou en bocaux renouvellent l’image de la conserve. Nous la mettons au service du cuisiné maison et de la créativité ».
Dans le Groupe Bigard, Guy Lepel Cointet milite également pour l’acte culinaire. « On ne peut pas opposer le fait maison et l’industriel, ces deux mondes sont complémentaires ! Les trois marques du Groupe proposent une large gamme de produits qui incitent le consommateur à cuisiner chez lui. Nous proposons par exemple aussi bien des steaks hachés pour confectionner ses propres burgers que de la viande hachée en vrac, pour faire un hachis parmentier maison ».
L’industrie permet aussi de manger des produits qu’il serait difficile de préparer chez soi, par manque de matériel, de temps ou de technique… C’est le cas par exemple d’un carpaccio de bœuf aux tranches transparentes ou un fondant de bœuf, cuit lentement à basse température.
« Les consommateurs souhaitent davantage cuisiner à la maison : c’est l’un des enseignements majeurs du premier confinement » affirme Gwenaëlle Lettermann. Le géant laitier y voit une opportunité pour développer des produits qui s’inscrivent dans une cuisine d’assemblage, facile à réaliser. « Ainsi, l’Extra fondant, apportera une touche gourmande à un plat chaud par exemple ».
La dégustation : une expérience multisensorielle
Après avoir découvert puis cuisiné un produit, vient le temps de la dégustation et de son corollaire : le plaisir de déguster.
« La principale raison de consommer de la viande tient au plaisir qu’elle procure, explique Guy Lepel Cointet. Pour 67% des consommateurs le goût est la première motivation d’achat. 42% d’entre eux déclarent que c’est le plaisir de cuisiner cette viande qui prévaut et pour 38%, le plaisir se situe davantage dans le partage. La dégustation est une expérience multisensorielle poursuit-il. On parle de la flaveur d’une viande, cette sensation qui mêle les saveurs et les arômes mais aussi de sa texture, en appréciant sa jutosité et sa tendreté ». L’univers de dégustation est très riche et cela confirme un point : la quête du goût est une motivation d’achat primordiale.
Dans son restaurant, Jean-Marie Baudic utilise particulièrement les produits Bleu-Blanc-Cœur. « Qu’on parle de viande ou de produits laitiers, le point commun c’est la matière grasse. C’est un vecteur indispensable du goût qui favorise la dégustation. Valoriser le gras, c’est dénaturer au minimum le produit ». C’est dans cet esprit qu’un agriculteur inscrit dans la démarche Bleu-Blanc-Cœur, nourrit différemment ses bêtes pour qu’elles offrent une meilleure expérience de dégustation aux futurs consommateurs.
Chez Lactalis, « la vue » est sollicitée dans l’expérience de dégustation. « Le plaisir, du premier regard à la dernière bouchée », c’est ainsi que Gwenaëlle Lettermann parle des fromages Président. Manger un fromage, c’est faire appel à tous ses sens en revenant à l’essentiel. Au cours d’une journée, ces instants de consommation sont autant de petits (ou grands) plaisirs qui comptent. « Nous sommes attentifs à repérer et identifier les préférences gustatives des consommateurs pour leur proposer des produits adaptés à leurs envies. L’attente pour des textures gourmandes et savoureuses nous a par exemple inspiré le lancement de la gamme « L’Extra fondant », pour sublimer et révéler des arômes crème beurre en bouche ». Une autre façon de mettre le goût en valeur !
Le contenant, partie intégrante de l’expérience sensorielle
« L’approche multisensorielle est au cœur de la proposition des produits chez Michel et Augustin » précise Sébastien Guillon. Cela se traduit par un goût reconnaissable et ce qui se veut « une expérience de dégustation ». Une expérience qui démarre dès l’emballage. Le contenant préserve les qualités organoleptiques du produit et fait de l’ouverture du sachet, la première étape de la dégustation.
Une préoccupation partagée par la coopérative légumière. « Même sur un produit aussi simple que le petit pois, nous devons proposer une expérience réussie de dégustation » complète Armelle Guizot. « Il doit être sucré, fondant, tendre… Un bocal en verre permettra d’apprécier encore mieux les qualités du produit ».
Partage et convivialité : une tradition culinaire
Les Français sont les champions du monde du temps passé à table. L’UNESCO ne s’y est pas trompée en classant en 2010 le « repas gastronomique à la française » patrimoine culturel immatériel de l’humanité. L’argumentation, sans retenue, soulignait une « pratique sociale coutumière, destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes ». Au-delà des plats, ce qui constitue le repas à la française, c’est bien la pratique sociale inhérente : la convivialité, le plaisir du goût, le partage, l’association mets et vins, le lien aux terroirs, etc.
Pour Guy Lepel Cointet, la dimension « partage » commence dès le conseil de l’artisan, avec la transmission de sa passion du produit et des idées pour le cuisiner. « Nous avons créé le club « Mon Boucher est un Artiste », avec nos partenaires artisans bouchers traditionnels. L’ambition est de les impliquer dans une relation créative avec leurs clients ».
L’apéro, un moment de partage important
Chez Lactalis, « nous avons compris que le plaisir partagé est très important. Nous avons créé les apéros camembert avec des produits plus festifs. Nous proposons aussi des apéritifs par région en associant les produits locaux avec du camembert. Une manière de partager des recettes » explique Gwenaëlle Lettermann.
Les nouvelles générations pratiquent des repas plus déstructurés autour d’un plat principal et d’un dessert. L’apéritif et les repas partagés prennent de plus en plus de place dans leurs habitudes. « Chez d’aucy nous avons clairement identifié ces nouveaux instants de consommation. Pour y répondre, nous proposons des produits ou des recettes faciles à faire, décontractés et créatifs tels que du houmous, des dips d’asperges ou des makis de cœurs de palmiers » détaille Armelle Guizot.
L’heure de l’apéro a aussi sonné chez Michel et Augustin pour qui la dimension partage est essentielle. « Pendant les confinements, alors que les bars sont fermés, nous voyons la vente de nos produits apéritifs progresser, tout comme nos grands formats de desserts, synonymes de convivialité » précise Sébastien Guillon. Le partage, un élément de l’ADN de la marque qui a ouvert ses locaux (la Bananeraie) aux consommateurs dès ses débuts. La communauté des « trublions du goût » peut ainsi venir goûter les produits et tester de nouvelles recettes.
Pas de plaisir sans confiance
Le plaisir des papilles commence par l’histoire du produit : de son origine à sa fabrication. Pour manger un produit les yeux fermés, il faut avoir confiance.
Jean-Marie Baudic insiste sur l’importance du lien à la terre et sur le bon sens paysan parfois délaissé. C’est pour cela qu’il apprécie la démarche Bleu-Blanc-Cœur. « Pourquoi dissocier la santé du plaisir ? On peut prendre soin de soi en se faisant plaisir et dans le même temps, prendre soin de la planète » insiste-t-il.
Accompagner l’évolution des habitudes de consommation
Le marché de la viande est en pleine transformation. A l’ère du flexitarisme, certains consommateurs réduisent la part carnée dans leur alimentation, préoccupés par le prix, les effets sur la santé et l’environnement, ou le bien-être animal (BEA). « Nous devons prendre ces questions au sérieux et apporter des réponses à travers une posture positive. « Aimez la viande, mangez-en mieux ! » : cette approche adoptée par Interbev (Interprofession bétail et viande) illustre bien le chemin que nous devons emprunter. Pour l’instant les substituts carnés ne compensent pas le plaisir qu’offre la viande. Notre rôle est de stimuler ce plaisir, rassurer sur ses bienfaits nutritionnels, tout en luttant contre les idées reçues » affirme Guy Lepel Cointet.
Le défi pour Charal est de proposer de la qualité pour tous. Il s’agit de contenter aussi bien les petits mangeurs (par exemple en adaptant ses portions avec la gamme « Petit Appétit ») que les familles ou les adeptes du bio et du local.
Des cahiers des charges exigeants
« Un bon légume, fait une bonne conserve » analyse Armelle Guizot. N’oublions pas que nos légumes sont mis en boite 2h après la récolte et qu’ils ne bougent plus après. Nos cahiers des charges sont exigeants pour respecter les bénéfices attendus : goût, aspect, calibre, absence de défaut… Et répondre à l’attente de qualité de nos clients. Après le goût, notre engagement en faveur du « bien manger » s’illustre de deux manières : le Nutri-score et le taux de sel. »
Un engagement sur l’ensemble de la chaine qui vise à réconcilier le « mieux manger » des consommateurs et le « mieux vivre » des agriculteurs.
L’origine des produits, facteur de confiance
Avoir confiance en son produit c’est privilégier le local. Un phénomène en progression depuis le début de la crise sanitaire. « Les Français ont un rapport très fort avec la nature et le terroir. Il faut le respecter en apportant une grande attention au produit » souligne Gwénaëlle Letterman.
Une confiance qui se traduit chez Michel et Augustin par la volonté de se rapprocher au maximum du « fait maison » en réduisant les additifs et les conservateurs, ou en s’engageant dans la traçabilité des produits.
L’enjeu de la production industrielle est d’allier production de qualité, en quantité, et bien sûr, en sécurité. Un défi relevé par notre pays. La France arrive en tête du classement mondial pour la sécurité alimentaire.
La croissance démographique globale alliée à l’évolution des modes de consommation, conduit à l’actuelle période de transition alimentaire. Une transition qui modifie en profondeur notre manière de produire et de consommer les aliments.
Depuis 1 an, la pandémie accélère nos changements de comportements au premier rang desquels la prise de conscience vis-à-vis de la qualité de notre alimentation. Le temps passé à cuisiner, les courses de proximité et les drives ou services de livraison, sont les gagnants de la crise sanitaire.
Economiser sur le temps de courses pour cuisiner davantage… Une équation intéressante !
Pour résoudre cette équation, 109-Conseils travaille et innove avec les acteurs de la filière agroalimentaire, les distributeurs et les collectivités, pour renouveler les pratiques alimentaires autour de 3 leviers :
-L’éducation au goût dans les écoles et auprès des familles. Cela passe par des ateliers du goût ; le développement de contenus pédagogiques sur les produits de saisons et les bassins de production ; et la diffusion de recettes simples.
-La valorisation d’une nouvelle relation commerçante, en donnant aux marques et aux prescripteurs un rôle de conseil, orienté sur la qualité, la confiance et le renouvellement de la liste de course.
-L’incitation à « prendre en main » son alimentation, en développant une offre de produits et services qui répondront à la quête de confiance et d’agilité des consommateurs, pour se nourrir avec implication et plaisir.
Une mission partagée par Jean-Marie Baudic, Sébastien Guillon, Armelle Guizot, Guy Lepel Cointet et Gwenaëlle Letterman, particulièrement sensibles à la diversification et au renouvellement des assiettes du quotidien pour retrouver « le plaisir de manger ». Un grand merci à eux d’avoir contribué à nourrir notre vision agro-positive de l’alimentation.