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Co-autrice remarquée de l’ouvrage Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse (Tana Éditions) avec son comparse Clément Osé, Noémie Calais témoigne de son quotidien d’éleveuse de porcs gascons dans le Gers et donne de la voix aux convictions agroécologiques des jeunes paysans non issus du milieu agricole.
Un petit village, un vieux clocher, un paysage si bien caché où cohabitent harmonieusement espèces végétales et animales. Cœur battant de cet environnement, l’humble paysan se remet chaque jour sur l’ouvrage pour préserver cet équilibre nourricier. Ce bon sens, Noémie Calais y croit dur comme fer. « Sur notre ferme collective, mes cochons absorbent les déchets, font du fumier qui sert à fertiliser les terres céréalières, les prairies et les terres de maraîchage. C’est par ce système-là qu’on va parvenir à nourrir les humains qui nous entourent », relate l’éleveuse de porcs gascons installée dans le Gers suite à de graves problèmes d’allergie. Les sonorités du verbe « nourrir » se prolongent en bouche comme le goût de ses produits, façonnés pour donner du sens et du plaisir à ceux qui les consomment. « Le gras de mes animaux n’a rien à voir avec celui du porc rose. Il est juteux, rond, enveloppe le palais », se délecte cette grande amatrice de saucisse sèche et de coppa. Et ses clients en redemandent. « J’adore quand les vieux viennent me dire qu’ils retrouvent le goût de leur enfance et sont heureux que des jeunes travaillent à nouveau de cette manière. »
Les porcs noirs ont une croissance lente. L’engraissement sur l’élevage de Noémie dure de 12 à 14 mois. Copyright Clément Osé
Ce goût, Noémie Calais l’obtient au prix d’un travail titanesque et d’un questionnement permanent. Un effort physique et intellectuel palpable de bout en bout dans son ouvrage Plutôt nourrir, l’appel d’une éleveuse (Tana Éditions), co-écrit avec son camarade de Sciences Po, Clément Osé, qui donne poids et crédit à sa vision de l’agriculture. Point de néoruralité dans son vocabulaire. La néo-paysanne rappelle son appartenance aux Numa, ces « non issus du milieux agricole » souvent adeptes de l’agroécologie dont l’apport sera selon elle décisif à l’avenir. « En transformant nous-mêmes et en évitant de passer par tout un tas d’intermédiaires, on arrive à des produits à haute valeur nutritive et organoleptique vendus aux gens du coin de façon efficace à des prix raisonnables. »
La relation de Noémie avec ses truies est intime et dure plusieurs années. Copyright Clément Osé
Soucieuse du renouvellement des générations plutôt que d’une robotisation à outrance des pratiques agricoles, Noémie Calais s’échine aussi à « redonner du sens agronomique à ses animaux ». Courant 2022, elle a même pris la décision de réduire son cheptel. Outre la production et la transformation, elle mise désormais sur la reproduction et la vente d’une partie de ses porcelets. « Il y a des gens qui viennent vraiment de loin, de Dordogne, du Lot, d’Ariège pour s’approprier cette race rustique certifiée bio. Mes 22 cochons et les petits que je garde plusieurs semaines avant de les vendre me permettent d’absorber tous les sous-produits de la ferme. Petit lait, légumes du maraîchage, drèches des boissons végétales… Si j’avais plus de cochons, il faudrait les nourrir avec davantage de céréales ou aller chercher des déchets et des sous-produits ailleurs. Mon impact carbone ne serait pas catastrophique mais je ne serais ni satisfaite ni heureuse de passer ma vie en voiture. »
Le groin est l’organe de connexion au monde pour les cochons. Copyright Clément Osé
À la ferme des Bourdets, les prérogatives des cochons s’élargissent donc, allégeant mécaniquement le fardeau de leur maîtresse. L’animal s’inscrit dans un fonctionnement collectif d’entraide qui, par-delà les difficultés du quotidien, apporte bonheur et satisfaction à Noémie Calais. Lors des « banquets gaulois » organisés par les amis d’une ferme voisine qui réunissent près de 150 personnes aux beaux jours, l’éleveuse ne passe jamais son tour en cuisine : « Les gens sont émerveillés par le lieu, le cadre, la quantité d’arbres et les produits récoltés le matin-même qui explosent en bouche. » Pour l’ancienne Science-Piste, ces goûts intenses et vrais devraient aller de soi, mais le chantier reste immense et le pessimisme guette.
Noémie à son stand sur le marché de Mauvezin le samedi matin. Copyright Clément Osé
Auparavant éleveuse de volaille avant de se recentrer sur le porc, Noémie Calais s’inquiète pour l’avenir des éleveurs en plein air de la filière, soumise à la claustration obligatoire de ses animaux dans le but d’endiguer la grippe aviaire. Face à cette « adversité normative » qui menace la filière porcine et mettrait à mal toute sa philosophie, elle ne voit qu’une issue : l’éducation à l’alimentation pour que le plus grand nombre se réapproprie les goûts vrais, entraînant de nouvelles vocations agricoles. À son échelle, cela commence sur les marchés, en toute simplicité. « Le lien humain, la reconnaissance et le goût, ça ne trompe pas ».