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En novembre 2021, une série d’articles, repris par la presse française, annonçaient une baisse des ventes des alternatives à la viande aux Etats-Unis. De nombreux commentateurs en ont aussitôt déduit la fin d’un effet de mode, des experts parlaient d’un retournement de tendance… après avoir été présentés comme les fossoyeurs de l’industrie de la viande, les substituts pourraient à leur tour être enterrés !
Prenons un peu de recul. Quand on pratique la prospective avec méthode, il y a plusieurs erreurs classiques à éviter :
- Confondre conjoncturel et long terme
- Ne se baser que sur des taux de croissance
- Manquer de vision systémique
Pour ne citer que les principales.
Ici, lorsqu’on creuse un peu, on s’aperçoit que les chiffres utilisés proviennent des résultats trimestriels de quelques acteurs des substituts végétaux, dont l’un des leaders du marché, Beyond Meat. Celui-ci a en effet réalisé des ventes décevantes au 3e trimestre 2021, mais lorsqu’on regarde son chiffre d’affaires en valeur absolue, malgré des variations, il a plus que doublé depuis 2019 :
Source : S&P Capital IQ
Son PDG, Ethan Brown, a expliqué la mauvaise performance récente par des difficultés logistiques, des problèmes d’approvisionnement (notamment en pois, son ingrédient star, dont la demande s’est envolée), mais la concurrence croissante menace également ce pionnier des alternatives ultra-réalistes : il a été rejoint par quasi tous les géants de l’agroalimentaire (Tyson Foods, Unilever, Cargill, Kellogg’s, Nestlé, etc.) qui ont lancé leurs propres marques. Son principal concurrent, Impossible Foods, a quant à lui terminé l’année 2021 en beauté et a réussi à lever 500 millions de dollars supplémentaires.
Alors, qu’en est-il du marché global des alternatives à la viande aux Etats-Unis ? La question nous intéresse car, dans ce berceau des start-ups les plus innovantes, leurs ventes atteignaient 1,4 milliard de dollars en 2020, en progression rapide (+45% sur un an, Good Food Institute).
Le taux de croissance des ventes s’est emballé au printemps 2020, mais comme pour beaucoup de produits, principalement à cause des confinements et de la fermeture des restaurants. Les chiffres de l’année 2020 ne sont (pour ce sujet comme pour le bio, ou d’autres) pas représentatifs et ne peuvent pas servir de point de comparaison pour 2021.
Source : Nielsen
Comme on le voit, il ne faut pas confondre décélération (par rapport à une situation exceptionnelle) et baisse, et il faudra attendre que les chiffres (absolus) soient consolidés pour faire le bilan de 2021 et mesurer les évolutions en longue période.
Mais rien n’empêche de s’interroger d’ores et déjà sur l’avenir du marché des alternatives à la viande, que plusieurs organismes (cabinets de conseil, banques) estiment très prometteur à l’horizon 2030 et surtout 2050 (Futuribles). Si l’on se base de nouveau sur le marché américain, on observe que, malgré les taux de croissance évoqués plus haut, leur part de marché est encore très faible par rapport au marché de la viande emballée (2,7%, GFI). Surtout, elle ne se fait pas aux dépens de la consommation de produits carnés, qui continue de croître par habitant (USDA). La majorité des acheteurs de ces produits, on ne le répétera jamais assez, sont en effet également des consommateurs de viande (et non des végans).
Plusieurs facteurs pourraient freiner l’expansion des substituts. Le plus souvent cité est leur composition nutritionnelle, qui fait l’objet de critiques croissantes (produits ultra-transformés, longue liste d’ingrédients, produits trop salés, etc.). Mais les principaux acteurs revoient actuellement leurs recettes pour éliminer certains ingrédients controversés et additifs, et proposer des produits plus équilibrés. Par ailleurs, de nouveaux arrivants sur le marché se positionnent directement comme « clean label » et mettent en avant cette différence par rapport à leurs prédécesseurs.
Le surcoût des alternatives par rapport à la viande, autre frein important, se réduit au fur et à mesure que la production augmente, permettant des économies d’échelle. Beyond Meat et Impossible Foods ont déjà baissé leurs prix, et vont continuer à le faire avec l’essor de la production de protéines de pois (CNBC).
Par ailleurs, à l’avenir, le prix de la viande risque quant à lui de croître avec le changement climatique, ce qui modifiera également le différentiel de prix (Global Food Security).
Le goût et la texture des substituts ne sont pas toujours jugés satisfaisants par les consommateurs, mais là encore une nouvelle génération de produits arrivent qui vont apporter encore plus de saveur et de réalisme.
L’argument environnemental étant souvent mis en avant par les producteurs d’alternatives et représentant l’une des principales motivations des acheteurs (derrière la santé), il devra à l’avenir être sérieusement prouvé et étayé. En effet, les substituts ultra-réalistes ne sont pas forcément plus vertueux du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, comparés par exemple au poulet (pour le bœuf, tout dépend du mode de production et de calcul des émissions). Leur consommation d’eau et leur impact sur la biodiversité seront aussi scrutés.
D’une manière générale, les consommateurs veulent davantage de transparence concernant la composition des produits, l’origine des ingrédients, leur impact environnemental global.
Le futur des alternatives à la viande reste donc ouvert, il sera certainement plus nuancé que la vision binaire raz-de-marée / feu de paille. Il ne se réduit pas aux substituts qui imitent de la manière la plus réaliste possible le poulet, le porc ou le bœuf, mais englobe de nouvelles formes de protéines alternatives, qu’elles soient d’origine végétale ou autres (mycoprotéines, fermentation de précision, viande cellulaire, etc.). L’innovation se poursuit et seule une veille permanente sur ce sujet et son environnement permet d’anticiper les évolutions de marchés, et leurs conséquences.
Pour en savoir plus sur le sujet, inscrivez-vous à la première webconférence « Protéines Alternatives 2022-2035 » du 12 janvier 2022 (inscriptions réservées aux personnes travaillant dans des entreprises de l’agroalimentaire, de la distribution et de la restauration).