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Dans ce microcosme feutré, critiquer les critiques, il fallait tout de même oser !
C’est ce qu’a entrepris Stéphane Méjanès, lui-même journaliste culinaire (et donc bien placé sur le sujet), avec ce très bon petit livre « Tailler une plume – Croquons le critique gastronomique », aux Editions de l’Epure. Il nous livre avec beaucoup d’humour et de fantaisie une galerie de portraits truculents. On y découvre des anecdotes parfois très mordantes mais au finalement très humaines (des petits excès de gloutonnerie à l’orgeuil) sur un métier intriguant consistant à mettre en scène des mots choisis pour tisser des liens entre des plats et des hommes. C’est aussi l’occasion de réfléchir à la difficile frontière qui existe entre journalisme et communication.
Un métier qui se transforme
Ce métier (on parle de journalisme gastronomique) est actuellement en transformation. Si certains grands noms se sont définitivement retirés du milieu, on ne compte plus les exemples de critiques « nouvelle génération » assurant la relève. Mais le critique gastronomique et son guide tout puissant et aujourd’hui fortement challengé (voire même ubérisé) par des plateformes Internet d’avis de consommateurs (aujourd’hui tout le monde donne son avis sur tout via TripAdvisor ou encore Yelp) mais aussi des micro-influenceurs jugés parfois plus authentiques dans leurs recommandations que les pros de la critique.
On ne s’improvise pas journaliste au prétexte que l’on sait utiliser un stylo, pas plus que l’on est chirurgien parce que l’on est imbattable à Docteur Maboul. Stéphane Méjanès
Enfin, l’évolution des supports de l’écrit vers le numérique modifie également le métier. Les critiques se font de façon plus spontanées avec beaucoup plus de liberté de ton dans des espaces plutôt de type blogs (souvent hébergés par des médias) et donc davantage ouverts aux discussions et échanges.
Rapide présentation des protagonistes avec une re-classification de ces 10 portraits toute personnelle.
LE MYTHE
C’est le profil dit INCOGNITO. Il porte à lui seul la vision fantasmée que nous sommes nombreux à avoir du critique gastronomique. Porté au cinéma par Louis de Funès dans L’Aile ou la Cuisse, c’est un personnage mystérieux qui fait l’objet de toutes les spéculations.
LES STARS
Ce sont clairement les rois médiatiques de la critique. Parmi eux, la DIVA. Pas franchement discret, ce profil se met en scène partout où il passe car il faut qu’on le reconnaisse. Très médiatique, il enchaîne les apparitions et donne le la sur la profession. On trouve également le TYRAN. Faiblement emphatique, il est clairement là pour soulever le scandale et mettre de la tension autour de lui. Mais c’est sans compter une nouvelle concurrence avec l‘INFLUENCEUR. Dans ce profil, qui ne vient pas de la cuisine, le « milieu » voit plutôt une forme d’imposture. Ces néo-critiques officiant sur les réseaux sociaux sont, selon l’auteur, « soutenus par des suiveurs hypnotisés par des gâteaux qui brillent, des dressages esthétisants et des publications sponsorisées ».
LES BOULOTEURS
On y croise également deux profils qui sont clairement là pour se taper la cloche. Le PIQUE-ASSIETTE, un brin négligé qui « ventouse » (délicieuse expression de l’auteur) les buffets avec ses tote bags remplis de goodies. Mais également le GLOUTON, un « goinfre hyperbolique mais bienveillant, qui ne signe jamais de papiers destructeurs ». Il s’agit d’ailleurs d’un vrai créneau dans le métier qui consiste à ne relayer que des avis positifs pour ne vexer personne et ne pas donner l’impression d’avoir été « acheté » en cas de mauvaise expérience. Malin ! Trop concentrés sur le boulottage et les petits avantages du métier, on peut se poser la question de savoir si ils pourrons assurer le renouveau de la profession. En attendant, ils adorent leur métier !
LES DÈPASSÈS
Et puis il y a ceux qui ne portent pas vraiment une vision positive de leur métier. Le BLASÈ est incapable de s’émerveiller. Constant dans sa dévalorisation, ce déprimé est souvent évité lors des repas. L’ANTIQUE est quand à lui nostalgique du passé et fustige tout ce qui contribue à ses yeux à dénaturer la vision traditionnelle et immuable de la cuisine. Cela dit, son savoir encyclopédique reste un précieux repère dans le milieu.
LA RELÈVE ?
Stéphane Méjanès croque un dernier profil moins iconoclaste qu’il qualifie de « pièce rapportée », c’est l’INGÈNU. C’est celui qui fout un coup de pied dans la fourmilière de ce microcosme aux tendances légèrement consanguines. Journaliste transfuge d’un autre univers que le food, il y fait souffler un vent frais avec une approche enrichie souvent beaucoup plus globale de l’alimentation, un recul plus important et une capacité à tisser des liens pour délivrer une vision quasi culturelle du sujet au-delà du simple avis gastronomique.
Gilles Pudlowski, Périco Légasse, François Simon, Emmanuelle Jary, Estérelle Payany, Nicolas de Rabaudy, François-Régis Gaudry, Emmanuel Rubin, Alexandre Cammas, Dominique Hutin, Léo Fourneau,… je dois dire que le plus dur, à la fin, c’est de ne pas résister à mettre des noms derrière tous ces stéréotypes !
Photo de Stéphane Méjanès : crédit photo Stéphane Bahic
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