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Combien coûte une barquette de fraises, un litre de lait ou un kilo de tomates bio ? La réponse varie irrémédiablement entre le producteur ou le distributeur… mais il y a une constante, celle du consommateur qui connait le prix de tout mais plus le coût de rien.
Berceau de l’hypermarché, la France est aussi celui du « discount », c’est à dire du prix bas. C’est ainsi que s’est bâti chez nous et partout dans le monde un modèle où le consommateur a accès à tout, tout le temps, partout et au meilleur prix. Dans cette course à la consommation ininterrompue, nous pensions avoir atteint certaines limites, mais le développement des plateformes numériques et de la logistique du dernier kilomètre nous poussent à accélérer encore, jusqu’à nous permettre de réceptionner nos courses 10 minutes après les avoir commandées.
Nous pourrions voir dans cette créativité organisationnelle une forme de progrès, pourtant derrière la prouesse de l’hyper-disponibilité de tous les produits à des prix toujours très bas, se cache la réalité d’un système où à chaque fois que nous achetons un produit à un prix, dans un délai ou dans un lieu qui ne correspondent pas à sa juste production, à sa juste valeur ou à sa juste géographie, quelqu’un d’autre paie notre part, économique, sociale ou environnementale. Dans la chaine de création de valeur, il peut s’agir de la terre, de l’animal, du paysan, du transformateur, du logisticien ou du distributeur, et comme nous savons que les maillons les plus structurés et le plus puissants maitrisent le rapport de force économique, nous pouvons facilement déduire qui supporte la part que nous ne payons pas.
Ainsi, les conditions de travail, la condition animale ou la rémunération des producteurs subventionnent-ils les excès d’une consommation totalement dérégulée, qui a perdu, au cours des dernières décennies, les repères qui permettaient de comprendre ce que rémunère le prix d’achat.
Une des raisons qui explique la pérennité de ce modèle réside dans la formidable inculture du consommateur, qui, s’il excelle dans d’autres domaines de connaissances, a décidé de se désintéresser de ce qu’il mange ou en tout cas de la manière dont ce qu’il mange arrive dans son réfrigérateur, pourvu que ce soit toujours disponible, sûr et peu cher. Nous avons poussé cette tendance jusqu’à instaurer comme socialement acceptable que nos enfants déjeunent à la cantine scolaire pour un coût matière d’environ 2€. Nous avons accepté de fermer les yeux sur les externalités négatives de notre consommation alimentaire pourvu que sa part dans notre budget ne cesse de se réduire au profit de l’habillement, des loisirs ou de la communication. Nous avons oublié tout ce qui nous reliait à la terre jusqu’à ignorer comment se produisaient un litre de lait, un kilo de fraises ou une douzaine d’oeufs, pour finir par les payer sous leur coût de production.
Pour remédier à cette situation préjudiciable pour notre terre et ceux qui la cultivent, il faut tout à la fois soutenir l’accès à une alimentation de qualité pour tous et favoriser les pratiques agricoles bénéfiques par une rémunération cohérente des productions. Pour retisser ce lien vertueux entre production et consommation, il est indispensable de redonner aux produits leur juste prix, c’est à dire celui qui rémunère leur juste coût. Pour cela, il faut évidemment travailler sur les équilibres de négociations commerciales, ce que s’appliquent à faire les lois Egalim 1 et 2, mais il faut également plus et mieux informer le consommateur pour que lui-même devienne acteur de ce changement. Le travail accompli ces dernières années par certains acteurs de la production, de la transformation ou de la distribution, et notamment par le mouvement « C’est qui le Patron ?! », apporte la preuve que les consommateurs savent agir en citoyens lorsqu’ils sont sensibilisés et informés.
Il est également nécessaire de mieux préparer les futures générations en instaurant une éducation à l’alimentation et à la production agricole. Cet apprentissage, jadis assuré par la famille et la proximité avec le monde agricole doit être proposé à l’école, sur des temps dédiés en amont ou en aval du déjeuner et lors de visites pédagogiques d’exploitations agricoles, dans le cadre d’un partenariat resserré entre l’agriculture française et l’éducation nationale. Nourrir et se nourrir sont deux fonctions vitales de nos organismes individuels et sociaux, ils sont au centre des enjeux les plus stratégiques du siècle, qu’il s’agisse de notre rapport à la planète ou de la préservation de notre indépendance. Dès lors nous devons collectivement accepter d’y investir plus que la cagnotte de nos cartes de fidélité. C’est ainsi que nous donnerons aux générations qui viennent aussi bien le goût des choses que la juste appréciation de leur coût.
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