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Chloé est tourangelle et habite dans mon quartier. Nous partageons un point commun : l’amour de la bonne bouffe. Alors, quelle belle surprise quand j’ai appris qu’elle sortait son premier roman et que l’alimentation y occuperait une place centrale. Ce véritable ovni littéraire captive par son intrigue et interroge également la place de notre alimentation dans la société.
Rencontre avec l’auteure.
Stéphane BRUNERIE.
Qui es-tu Chloé ?
Tourangelle de naissance, j’habite dans le quartier Velpeau. Côté travail, j’ai eu plusieurs vies. Actuellement secrétaire de direction, je suis journaliste de formation. J’ai également tenu un salon de thé britannique rue de la Scellerie pendant trois ans, une idée qui avait germé pendant mon année Erasmus dans le Surrey. J’ai travaillé les recettes du tea time et me suis fait une petite réputation dont je ne suis pas peu fière, notamment pour mes scones, dont j’ai jalousement gardé la recette pendant des années. J’ai cependant décidé de l’offrir à mes lecteurs à la fin de Grossophobia, ma dystopie gastronomique auto-publiée en début d’année.
Peux-tu nous raconter rapidement l’histoire de Grossophobia (histoire de nous donner envie de lire le roman) ?
Nous sommes en 2022, avec un président fraîchement élu. Il est un peu frustré parce que sa femme n’a accepté de rester avec lui que s’il devenait président… et faisait un régime. En réponse, il décide de faire passer une loi qui « assigne à résidence » les « gros ». Je mets les gros entre guillemets car évidemment, sous couvert de raisons médicales, il s’agit d’abord des gens obèses selon le calcul de l’IMC (un indice réputé assez inadéquat). Mais cette définition du « gros » change au fil du roman, jusqu’à piéger les gens qui ne sont pas du tout en surpoids, comme le personnage principal, Lucrèce, qui était pourtant secrètement en faveur de cette loi au départ. En conséquence, beaucoup d’aliments sont interdits – les frites, le foie gras, les gâteaux… Même le fromage est banni. Grossophobia raconte comment Lucrèce va tenter d’échapper à cet enfer, où les moins fortunés se retrouvent à la rue car ils perdent leur travail, et où Lucrèce et ses voisins se consolent en faisant des repas gastronomiques maison à base de produits désormais interdits et trouvés au marché noir – comme je le ferais d’ailleurs à leur place.
Tu publies sur Instagram des critiques imaginaires très drôles de personnalités. Quels sont les retours que tu as eu de tes lecteurs ?
Cela les fait rire et ça me rassure : s’ils rient à ces blagues, ils risquent d’être réceptifs à mon humour dans le roman. Celle sur Karl Lagerfeld (« Si je n’avais pas pris un cercueil slim, je me retournerais dans ma tombe ») a reçu le plus de réactions, je crois. J’ai reçu des messages en privé et c’est aussi la blague qui a le plus fait s’approcher les gens lors de ma dernière séance de dédicaces. J’avais écrit ces blagues sur des feuilles Canson. Les gens, curieux, se sont approchés pour les lire et m’ont posé plein de questions sur le roman. Cela a permis de briser la glace et d’échanger avec beaucoup d’entre eux. J’en prépare de nouvelles !
Les critiques imaginaires par Chloé Chateau.
Le genre littéraire de la dystopie décrit un monde contre-utopique. C’est le nôtre ?
Je ne sais pas si c’est notre monde, mais il y a des similarités. La particularité de la dystopie* c’est que l’on se dit toujours « ça n’arrivera jamais ». Puis l’on commence à faire des liens avec des situations que l’on vit ou dont l’on entend parler aux infos. Si l’on prend La Servante écarlate de Margaret Atwood, par exemple, la première réaction des lecteurs est sûrement de se dire qu’interdire aux femmes aux XXIe de lire, travailler ou avoir un compte en banque, c’est impensable. Et pourtant, même si ce n’est pas aux États-Unis, cela arrive dans plein de pays qui font des retours en arrière répugnants (ou refusent toujours d’évoluer). Ou bien, plus proche de chez nous, La Désobéissante, une dystopie écologique de Jennifer Murzeau, où les Français vivent dans des bulles à cause du réchauffement climatique et de la pollution et où, comme plus rien ne pousse, on se nourrit de gélules.
En ce qui concerne Grossophobia, j’ai eu beaucoup de retours de gens me disant avoir pensé, au début « heureusement ce n’est pas possible » avant de réaliser que tout n’était pas forcément si fou. D’autant qu’il apparaît que j’ai fait quelques « prédictions » dans le roman : déjà, je pense que personne n’imaginait en 2017, lorsque j’ai écrit cette histoire, que nous vivrions un jour si proche avec les confinements et les restrictions sanitaires que l’on connaît aujourd’hui. De plus, l’été dernier, Boris Johnson – le Premier ministre britannique – a lancé un plan contre l’obésité (afin de libérer des lits dans les hôpitaux pour les cas de Covid-19). Mais encore, par exemple, j’ai également « annoncé » le retour dans l’espace de Thomas Pesquet ou encore le changement de vaisselle à l’Élysée. Autant de petites et grandes choses qui ont sûrement aidé à créer un climat « réaliste » dans Grossophobia.
Nous vivons dans une société où l’alimentation occupe culturellement une place centrale. Quelle est ta vision de consommatrice sur l’évolution de notre rapport à l’alimentation ?
Je trouve que se nourrir aujourd’hui peut se révéler parfois très compliqué, quand on ne se moque pas complètement de ce que l’on se met dans le corps. Comme le souligne souvent ce blog, nous sommes assommés d’injonction à toujours mieux faire, mais aussi de contradictions. Et qu’il faut manger bio, et qu’il faut manger local, et qu’il ne faut pas manger de viande, et que le gras c’est le diable…
J’essaie de faire au mieux : autant que faire se peut, je mange local et frais ; je n’achète quasiment pas de plats cuisinés en supermarché (à l’exception parfois d’un craquage sur des ravioles ou des beignets de fromage en cas de besoin urgent de big comfort food) – cela ne me coûte pas vraiment car j’ai toujours aimé la popotte et mes goûts font que je n’aime pas forcément le goût des plats cuisinés ; je mange de la viande et du poisson en alternant frais et conserve pour mon budget mais en cherchant toujours à trouver ce qui est le meilleur pour la santé et la nature (sorte de pêche ou d’élevage, pas d’antibiotiques ou d’OGM, local…) ; je mange du gras en faisant attention, comme la plupart des gens, et pareil pour le sucre. J’aime faire le marché Velpeau (si je suis réveillée le dimanche matin) ou quand des amis ou des membres de ma famille me donnent quelques œufs ou légumes de chez eux. Suite à des soucis de santé dont la cause n’est pas très bien connue, j’ai un peu l’obsession, surtout suite au visionnage de certains documentaires Arte, de supprimer au maximum les additifs et conservateurs de mes placards et mon frigo.
Mais tout cela demande du temps et de l’énergie – pour chercher les bons aliments, mais aussi pour cuisiner et, évidemment, équilibrer son budget. On ne peut pas tous mettre dans notre panier les meilleures choses, qui sont souvent plus chères, sans réfléchir ou compter. Je compense les plaisirs (un bon steak ou filet de poisson, un morceau de fromage…) en achetant de la conserve de qualité ou en mangeant plus de légumineuses, par exemple. Je fais aussi un effort pour manger un peu moins de pâtes (un de mes nombreux péchés mignons) et en compensation, je me fais plaisir en en achetant de meilleure qualité. C’est encore du temps, passé cette fois à faire la liste de courses. Tout le monde ne l’a pas, ce fameux temps, et il me semble que plus le budget est moindre, plus cela en prend pour préparer sa liste de course en faisant attention à ce que l’on achète en matière de qualité.
En ce qui me concerne, je me fiche des injonctions, je fais ce que je veux et ce que je pense bon pour moi. Je refuse de culpabiliser si je « craque » pour un truc pas hyper réglo (surtout quand il s’agit du bio, étant donné l’état actuel de la législation et au vu de quoi un produit soi-disant bio peut-être composé – spoiler : pas que du bio). Le client a bon dos quand il s’agit de jeter le blâme mais le client achète surtout ce qu’on lui « vend » – dans les publicités et là où il fait ses courses. Expliquer au consommateur que s’il choisit telle boîte de thon (au même prix ou moins cher que celle qu’il a l’habitude d’acheter) il n’y perd pas et qu’en plus il aide à faire du bien à la planète, OK. Lui dire que c’est mal d’acheter sa boîte de thon habituelle parce que le mode de pêche utilisé par la marque détruit les fonds marins, c’est tordu. Exiger le boycott de marques ou produits, c’est bien joli, mais je ne vois pas les gens qui le font remplir le porte-monnaie des consommateurs. Alors qu’on nous lâche un peu la grappe. La nourriture, c’est comme la religion : tout le monde a droit à son opinion et à faire ce qu’il veut, mais personne n’a le droit de forcer tout le monde à faire comme lui.
Tu es diffusée dans la librairie « Les Saisons » à Tours qui conseille sur les accords livres et vins. Peux-tu nous conseiller le meilleur accord mets et vin pour accompagner la lecture de ton roman ?
Sans hésiter, il faut déjà un chinon rouge, comme Lucrèce en boit dans le roman. Le hasard de la vie fait que le vin du domaine Baudry-Dutour fait partie mes préférés – imaginez donc mon plaisir quand Chloé, la libraire des Saisons, m’a appelée pour me dire qu’elle souhaitait mettre Grossophobia dans sa sélection ! (Avoir mon livre entouré de mes vins favoris : check. Plaisir intersidéral : double check.) Si vous voulez un de mes chouchous, choisissez le Château de la Grille, toujours un succès. Et n’oubliez pas une petite sélection de fromages, comme ça vous serez tout à fait dans l’esprit du roman (et cela vous évitera, comme certains lecteurs, de devoir faire des pauses pour lancer une casserole de pâtes ou carrément une blanquette). Voilà déjà de quoi ne pas mourir de faim et de soif pendant la lecture.
Sinon, pour un dîner en mode Grossophobialand, le vin rouge ira bien avec l’une des recettes que je propose à la fin du roman, le parmentier de gigot de sept heures à la purée de patate douce et pomme de terre. C’est un plat – plutôt pensé pour l’hiver, étant donné la quantité de gras que l’on y trouve – que dégustent Lucrèce et ses voisins.
« Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contraintes de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.
Cette interview vous a mis l’eau à la bouche ? Voici le lien pour commander le livre sur internet ou sinon pour les tourangeaux, rendez-vous dans la belle libraire Les Saisons. Je vous le recommande vivement.
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