Temps de lecture : 4 min
L’indignation est à la mode ! Nous vivons une époque où il ne se passe pas une semaine sans un nouveau soulèvement émotionnel. Révélations, scandales, pétitions, appel à boycott…
Eh oui, notre époque a bien compris que nous avons une sensibilité collective à fleur de peau et qu’il ne nous en faut pas beaucoup pour nous faire partir au quart de tour. Alors elle joue avec nous.
Qu’est-ce que l’indignation ?
L’indignation est un sentiment, ou plus précisément une aptitude à souffrir des douleurs qui nous sont épargnées. L’indignation suppose une relation tripartite entre :
- le corrupteur,
- la victime qui subit,
- un témoin.
C’est cette relation que l’on peut clairement visualiser dans le tableau de Robert Doisneau « La Dame indignée » datant de 1948.
L’indignation a clairement une dimension philosophique. C’est une rupture avec l’ordre normal des choses. Si la philosophie consiste à s’étonner des choses que l’on a l’habitude de voir, l’indignation, elle, commence à l’instant où l’on refuse ce que l’on a l’habitude d’accepter.
L’idée n’est pas de remettre en question ces indignations sur le fond mais de prendre un peu de recul sur leurs lectures et notre responsabilité en tant que citoyens dans cette surenchère médiatique.
- La banalisation de l’indignation
La première réflexion est relative au nombre et à la fréquence des indignations. Ces deux facteurs sont devenus si importants que chaque jour une nouvelle indignation chasse la précédente. Une indignation pour le scandale des laits infantiles Lactalis peut être suivi d’une indignation concernant L214 et l’élevage des truites. Sans transition aucune mais assurément avec un effet pervers d’accoutumance.
- On s’indigne, et puis après ?
Selon le philosophe Raphaël Enthoven, l’indignation ne sert absolument à rien, si ce n’est à nous donner bonne conscience, mais pas plus…
« L’indignation est une prothèse qui donne bonne conscience. C’est une façon de se laisser faire en criant. Autrement dit, c’est quand on a manifesté toute la journée et qu’on dort tranquille car le monde ne vas pas bien mais au moins on lui a dit » Raphaël Enthoven (2015)
L’indignation seule pratiquée derrière son petit ordi sous couvert de son petit avatar ne servirait donc pas à grand chose. Alors clairement l’étape d’après, c’est bien la révolte autrement dit l’amplification de l’indignation vers l’universel.
- On s’indigne sur la base d’une réalité devenue complètement instable
Dans le domaine de l’alimentation, à l’origine de nos indignations il y a souvent une vérité qui en chasse une autre. Difficile donc pour le consommateur d’être sûr du bien fondé de son indignation. On peut même apprendre le même jour tout est et son contraire C’est le cas de ces deux publications complètement contradictoires lues le même jour sur Twitter !
De façon plus globale, l’on peut lire dans la presse et sur Internet le genre de contradictions suivantes :
- L’indignation, pain béni de la démagogie
Nous devons faire preuve de vigilance car la technique de l’indignation peut être aussi utilisée à des fins manipulatrices. Montée de toute pièce ou en épingle, la réalité est parfois largement « pimpée » (quand il ne s’agit pas tout simplement de « fake news » pour créer chez nous des mécaniques d’insurrections émotionnelles. On peut certainement citer le débat hautement manipulé autour du glyphosate mais aussi celui entourant le sujet de l’huile de palme.Difficile sincèrement de lire une info objective sur le sujet. D’un côté, comme de l’autre, les postures sont devenues tellement caricaturales que les manipulateurs sont aujourd’hui pris en flagrant délit.
- L’indignation à la people
Pour nous raisonner, notre époque fait appel à des peoples, jugés certainement à la hauteur pour nous interpeller.
Juliette Binoche pour le « lundi vert » sans viande, Stomy Bugsy pour les L214 et les élevages de poules. Nous aurions besoin de « grands frères » exemplaires pour nous rappeler comment on déconne. Eh bien il n’est pas sûr que cette bonne vieille technique fonctionne encore réellement. Sont-ils vraiment les véritables influenceurs des temps modernes ?!
- L’indignation entre soi
Nous partageons souvent nos propres indignations entre nous, dans un cercle de personnes partageant plutôt les mêmes opinions. C’est le phénomène de la « chambre aux échos » sur les réseaux sociaux. Nous ne faisons que nous auto persuader et les autres partageant cet avis viennent chez nous rechercher ce fameux biais de confirmation. La pensée ne progresse plus.
En conclusion,
En fin de comptes, l’on peut se demander si la sur-indignation actuelle n’entraîne pas un jeu à sommes nulles où le citoyen, désabusé, finirait par ne plus faire évoluer sa pensée. A l’image de cette célèbre citation de Pierre Dac, reprise ensuite par Coluche, nous pourrions devenir tous fatalistes et sombrer dans un conservatisme sclérosant.
Face à chaque indignation, une posture intéressante à méditer :
- Posons nous d’abord la question de notre exemplarité dans nos comportements du quotidien et interrogeons nous sur nos petits paradoxes pour nous mettre en accord avec nos indignations ; peut on vraiment exiger des autres ce que l’on ne s’applique pas soi même ? Les indignés basheurs sont-ils pour autant plus vertueux ? Pas si sûr…
- Prenons ce temps de recul nécessaire sur ce flot d’indignations déversées au quotidien pour y réfléchir avant de sur-réagir.
- Enfin, bien entendu, derrière ce titre un brin provocateur, il n’y a pas de fatalité. Si notre indignation apparaît fondée et légitime alors posons nous ensuite la question de passer alors de mode témoin à acteur afin d’agir pour influencer notre système, cette fois-ci de façon bien réelle, pour de bon, pour le FAIRE, vraiment !