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Obésité, gaspillage, aide alimentaire, fruits et légumes made in France, Politique agricole commune, soja, agriculture écologique, réchauffement climatique… Ça nous démange, d’imaginer le monde d’après, surtout qu’on a du temps pour y penser actuellement.
Il convient néanmoins d’être d’une grande prudence. En effet, on lit beaucoup d’autojustification, chacun tentant de justifier ses positions d’avant sur le thème « je vous l’avais bien dit ». Va-t-on devenir plus sages, plus prévoyants, plus solidaires, ou bien le chacun pour soi, le droit à la futilité, l’égoïsme individuel et collectif reprendra-t-il le dessus ?
Bruno Parmentier est auteur de « Nourrir l’humanité » et « Faim zéro » (Editions La Découverte), de « Manger tous et bien » (Editions du Seuil) et de « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (Diffusion internet), et animateur du blog Nourrir-Manger et de la chaîne You Tube Nourrir-Manger.
Il répond chaque jour sur StripFood à une nouvelle question pour commencer à imaginer l’agriculture et l’alimentation de demain.
Quel type de consommation de viande demain ?
L’Europe agricole est globalement autosuffisante, sauf pour les produits exotiques bien sûr (café, cacao, fruits tropicaux, etc.) et pour l’alimentation animale. En fait, nos poulets, nos cochons, nos canards et même nombre de nos vaches mangent quotidiennement du soja et du maïs argentin, brésilien ou paraguayen. Du soja et du maïs… transgénique.
Le soja que nous achetons outre Atlantique couvre une surface équivalent à la France.
En ce début de crise du Covid19, les cargos continuent à traverser l’Atlantique et à décharger ces précieux grains à Lorient, St Nazaire ou Sète. L’Europe importe ainsi 33 millions de tonnes de soja par an, dont un dixième pour la France. Pour se rendre compte de l’énormité de ces transferts, réalisons que ce soja que nous achetons couvre près de 20 millions d’hectares outre Atlantique, soit l’équivalent de la surface agricole française. En quelque sorte, nous avons décolonisé au XXe sièclE sauf pour nos bestiaux, pour lesquels nous avons conservé l’usage des champs couvrant l’équivalent d’un grand pays ! Et en plus nous nous scandalisons quand Jair Bolsonaro couvre les incendies en Amazonie, incendies allumés en bonne part pour ouvrir des nouveaux champs de soja.
Des alternatives européennes au soja existent bien mais il nous manque une chose : la volonté politique.
Les solutions de substitutions européennes existent, bien sûr, à commencer par les oléo-protéagineux (colza et tournesol) mais aussi les légumineuses à graines (pois, féverole, lupin) et les légumineuses fourragères (luzerne, trèfles, sainfoin, lotier). Ce qu’il manque depuis des décennies ? La volonté politique. Tirerons-nous les leçons de notre vulnérabilité dans nouvelle Politique agricole commune en lançant un grand plan de production de protéines végétales ?
Il y a justement un créneau favorable car la consommation de viande et de lait a commencé à baisser et va continuer à le faire sur notre continent. Elle n’avait cessé d’augmenter, passant en France de 30 à 100 kilos annuels par personne (de viande et de lait) au XXe siècle. On a fait comme si cette progression était indéfinie. Bien entendu, elle ne l’était pas car on n’allait évidemment pas passer progressivement à 200 ou 300 kilos annuels par personne. Le retournement a commencé dès l’an 2000, quand les détracteurs des produits animaux ont commencé à trouver une écoute dans la population à savoir les « protecteurs » des animaux qui dénoncent les violences dans les élevages et les abattoirs, les nutritionnistes et diététiciens qui soulignent les dangers des excès d’une alimentation trop riche, et enfin les écologistes qui redoutent l’accaparement des ressources et le réchauffement de la planète
Il faut donc massivement se tourner vers la qualité.
Bref, nous sommes redescendus à 90 kilos de lait et 85 kilos de viande. Cette baisse, qui provoque une énorme crise dans un élevage majoritairement tourné vers la quantité n’est que le début d’un mouvement de fond. Il n’est pas exclu qu’à terme nous ne consommions plus que 50 à 60 kilos de ces produits, et que les baisses à venir représentent deux à trois fois celles qui ont déjà été enregistrées.
Il faut donc massivement se tourner vers la qualité : produire et consommer moins, mieux, valorisé plus cher (comme on a fait pour le vin, quand on est passé de 140 litres annuels par personne dans les années 50 à seulement 40 actuellement mais avec un chiffre d’affaire de la viticulture qui a quand même augmenté).
La crise et le confinement suite à la crise du Covid19 ont brusquement accéléré le processus. On consomme nettement moins de ces produits depuis deux mois. Cette baisse sera-t-elle réversible ? Va-t-on à terme ne produire en France que les animaux qu’on pourra nourrir avec les végétaux français, et ce sous signe de qualité ? Les consommateurs accompagneront-ils le mouvement en acceptant de payer plus cher ce qu’ils achèteront en plus petite quantité, mais avec davantage d’exigences de qualité, de respect de l’environnement et d’indépendance nationale ?
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