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Auparavant, les valeurs étaient transmises d’une génération à l’autre. Mais aujourd’hui, c’est différent. Interconnectés entre eux par les puissants réseaux sociaux, les millennials (formant une partie seulement de la jeunesse) des pays européens, d’Amérique du Nord et de certains pays d’Asie ont plus de points communs entre eux qu’ils n’en ont chacun avec la génération qui les précède dans leur pays d’origine.
Alors, en matière d’alimentation, ils revendiquent déjà des spécificités fortes. Entre les régimes alimentaires individualisés et la véritable passion autour du partage de leurs expériences food sur les réseaux sociaux, on observe également des attentes fortes en terme d’engagements (respect de l’environnement, justice sociale, respect du bien-être animal,…) témoignant de la puissance de leurs systèmes de valeurs. Ce qui apparaissait traditionnellement comme de simples effets de générations pourraient bien se transformer en changements de comportements plus massifs et surtout plus durables. Pour illustrer le propos, c’est Henry Peyret, spécialiste des valeurs, qui signe ici sa deuxième contribution sur StripFood.
Stéphane Brunerie
Aujourd’hui, les jeunes se construisent, ainsi que leur conscience, en interagissant via les réseaux sociaux, et bien plus avec les autres jeunes de groupes très variés qu’avec leurs aînés. Ils accèdent aussi à beaucoup plus de points de vue diversifiés grâce à internet. Les influences de la religion, de la culture, de l’identité nationale ou de l’éducation transmises par les aînés est bien moindre dans la construction de leur panier de valeurs que pour les générations précédentes. Ces jeunes n’ont pas moins de valeurs, mais elles sont parfois différentes. Ils ont des priorités différentes de leurs aînés et accordent plus d’importance à aligner leur vie sur ces valeurs que les générations précédentes.
Ces dernières ont fait beaucoup de compromis, au point de vivre dans une certaine schizophrénie, acceptant par exemple dans le monde du travail des compromis impensables dans leurs vies privées. Cet accroissement d’engagement des jeunes provient de la facilité d’accès à l’information, et à un savoir ouvrant de nouvelles voies alternatives, mais aussi aux applications sur le web ou mobiles qui leur permettent de faciliter leur engagement. Ils élargissent leurs connaissances grâce à un nombre accru d’échanges avec d’autres individus, dont certains sont de parfaits inconnus, toutefois reliés aux mêmes cercles d’intérêt qu’eux, et exprimant un ensemble d’avis, d’opinions et de valeurs communs.
Des valeurs traditionnelles séculaires vers les valeurs sociétales
Ainsi les études et livres du professeur Ronald Inglehart (www.worldvaluesSurvey.org) note que si il y a vingt ans un grand père ne comprenait pas son petit-fils et vice versa c’est parce que les valeurs dites traditionnelles avaient un cycle d’évolution d’environ 30 années. Les mêmes études notent une accélération du mouvement vers les valeurs sociétales et Ronald Inglehart illustre cette accélération par le fait que deux frères élevés par les mêmes parents mais séparés seulement de 10 ans d’age aujourd’hui ne se comprennent plus. D’autres études notamment de la société Wassati confirme que l’évolution de chaque valeur sociétale est comprise entre 5 et 10 ans.
La recherche de sens dans le travail est un énorme challenge pour les entreprises
Un exemple de cette évolution : la valeur « travail », qui n’est souvent plus une valeur pour nos adolescents ou en tout cas plus du tout avec la priorité que ma génération lui donnait avec les avantages et/ou valeurs qui y étaient associés : sécurité, liberté, logement, santé, etc. Car ces mêmes jeunes ont aussi vu chez leurs parents la souffrance associée au travail. D’autres facteurs amoindrissent la notion valeur « universelle » du travail : tout le monde ne peut plus accéder à cette valeur travail (chômage, discriminations raciales, géographiques ou dues à un handicap), le travail peut faire souffrir (burn-out, licenciements abusifs, accidents du travail, impacts sur la santé, scandales de l’amiante ou autres), le travail n’apporte plus de satisfaction ou peu de reconnaissance, et surtout, point le plus important aux yeux des jeunes, le travail manque bien souvent de sens. La partie sécurité de la valeur travail a fortement diminué : licenciement, évolution des lois sur le chomage, la maladie ou la retraite. La partie liberté n’est plus aussi dépendante du salaire. Donc les jeunes remplacent ces deux valeurs liées à la valeur travail par une recherche de sens accrue. Cette recherche de sens dans le travail me fait espérer beaucoup des prochaines générations mais représente clairement un challenge pour les entreprises qui ne pourront s’abriter longtemps derrière une marque employeur enjolivée ou une raison d’être dénuée de sens.
Un autre exemple illustrant cette évolution des valeurs chez des jeunes qui abandonnent leurs études juste avant leur diplôme ou bien qui font de multiples premières années. Les parents de ces jeunes sont souvent très désemparés face à de tels comportements. Cela se voit aussi lorsque d’autres jeunes changent plusieurs fois de voie universitaire, ne voyant pas de sens dans leurs études (trop théoriques ou très déconnectées de l’emploi escompté) et estimant que le domaine ne leur apporte pas de satisfaction. D’autres jeunes encore quoique diplomés déclenchent des crises typiques de la quarantaine… mais entre 20 et 30 ans !
Ces jeunes au travail ou dans leurs études quittent souvent une voie qui leur assurait un avenir confortable et qui rassurait leurs parents. Certains pressentent que le monde qui arrive possède autre chose à leur offrir qu’uniquement des moyens de subsistance. Des jeunes reviennent à la nature, s’installent pour faire de la permaculture, apprenant les bonnes pratiques même quand toute leur jeunesse a été citadine. D’autres inventent les futurs métiers nécessaires pour la transition à venir : coach, naturopathe, professeur de Pilates ou de yoga, nouvelles formes artistiques, nouvelles formes pour soigner, découvrir, développer le corps et l’esprit. C’est souvent une quête, périlleuse, pleine de risques, moins confortable que l’emploi qu’ils visaient précédemment et pourtant ils pressentent que cela leur apportera plus de joie, même si c’est au détriment d’argent, de confort matériel, d’assurance santé et donc d’une certaine sécurité recherchée par les générations précédentes.
Nous sommes entrés dans l’ère VUCA (Volatil, Uncertain, Complex and Ambiguous).
Pour tous les parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants il faut prendre conscience qu’il devient ainsi indispensable de préparer vos enfants à inventer les prochains métiers et les prochaines manières de vivre car dans la période à l’œuvre actuellement c’est-à-dire avec une crise majeure tous les 7 ans environ, chaque crise nécessite pour chacun une remise en cause majeure : changement de filière professionnelle, remise en cause des priorités et valeurs personnelles, divorce ou séparation, rapport à l’alimentation, à la nature, etc. Cette nouvelle ère au niveau mondial est appelée VUCA (Volatil, Uncertain, Complex and Ambiguous) et suit les deux périodes précédentes des 30 glorieuses, puis des 30 piteuses après le choc pétrolier des années soixante dix. Elle a commencé dans les années 2000 avec 3 crises majeures en 20 ans : bulle internet, crise financière des Sub-primes et actuellement crise de la pandémie COVID-19. Donc les crises restent imprévisibles mais elles deviennent récurrentes. Dans ce contexte VUCA comment préparer nos jeunes à vivre chacune de ces crises sociétales qui potentiellement provoque une remise en cause aussi profonde que la crise de l’adolescence ou de la quarantaine (mid life crisis) maintenant tous les 7 ans ? C’est l’enjeu des prochaines décennies que de préparer nos jeunes à savoir faire évoluer leur système de valeur et les actions/décisions qui en découlent tout au long de leur vie dans ce monde VUCA car il devient impossible de garantir sa sécurité avec une visibilité dépassant les 7 ans.
Pour cela travailler sur l’âme, le spirituel pas nécessairement religieux, l’intention, la raison d’être, sur l’être plutôt que l’avoir, sur la recherche des questions existentielles telles que : qui suis-je ? quel est mon rôle dans ce monde, dans l’univers ? Que dois je faire au-delà de rechercher ma satisfaction personnelle ou de mes proches? Tout au long de cette recherche le rapport à l’argent, au temps, au plaisir, à l’amour, à mon moi (mon ego) vont être à la fois des clés de prise de conscience des blocages et donc de déblocages potentiels dans cette recherche.
Pour aller plus loin :
Les 18-34 ans, ces incompris (Stratégie)
« Millennial » : je ne suis pas qui vous croyez (ADN)
Entre vegan, no gluten, omnivores… peut-on encore partager un repas sans s’engueuler ? (ADN)
Entre healthy et junk food, les millennials sont en plein paradoxe (ADN)