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Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir, pour la seconde fois sur StripFood, David Garbous.
Fondateur et CEO de Transformation Positive, David Garbous accompagne les dirigeants sur la transformation de leur offre afin d’améliorer la réponse aux attentes des consommateurs-citoyens. Après 20 ans dans l’alimentaire chez Danone, Lesieur et Fleury Michon, il utilise les outils du marketing et de la communication responsable pour améliorer la performance de l’offre et l’engagement des équipes. David Garbous est également professeur associé à l’ISC Paris et Co-fondateur de la plateforme « RéussirAvecUnMarketingResponsable ».
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
David Garous : Bien Manger recouvre 3 dimensions :
Bien Manger, c’est d’abord se faire plaisir. Le plaisir de la dégustation bien sûr, celui de la subtilité des saveurs qui explosent en bouche. Mais également le plaisir d’être ensemble à table, de partager un moment suspendu qui a valu au repas à la française d’être classé au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.
Bien Manger, c’est également prendre soin de sa santé. Toutes les démonstrations sont faites que la qualité et la diversité de notre alimentation ont un impact direct sur notre état de santé. Même si la nutrition est une science encore jeune, ce qui fait que certaines recommandations donnent le sentiment de changer en permanence, l’avancée des connaissance nous permet d’être de plus en plus pertinents sur les recommandations. Enormément de travail a été fait par l’ensemble des acteurs sur ces 2 points. Le Nutriscore a permis de franchir un cap important pour donner des clés de comparaison entre les produits. Les défis à venir sont ceux de la nutrition personnalisée d’une part et celui de la substitution de tous les additifs et perturbateurs endocriniens dont nous maîtrisons trop peu les interactions pour les conserver dans les recettes de demain.
Bien Manger embrasse pour finir une vision sociétale. Les consommateurs ont compris que leur carte bleue était un bulletin de vote. Et qu’en fonction de leur choix de tel ou tel produit, ils ont la possibilité de soutenir tantôt le développement de l’agriculture bio, la juste rémunération des agriculteurs, la suppression du plastique, le bien-être animal, entre autres. C’est sur ce dernier point que leurs demandes, voire leurs exigences s’orientent de plus en plus, accélérées par la crise du Covid qui nous aura amené à reconsidérer la hiérarchie des espérances.
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
DG : Oui si on compte comme au XX siècle.
Intégrer des ingrédients de qualité dans les recettes coûte plus cher. Ne pas utiliser d’aliments ultra-transformés coûte plus cher. Rémunérer dignement les agriculteurs coûte plus cher. Mais plutôt que de nous désespérer de cette réalité incontestable, je propose de nous interroger ensemble sur les coûts cachés de l’obsession du prix bas qui nous a collectivement guidé depuis 20 ans. Derrière un bas prix, il y a toujours une fumisterie. En 3 dimensions elle aussi :
Sur le goût, on arrive à peu près toujours à s’en sortir. Parfois en intégrant des substances flatteuses pour le palais, mais moins pour notre santé, voire pour la planète : le gras et le sucre étant les 2 ingrédients les moins chers dans l’industrie alimentaire.
Sur la santé, il faut regarder la composition comparée d’un cordon bleu premier prix et celui d’un cordon bleu charcutier. Les 2 produits portent le même nom. Ce ne sont pourtant pas les mêmes produits. Ceci constitue une inégalité insupportable. Une maman qui a peu de moyens et pas de bac +12 pour lire un tableau nutritionnel aura l’impression de donner un produit sain à son enfant. Il n’en sera rien. Les autorités de santé ont évalué à 40 Milliards d’euros le coût des problèmes de qualité alimentaire pour notre système de santé (maladies cardio-vasculaires, diabète, cancer, …). Ces 40 Milliards ne sont pas dans le prix des produits. Pourtant la facture nous est présentée chaque année.
Sur le revenu des agriculteurs pour ne prendre que ce point : certains métiers agricoles ne pourront pas assurer le renouvellement des générations tellement les enfants des agriculteurs ont vu leurs parents souffrir ces 20 dernières années. Que se passera-t-il quand il n’y aura plus d’éleveurs de porc en Bretagne ? Et qu’une nouvelle pandémie frappera la France ? La souveraineté alimentaire a un prix.
Au XXI siècle, il convient donc d’intégrer dans le prix toutes les externalités qu’il induit. Les conséquences des choix des acteurs.
La question « bonus » à David Garbous :
SF : Quelle serait l’idée la plus puissante qui pourrait avoir le plus d’impact pour encourager les consommateurs et citoyens à mieux manger au quotidien ?
DG : Les initiatives se multiplient dans ce domaine. La Note Globale s’est emparé de l’idée de donner une vision consolidée sur 100 points de chaque produit vendu dans les rayons d’un supermarché. Les Saveurs de l’Année ont annoncé la transformation de la récompense qui va désormais intégrer la nutrition et les impacts environnementaux au critère fondateur du goût. Yuka a mis un pavé dans la marre pour aider à décrypter les étiquettes, Siga s’intéresse aujourd’hui à l’ultra-transformation Nous aurons dans les années à venir des dizaines d’application qui nous permettront de comptabiliser autrement la valeur des aliments. Le gouvernement pourrait aussi décider de légiférer dans ce domaine en proposant une TVA différenciée pour les produits du MieuxManger, une sorte de bonus malus fiscal pour encourager les pratiques vertueuses. Je vous invite à ce sujet à découvrir les recommandations du Think Tank Agro-alimentaire des Echos qui a posé dans sa dernière recommandation les enjeux et les défis de l’alimentation à horizon 2030. Le chemin reste vertigineux mais je constate que les acteurs sont globalement réellement mobilisés sur ce sujet, ce qui me rend optimiste pour l’alimentation de mes enfants.