Temps de lecture : 3 min
Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Esther Ghezzo et Morgan Malka, qui forment l’élégant duo Renards Gourmets.
Renards Gourmets est un duo, un couple, professionnel et amoureux. Ils élaborent ensemble des photographies culinaires artistiques et gourmandes. Leur univers est emprunt des natures mortes du XVIIe siècle et d’un intérêt très marqué pour l’histoire et la culture culinaire. Les recettes qu’ils élaborent sont tantôt le fruit de leur imagination, tantôt puisées ci et là dans d’obscurs ouvrages et manuels d’une cuisine délaissée, mais dont ils raffolent et qu’ils cherchent à adapter aux goûts du jour. Épicuriens dans l’âme, ils réalisent aussi bien des œuvres photographiques que des textes factuels ou poétiques. Leur devise ? Vivre avec l’amour du beau, du bon et du temps présent.
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
Renards Gourmets : Pour nous bien manger c’est avant tout une quête de sens. Se nourrir est une préoccupation première qui fut tour à tour prise au sérieux ou tournée en dérision. Pourtant nous passons le plus clair de notre temps à chercher notre nourriture, la préparer et la consommer. Nous avons beau essayer de nous persuader que nous valons mieux que les animaux dont c’est le but premier, nous ne faisons en vérité guère plus. Considérer que l’une de nos principales activités n’est pas une chose sérieuse est déjà un non sens. Qui plus est, aujourd’hui il est difficile d’être en phase avec son alimentation, là où le choix ne s’offrait pas avant la révolution industrielle, il est aujourd’hui omniprésent.
Être omnivore ou non, manger local, de saison, biologique, tant de chapelles auxquelles on peut faire ou non le choix d’adhérer et qui sont bien souvent irréconciliables. Dans ce vaste fourbi, il est parfois difficile de savoir où l’on va. Nous essayons d’avoir confiance en notre bon sens sans subir les influences alentour. C’est par une réflexion permanente et une remise en question quotidienne qu’on peut faire au mieux. D’autres l’ont pensé avant nous, manger est un acte social, idéologique et politique.
Plutôt que de prôner une consommation plus qu’une autre, nous encourageons nos lecteurs à chercher ce qui fait sens chez eux. Car le sens est différent en fonction du lieu où on l’on vit, de son âge, de ses activités, de ses moyens. Il n’y a malheureusement pas de recette. Ce n’est qu’en cherchant que l’on trouve ce que bien manger veut dire. La passivité ici comme ailleurs est à exclure. Bien manger c’est déjà comprendre ce que l’on achète, comprendre comment on le cuisine et pourquoi.
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
RG : Nous nous attachons avec ferveur au sens premier du mot ménager. Apprendre à gérer son foyer, ses économies et sa consommation.
Le poulet rôti ou le lapin en cocotte sont exclus d’emblée de notre alimentation. La première chose que nous faisons avec une volaille c’est la découper entièrement. Crête, foie, gésier, cœur serviront de garniture à des pâtes faites maison. Les cuisses seront séparées en deux, les hauts-de-cuisse désossés puis farcis, les cuisses mijotées en cocotte. Les ailes seront employées pour faire un jus qui parfumera nos plats. Les blancs sont eux aussi farcis, la carcasse passe dans un bouillon, tout comme les pattes d’ailleurs. Un poulet c’est au moins 6 ou 8 repas pour nous, à deux, ce qui nous permet d’ajouter 2€ au kilo et d’opter pour des volailles bien élevées, bien tuées. Nous ne pourrions pas payer ce prix si nous consommions aveuglément. Rentabiliser chaque légume, chaque viande pour en tirer le maximum. Le gaspillage alimentaire est intimement lié à l’économie. Moins on gaspille, moins on dépense et mieux on achète.
Nous mangeons excessivement bien et avec des revenus aux ras des pâquerettes. Nous y arrivons parce que chaque détail est pensé, rien n’est le fruit du hasard. Chaque bouquet d’herbe aromatique acheté trouve deux ou trois utilisations avant d’avoir le temps de faner au fond du frigo. C’est un effort qui demande de l’organisation et de la réflexion mais quand sa routine est au point, c’est comme du papier à musique. Exclure totalement les produits déjà transformés permet également de faire de très grosses économies, tout commence avec la saison et les produits frais, c’est le mot d’ordre.