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Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Xavier Terlet.
DG de ProtéinesXTC (Cabinet de conseil en stratégie, innovation & communication expert des secteurs alimentaire et agricole), Xavier Terlet est spécialiste des tendances de l’alimentation dans le monde, il conseille les entreprises de la grande consommation dans leur développement par l’innovation.
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
Xavier Terlet : Avant de qualifier ce qui est bien ou bon, je poserai la question, qu’est-ce que manger ?
Manger est avant tout répondre à un besoin vital d’énergie pour vivre. Heureusement, ceux pour qui ce besoin n’est pas pleinement satisfait sont de moins en moins nombreux. Ceux-là ne se préoccupent pas de ce qui est bon ou bien, ils veulent manger pour (sur)vivre.
Il n’en reste pas moins que ce moment, fût-il frugal est un moment de plaisir. Manger est pour chacun un plaisir. Et ce plaisir peut prendre des formes très différentes selon le consommateur, le lieu et la circonstance de consommation.
Certain se pâmeront devant une andouillette AAAAA bien grillée, quand d’autres quitteront la pièce, incommodés par l’odeur. Différentes également selon le moment de consommation ou encore la situation géographique tant les habitudes, les traditions ont leur importance. Le Kimchi sera apprécié différemment à Séoul ou à Sarlat, le pain qui donnera du plaisir au consommateur français n’est pas le même que pour l’allemand ou l’anglais …
De la même manière, si nous avons plaisir à manger ensemble en France, en Chine aussi – c’est beaucoup moins vrai dans les pays anglosaxons.
Alors, selon les modèles alimentaires, si ce plaisir peut prendre des formes différentes, il devra, pour être pleinement ressenti, s’entourer d’un certain nombre de garanties. Et ces garanties sont universelles, les mêmes partout et pour tous.
D’abord la garantie de sécurité sanitaire, un doute de cet ordre sur un produit et le plaisir sera amoindri. Puis la praticité ; une difficulté de manipulation, de préparation ou d’utilisation gâchera notre plaisir et enfin garanties éthiques ou citoyennes ; notre café du matin pourra devenir amer si l’on découvre de mauvaises conditions sociales ou écologiques de production…
Pour finir, « bien manger » ne peut se juger que dans une certaine durée. On peut dans le cadre d’une alimentation satisfaisante et bien équilibrée, s’offrir de temps à autres un petit écart, un plaisir trop sucré, trop salé, trop gourmand voire qui pose question éthiquement.
Cette possibilité de sortie de route est peut-être d’ailleurs la meilleure définition du «Bien manger».
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
XT : Non. Il faut aujourd’hui l’affirmer. Même si cela va à l’encontre de ce que beaucoup aiment entendre et répéter.
Et ceux-là ne mettent que très rarement les pieds dans un supermarché ou si ils le font, n’ont que peu de considération vers ces produits source de plaisir, qui sont sains, pratiques et éthique et qui restent économiques.
Et il faut saluer les distributeurs qui proposent cette offre au plus grand nombre. Ils permettent ainsi à ceux qui ne peuvent boucler les fins de mois, à ces consommateurs de plus en plus nombreux victimes d’une précarité grandissante d’avoir accès à une bonne alimentation.
Car le problème n’est pas l’offre. On peut aujourd’hui pour quelques euros satisfaire sainement sa famille, matin, midi et soir.
Le bât qui blesse est plutôt le manque d’initiation pour savoir choisir ou préparer ses repas. Et cela touche justement ceux aux moyens les plus faibles qui par manque d’information et de connaissance culinaire et nutritionnelle se nourrissent mal. Une alimentation pas assez variée, déséquilibrée, trop riche, trop salée, trop sucrée, trop grasse, trop transformée… et trop chère.
Il faudra du temps. Un consommateur ne peut du jour au lendemain, devenir un expert capable de décoder une liste d’ingrédients et les informations nutritionnelles ou préparer lui-même un bon repas rapidement.
Connaitre les produits pour les aimer, savoir les choisir et les préparer pour bien se nourrir chaque jour de notre vie, cela s’apprend.
Les enjeux de santé publique et économiques sont tels que, puisque cet enseignement ne peut se faire au sein du foyer, c’est à l’école qu’il convient de confier cette mission.
Et l’on pourrait rêver d’une future génération qui pourra manger sans trop dépenser en conjuguant plaisir et santé.