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Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
C’est désormais au tour de Ariane Grumbach.
Ariane Grumbach est diététicienne libérale à Paris depuis 2008 après une autre vie professionnelle. Elle a une approche globale du comportement alimentaire et accompagne les personnes vers une relation apaisée avec la nourriture sans régime ni privation. Elle défend la diversité corporelle et lutte contre l’obsession de la minceur.
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
Ariane Grumbach : Bien manger est évidemment une expression aux significations multiples. Pour moi, ce serait manger ce qui nous fait du bien. J’y vois deux dimensions : d’abord, une dimension émotionnelle, celle de se faire plaisir, de manger quelque chose qu’on aime et de prendre le temps de l’apprécier dans un contexte agréable. Ensuite, manger ce qui nous fait du bien, ce qui nous donne forme, énergie, santé, sans entrer dans des injonctions ou une dimension morale de la nourriture. Cela signifie pour moi une alimentation la plus variée possible et une alimentation majoritairement à base de produits bruts qu’on cuisine. Et, ensuite, on peut faire varier le curseur de ses critères de choix complémentaires en fonction de son exigence et de ses convictions : bio, local, de saison, plus ou moins de viande, etc.
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
AG : Pas forcément. Je ne cesse de lutter contre l’idée que c’est seulement une question d’argent. C’est beaucoup plus compliqué que ça. La preuve, c’est le bide d’opérations style panier de légumes à bas prix. Mais si on veut bien manger sans dépenser trop, il faut en revanche accepter d’y passer un peu de temps. Le temps de cuisiner, mais aussi de trouver les bons circuits d’approvisionnement, d’apprendre des techniques… J’utilise une équation simple à trois variables : le temps – la qualité – l’argent : on ne peut pas gagner sur tous les tableaux ! C’est ce qui rend la situation particulièrement difficile pour beaucoup d’étudiants : si on n’a ni temps ni argent, ça devient plus compliqué de bien manger. Cela reste toutefois faisable avec des conserves, des aliments de base. Une boite de sardines, des lentilles, des poireaux vinaigrette, une omelette ne sont pas des aliments coûteux ni très consommateurs de temps.
la question « bonus » à Ariane :
SF : Quelle serait l’idée la plus puissante qui pourrait avoir le plus d’impact pour encourager les consommateurs et citoyens à mieux manger au quotidien ?
AG : Il est très difficile et peu efficace de donner des conseils généraux du style « yaka » qui ne prennent pas en compte la réalité de chacun et risquent de faire culpabiliser quand on ne les applique pas.
Je m’y risque toutefois un peu !
D’abord, passer le plus possible par la cuisine, un acte concret et qui donne envie de s’intéresser à ce qu’on met dans son assiette. J’ai souvenir d’avoir animé des ateliers de cuisine avec des hommes en réinsertion et cela avait été incroyable comme moment d’apprentissage, de partage, de reconnexion à ses souvenirs alimentaires.
Je crois beaucoup au partage, en tout cas dès qu’on sera sortis de cette situation sanitaire évidemment ! Le partage du moment de cuisine, le partage des repas. Pour reparler des étudiants : se regrouper à plusieurs, faire une grande session de cuisine en quantité et repartir avec des plats pour la semaine (avec éventuellement un ainé.e plus expert.e). Ou trois collègues : chacune cuisine pour les trois un jour sur trois : moins d’effort au quotidien, la découverte de la cuisine des autres, l’envie de faire plaisir.
D’ailleurs les dernières recherches sur le sujet montrent que l’expérimentation de façon positive et le groupe sont les deux leviers les plus puissants. C’est long, c’est coûteux, ce n’est pas spectaculaire… mais ça fait avancer.