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Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’accueillir Juliette PORTALIER.
Juliette Portalier Pelé, ancienne Planneuse stratégique en agence de publicité et femme de chef cuisinier, fonde Thoughts For Food en 2010 et accompagne des groupes et des marques alimentaires sur des projets d’innovation et de rénovation produits.
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
Juliette PORTALIER : Je vais me faire la voix des centaines de consommateurs que je rencontre en atelier de cuisine ou en groupe qualitatif sur de multiples sujets alimentaires, car c’est une question que je pose systématiquement en « tours de chauffe » avant de démarrer ces ateliers ou ces groupes . Je précise que je rencontre des gens de toutes CSP (Catégories Socio Professionnelles – NDLR) et dans toute la France.
Dans l’ordre, et pour la majorité des consommateurs, bien manger c’est 1- se faire plaisir, 2- manger de tout, varier son alimentation, 3- faire plaisir et partager un bon moment
Donc pour une grande majorité de Français, bien manger c’est faire du bien à son esprit (plaisir) et à son corps (santé). Nous sommes Français, l’aspiration au plaisir est intimement liée à notre forte culture culinaire et gastronomique contrairement à des pays Anglo-saxons chez qui les attentes sont bien plus « fonctionnelles » (« food is fuel for the body »).
Partant de ce postulat, on peut très bien se faire plaisir avec un BigMac ou le plat d’un chef étoilé, un plat de coquillettes au beurre ou une soupe de légumes, une rondelle de saucisson ou des Curly !
Et pour ce qui concerne la dimension santé, les Français sont les rois de l’arbitrage et du « ré équilibrage ». Les excès sont souvent suivis par des périodes de diète. En France, on peut manger de tout, en quantité raisonnable, il suffit de varier son alimentation.
Mais de façon générale, on mange bien mieux aujourd’hui qu’il y a 100 ans. Tous les producteurs et artisans que je rencontre et qui exercent leurs métiers depuis plusieurs générations le confirment et les progrès des acteurs de l’agroalimentaire contribuent également largement à ce « mieux manger » même si les media s’évertuent à nous faire croire le contraire…!
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
JP : Bien manger n’est pas forcément plus cher à la condition de répondre à de nombreux impératifs et non des moindres : savoir cuisiner, avoir une connaissance des produits, savoir gérer son frigo pour ne pas gaspiller, et aussi, avoir du temps : pour faire les courses, cuisiner, faire la vaisselle, nettoyer la cuisine.
Le manque de savoir-faire et le manque de temps engendrent forcément un coût financier et ceci quel que soit le sujet dès lors que l’on est obligé de faire appel à un tiers et de le payer pour faire à notre place !
Bien boire ne coûte pas non plus forcément plus cher, quand on a un minimum de connaissance en vin, que l’on sort des réseaux de distribution traditionnels et qu’on achète des petits vignerons qui travaillent bien.
Toutefois, bien manger peut devenir assez cher lorsque l’on a une haute exigence concernant la qualité de la matière première, des produits.
Ceci étant, les Français qui déjà savent de mieux en mieux arbitrer et varier leur alimentation, commencent également à être partisans du « moins, mais mieux et meilleur » !
Acheter une très bonne viande, avec des bêtes élevées en plein air, bien nourries et bichonnées, c’est plus cher mais on en mange moins souvent, c’est bien meilleur et pour tout le monde ! Le travail d’un éleveur pour produire une viande de haute qualité est plus long et important donc forcément cela se répercute sur le prix d’achat et il en va ainsi pour n’importe quel produit, même le plus courant et le plus banal.
Nous avons assisté à une forte rupture de transmission culinaire à partir de 1968 lorsque les femmes se sont massivement mises à travailler, il faudrait que l’éducation nationale envisage de reprendre la main sur l’apprentissage du goût et du savoir-faire culinaire en collège et lycée afin d’assurer le bien manger à des prix raisonnables pour tous : les filles comme les garçons, et toutes les CSP !