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On connaît désormais les 12 candidats à l’élection présidentielle et l’essentiel de leurs programmes respectifs. Si l’on s’intéresse plus précisément à leurs programmes agricoles et alimentaires, on peut voir que ces questions se sont largement politisées ces dernières années. Sur les enjeux agricoles et alimentaires, les lignes ont, en effet, quelque peu bougé par rapport aux scrutins précédents. Un candidat, s’il espère l’emporter le 24 avril prochain, ne peut pas par exemple s’opposer ouvertement à l’idée de transition agroécologique et défendre explicitement les traités de libre-échange ou encore l’usage de produits phytosanitaires sans aucune trajectoire de réduction.
En effet, par-delà les figures imposées de tout programme agricole pour les principaux candidats – défendre l’importance de l’agriculture française, le modèle d’agriculture familiale et la garantie du revenu des agriculteurs, déplorer la réduction du nombre d’exploitations, les difficultés rencontrées par de nombreuses filières et le partage de la valeur ajoutée au détriment des producteurs en tirant à boulet rouge sur la grande distribution –, il est aussi évident que les clivages entre eux sont très nombreux sur ces sujets. On peut en identifier six.
(1) Le premier clivage tend à opposer les candidats (gauche et écologiste) dont le programme agricole et alimentaire s’adresse d’abord aux électeurs et les candidats (Pécresse, et Macron, Le Pen et Zemmour dans une moindre mesure) dont le programme s’adresse avant tout aux agriculteurs eux-mêmes. Les premiers entendent partir des « attentes sociétales » d’une alimentation saine et de qualité pour formuler des propositions de réformes, tandis que les seconds cherchent avant tout à répondre aux préoccupations des agriculteurs, notamment sur la rémunération, les charges, les lourdeurs administratives ou la surtransposition des normes européennes.
(2) Le second clivage est lié au rôle même de l’agriculture dans l’économie et dans la société avec des candidats (gauche et écologiste) qui voient l’agriculture et l’alimentation d’abord comme un enjeu de société et des candidats (Macron, Pécresse) qui, eux, perçoivent l’agriculture d’abord comme un secteur d’activité et un enjeu économiques. Pour les seconds, les agriculteurs sont des chefs d’entreprise qui ont les objectifs et qui font face aux contraintes traditionnelles des acteurs économiques. Ils doivent pouvoir gagner leur vie par leur activité de production. D’où les propositions de choc de simplification, d’investissement ou d’innovation. Pour les premiers, les paysans, et non les agriculteurs, sont vus avant tout comme des fournisseurs de biens communs qui doivent être plus ou moins subventionnés pour les services qu’ils rendent à la société, ce qui implique une importante régulation étatique. Jean-Luc Mélenchon parle à ce propos d’une « agriculture tournée vers l’intérêt général » et Yannick Jadot, d’une « démocratie alimentaire ».
(3) Le troisième clivage, classique, concerne le meilleur « modèle » agricole. Il oppose les candidats (Pécresse, Macron, Le Pen dans une moindre mesure) plutôt favorables à une agriculture conventionnelle, raisonnée et/ou à une transition agroécologique s’appuyant d’abord sur une agriculture de précision aux candidats (gauche et écologiste) qui promeuvent une transition agroécologique « paysanne », une agriculture biologique ou une agriculture paysanne. Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon proposent ainsi de passer à une agriculture 100 % bio d’ici à 2050. Ce clivage est bien perceptible sur la question des pesticides de synthèse : les premiers disent « pas d’interdiction, sans solutions alternatives », tandis que les seconds entendent interdire immédiatement les produits jugés les plus dangereux et les autres le plus rapidement possible.
(4) Le quatrième clivage a trait aux débouchés de la production agricole entre, d’un côté, des candidats (Le Pen, Zemmour, Mélenchon) qui rejettent les traités de libre-échange et qui donnent la priorité à un protectionnisme, à un souverainisme agricole, à un localisme, et au développement des circuits courts et, de l’autre, des candidats (Pécresse et Macron) qui, eux, ne veulent pas renoncer à la vocation exportatrice de l’agriculture française.
(5) Le cinquième clivage tient au rapport des candidats aux innovations scientifiques et technologiques, en particulier aux biotechnologies. Il oppose les candidats pro-innovation (Macron, Pécresse) aux candidats (gauche et écologiste) qui défendent l’idée d’une transition agroécologique sans recours à la chimie et aux biotechnologies. Le rapport aux NBT est aujourd’hui le principal facteur de clivage en la matière.
(6) Enfin, le sixième et dernier clivage renvoie au rapport à la transition alimentaire avec des candidats (Pécresse, Le Pen, Zemmour, Roussel) qui défendent une gastronomie à la française et en particulier la consommation de viandes et des candidats (gauche et écologiste) qui font la promotion d’une diète « climato-compatible » passant par une réduction de la consommation de produits issus de l’élevage (et donc par une végétalisation de l’alimentation) et de produits transformés par l’industrie agroalimentaire (produits jugés trop sucrés, gras et salés). Entre, d’un côté, à gauche, les adeptes du quinoa et du végétarisme et, de l’autre, à droite, une Valérie Pécresse qui met en exergue « un pavé charolais arrosé d’un bon vin ».
On voit bien au final que les questions agricoles et alimentaires sont de plus en plus politisées depuis quelques années. Le consensus global sur le modèle de production conventionnel et le modèle du repas gastronomique à la française n’est plus à l’ordre du jour. En 2007, parmi les candidats de partis de gouvernement, seule Dominique Voynet pour Les Verts défendait une agriculture alternative par rapport au modèle conventionnel dominant. Aujourd’hui, c’est l’ensemble de la gauche, avec quelques nuances tout de même pour Fabien Roussel, qui est dans cette logique. Un tournant majeur de ce point de vue s’est produit en 2012 avec la conversion écologique de Jean-Luc Mélenchon et l’accord de gouvernement PS-EELV. Mais ces clivages n’opposent pas uniquement la gauche et l’écologie, d’un côté, au centre et à la droite, de l’autre. Il est aussi assez évident que le rapport à l’Europe et à la mondialisation provoque un autre type de clivage sur les questions agricoles et alimentaires opposant cette fois le centre et la droite aux courants périphériques, de droite comme de gauche. Alors, dis-moi ce que tu manges et je te dirai pour qui tu votes !
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