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On vient de greffer un cœur de cochon génétiquement modifié sur un homme à Baltimore, aux Etats-Unis ; magnifique avancée scientifique qu’on attendait depuis des années ! Il ne faut pas sous-estimer les conséquences à long terme de cette immense pas en avant ; l’une d’entre elles pourrait être la fermeture, à terme, de toutes les charcuteries dans les pays développés !
On ne mange pas comme il y a 50 ans.
C’est une erreur de croire qu’on mange la même chose qu’il y a 50 ans. Pour le pain par exemple la consommation des Français n’est plus que d’environ 120 g par personne et par jour, alors qu’on en consommait encore 900 g en 1900, 375 en 1950 et 153 en 2000.
En comparaison des années 50, on mange 3 fois moins de pain, 5 fois moins de pommes de terre, 3 fois moins de vin, mais 2 fois plus de fruits, 2 fois plus de viande, 2 fois plus de laitages ! L’augmentation des niveaux de vie a changé profondément notre alimentation.
Et il ne faut pas sous-estimer le facteur culturel, particulièrement en matière de viande. Par exemple Louis XIV ne mangeait pratiquement jamais de bœuf, jugé trop « vulgaire », mais des cygnes, paons, cigognes, hérons et cormorans, jugés plus nobles, et qui aujourd’hui sont devenus tabous dans la France républicaine !
Actuellement les juifs et les musulmans sont horrifiés à l’idée de manger du cochon, qui est pourtant un aliment extrêmement courant dans d’autres parties du monde. Les Français n’admettent pas l’idée de manger du chien, mais ils mangent des escargots et des cuisses de grenouilles, ce qui révulse une bonne partie de l’humanité. Et dans de nombreuses régions du monde, on mange avec appétit des insectes : chenilles, sauterelles, grillons, vers de farine, scarabées, termites, fourmis, etc.
Il y a quelques décennies, le cheval (ou la jument, indépendamment de son propre sexe) était symboliquement un animal « pour homme accompli », viril et associé aux valeurs aristocratiques, militaires, machistes et misogynes, dont témoignent bon nombre d’expressions rituelles dans les milieux équestres du type « À nos femmes, à nos chevaux et à ceux qui les montent ! ».
Des savants progressistes avaient mis en avant la nécessité de nourrir la population toujours croissante des villes ainsi que l’amélioration du sort des chevaux, qui devait résulter de l’utilisation de leur viande pour l’alimentation humaine (car sinon ils étaient exploités jusqu’à leur dernier souffle et mouraient souvent d’épuisement en pleine rue, sous les coups des charretiers). Pour les consommateurs, cette viande ne pouvait que rendre celui qui la consommait noble, fort, intelligent, entreprenant et courageux, par transfert des qualités supposées de l’animal. Du coup les boucheries chevalines avaient pignon sur rue dans toutes les villes françaises. Les parents responsables donnaient à leurs enfants un steak de cheval avant un examen, en le faisant précéder d’une entrée à base de cervelle « car ça pourrait t’en donner » !
Or, à la fin du XXe siècle, en quelques années, inutile pour la guerre et l’agriculture, le cheval est devenu un animal pour les loisirs des jeunes filles bourgeoises. Dans les années 30, les femmes gagnent le droit de monter à califourchon ; en 1952, l’équitation féminine devient une discipline olympique (c’est le seul sport où les épreuves sont mixtes, à la fois pour le cheval et le cavalier). Actuellement 80 % des licenciées sont des femmes et les deux tiers ont moins de 25 ans. Des filles qui ont auparavant joué pendant des années avec des poupées licornes !
Cette féminisation fait qu’on abandonne progressivement les anciens dogmes de dressage par domination et de soumission au profit de la persuasion et de la communication. Devant un obstacle qui fait peur au cheval, l’homme force sa monture à l’aide de la cravache et des éperons ; la femme, elle, commence par rassurer l’animal en lui parlant puis le ramène sur l’obstacle par un autre itinéraire.
Les hommes montent les chevaux, mais s’en occupent peu (avant il y avait des palefreniers pour cela) ; les femmes, elles, vivent avec le cheval et prennent plaisir à cette sorte de maternage qui consiste à préparer leur monture et à la panser longuement après le travail ; il se trouve d’ailleurs toujours dans les clubs nombre de femmes et de jeunes filles pour accepter de s’occuper des chevaux des hommes à leur place. Elles les transforment en animaux de compagnie, que bien entendu on garde près de soi jusqu’à leur mort naturelle.
Logiquement, les boucheries chevalines ont presque toutes fermé et les supermarchés qui en vendent le font avec une grande discrétion et presque honteusement tout au bout du rayon viande. La consommation de viande de cheval représente moins de 3 % du total des viandes consommées en France ; c’est la fin d’une époque.
Il est probable que si, en 2013, lors du scandale de la lasagne au cheval roumain, on avait découvert que la tromperie concernait de la viande de mouton, l’émotion n’aurait pas du tout été aussi forte. Un phénomène similaire est en train de se passer pour le lapin ; c’est devenu un animal de compagnie et la plupart des enfants ne veulent plus en manger.
Demain, la fin des charcuteries après celle des boucheries chevalines ?
Une évolution du même type pourrait bien se passer avec le cochon. Cet animal est génétiquement très proche de l’homme, apparemment encore plus que le singe. L’idée de l’utiliser pour faire des transplantations d’organes est donc relativement ancienne. Elle permettrait de résoudre très rapidement le problème actuel d’approvisionnement : on manque cruellement de donneurs de cœur, de rate, de poumon, pour soigner les gens qui en sont à la dernière extrémité.
L’annonce de la première transplantation d’un cœur de cochon dans un homme pourrait donc constituer un véritable tournant dans la médecine et la chirurgie, aussi importante que celle qu’avait faite le professeur Christian Barnard en Afrique du Sud le 2 décembre 1967. 50 ans après, environ 90 000 greffes et dons d’organes sont réalisés chaque année dans le monde (66 000 reins, 21 000 foies et 6 000 cœurs) ! Il est bien évident que, si on peut élever des cochons pour réaliser la même opération, ce chiffre croîtra énormément.
Ces « xénogreffes » sont maintenant devenues possibles parce qu’on maîtrise beaucoup mieux la génétique. Et là, pas de réticence comme avec les aliments OGM, car l’enjeu est tout simplement… vital !
Trois gènes, responsables du rejet rapide des organes de porc par les anticorps de l’homme, ont été désactivés chez le porc donneur. Six gènes humains responsables de l’acceptation immunitaire du cœur de porc ont été insérés dans le porc. De plus, pour que la taille du cœur corresponde au thorax humain, il faut utiliser un porc adolescent, mais il est alors susceptible de poursuivre sa croissance, avec le risque de se retrouver à l’étroit et de ne plus pouvoir fonctionner normalement. Les chercheurs ont donc éliminé un gène pour empêcher une croissance excessive du tissu cardiaque du porc ! Soit au total 10 modifications génétiques…
Nul doute que cette technique va progresser rapidement. Il n’est alors pas impossible que le cochon devienne, en quelques décennies, un animal spécialisé dans l’assurance médico-chirurgicale. Chacun des riches de la planète risque à terme de faire élever « son » cochon, adapté à ses propres gènes, pour sécuriser sa santé et faire diminuer ses cotisations d’assurances maladie et vie !
Il y a déjà trois catégories de la population mondiale qui ne mangent pas de cochon : les juifs, les musulmans et les hindous, plus les végétariens ; elles pourraient bien être rejointes par une quatrième, les riches, puis progressivement les classes moyennes du premier monde.
Et, lorsque chacun connaîtra des gens qui vivront avec un cœur transplanté de cochon, un poumon de cochon, un foie de cochon, etc., le sort des charcuteries pourrait bien rejoindre celui des boucheries chevalines. On ne mange pas celui qui vous sauve la vie, cela deviendrait quasiment de l’anthropophagie. Ce sera alors la fin du jambon, du saucisson et de la saucisse, et des côtes et rôtis de porc ! Cela peut paraître aujourd’hui de la science-fiction, mais qui aurait cru dans les années 50 à la disparition quasi totale des boucheries chevalines ?
Le grand problème qui se posera alors sera celui de la viande de substitution : si on quitte le porc pour le poulet, c’est bon pour la planète car il ne faut guère que quatre kilos de végétaux pour produire un kilo de poulet, mais si c’est pour le veau, c’est dangereux pour la planète, car on est là dans une transformation de 10 à 12 de végétaux pour un kilo de viande, alors même que le veau a été transformé en mangeur de céréales, et en plus il rote et il pête du méthane à longueur de journée (une vache réchauffe actuellement autant la planète qu’une voiture !).
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