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Obésité, gaspillage, aide alimentaire, fruits et légumes made in France, Politique agricole commune, soja, agriculture écologique, réchauffement climatique… Ça nous démange, d’imaginer le monde d’après, surtout qu’on a du temps pour y penser actuellement.
Il convient néanmoins d’être d’une grande prudence. En effet, on lit beaucoup d’autojustification, chacun tentant de justifier ses positions d’avant sur le thème « je vous l’avais bien dit ». Va-t-on devenir plus sages, plus prévoyants, plus solidaires, ou bien le chacun pour soi, le droit à la futilité, l’égoïsme individuel et collectif reprendra-t-il le dessus ?
Bruno Parmentier est auteur de « Nourrir l’humanité » et « Faim zéro » (Editions La Découverte), de « Manger tous et bien » (Editions du Seuil) et de « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (Diffusion internet), et animateur du blog Nourrir-Manger et de la chaîne You Tube Nourrir-Manger.
Il répond chaque jour sur StripFood à une nouvelle question pour commencer à imaginer l’agriculture et l’alimentation de demain.
Somme-nous vraiment prêts à acheter des fruits et légumes made in France ?
Le blé se récolte avec d’immenses moissonneuses batteuses capables de récolter 25 à 30 hectares par jour, soit plus de 200 tonnes de blé engrangés, ce qui ne requière que le travail de deux personnes (une sur la moissonneuse, une sur le tracteur). C’est également le cas pour le maïs et même pour les pommes de terre, qu’il faut quand même aller chercher sous terre. On arrive à récolter un hectare en à peine plus d’une heure et deux personnes peuvent récolter 2 à 300 tonnes dans une journée. Donc, le confinement n’affectera absolument pas ces récoltes.
Certains légumes de plein champ sont maintenant récoltés mécaniquement, comme le petit pois et le haricot vert (compter 3 à 5 heures par hectare), le poireau et la carotte (10 à 20 heures par hectares) ou encore la betterave et l’oignon (2 à 5 heures par hectare). Là encore, pas d’incidence du confinement. De même, les vendanges sont de plus en plus mécanisées (même dans le bordelais on observe 80 % de mécanisation).
Les tomates de plein champ destinées à faire du coulis ou du concentré peuvent aussi être récoltées mécaniquement à raison de 50 tonnes à l’heure, car on n’a pas peur qu’elles prennent des coups. Mais ce n’est pas le cas de celles destinées à la consommation. Ces dernières sont ramassées à la main, tout comme les courgettes (50 kilos à l’heure), et donc le retours à la main d’oeuvre s’impose.
280 000 travailleurs saisonniers débarquent chaque année en France pour récolter les fruits.
Les fruits, en revanche, c’est une autre histoire. Ils se récoltent majoritairement à la main, au moins ceux nécessitant une expertise visuelle pour juger de leur maturité comme les fraises et autres fruits rouges, melons, pêches, abricots, prunes, pommes, poires, etc. La moitié de nos fruits seulement étant produite dans l’hexagone (les producteurs espagnols qui fournissent une bonne part de l’autre moitié ont exactement le même problème), la saison étant par ailleurs très courte et les exploitations très spécialisées pour des raisons d’efficacité, ce sont au total 280 000 travailleurs saisonniers qui débarquent dans nos serres et vergers chaque année.
80% des saisonniers agricoles sont immigrés de l’Est ou du Sud.
La terre est basse, et ce travail, pour s’exercer au bon air et la plupart du temps sous le soleil, reste très dur, et en plus fort mal payé. On considère par exemple qu’il faut attendre 10 jours en ayant très mal au dos avant que le corps s’habitue (plus ou moins) à ramasser les melons à terre. Résultat, la plupart des français abandonnent dans cette période de 10 jours, et au total 80 % de ces saisonniers agricoles sont immigrés de l’Est (bulgares, roumains, polonais, etc.) ou du Sud (marocains, tunisiens, sénégalais, etc.). En plus les conditions de logement de ces travailleurs sont souvent insalubres, entassés et précaires, peu séduisantes pour des français.
Avec la crise du coronavirus et la fermeture des frontières, on oblige à fournir aux travailleurs des conditions sanitaires nouvelles et il n’y a plus personne pour ramasser les fraises et les asperges. On a donc fait appel à des chômeurs partiels français, et beaucoup se sont inscrits sur le site Des Bras pour Ton Assiette. Reste encore à prouver que les difficultés logistiques et sanitaires puissent être résolues et que la pénibilité du travail ne sera pas un obstacle pour transformer les envies soudaines de rejoindre la terre en vocations durables, surtout lorsque la France commencera à sortir du confinement.
Nous importons 50% de nos fruits, l’autre moitié est ramassée en France par des étrangers.
On découvre ainsi que nous sommes devenus doublement dépendants pour nos fruits : nous les importons massivement, et ceux qui sont produits en France (soit à peine la moitié de notre consommation) sont ramassés par des étrangers (idem pour ceux du sud de l’Espagne).
La crise passée, voudrons-nous, saurons-nous, revenir en arrière ? Cela a un coût direct et ne pourra se faire que si nous acceptions de payer plus chers nos fruits. Chacun peut voir dans son supermarché que la fraise de Bretagne est plus chère que celles d’Espagne ou du Maroc car nos coûts de production et de main d’œuvre sont nettement supérieurs. Ces coûts ne peuvent qu’augmenter à l’avenir si ce sont majoritairement des français qui se chargent de la récolte, payés au moins au salaire minimum français, et correctement logés !
Les achats de fruits et légumes ne représentent actuellement « que » 12 % de la valeur de nos achats alimentaires mais voudrons-nous collectivement le faire sur la durée, une fois la crise passée ? Nous pouvons tout aussi bien redevenir amnésique et exiger à nouveau la nourriture la moins chère possible, quelles qu’en soient les conséquences.
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