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Kelly Frank est une goûteuse passionnée. Cette ingénieure agroalimentaire, passée notamment par le Centre de Recherche de L’Institut Paul Bocuse, adore dénicher des produits du quotidien qui méritent d’être goûtés. Après avoir travaillé comme responsable scientifique chez SIGA (la start-up spécialisée dans le sujet de l’ultra-transformation), elle fonde aujourd’hui Goûm, un projet destiné à revaloriser l’authenticité des aliments à travers une méthode unique. Elle livre à StripFood ses secrets pour mieux goûter.
Comment peut-on définir le goût ?
Il ne faut pas confondre le goût et les goûts. Les goûts, ce sont les préférences de chacun et c’est totalement subjectif : “j’aime”, “j’aime pas”. Cela ne décrit pas le goût.
Le goût lui est un savoureux mélange de perceptions : celles engendrées par des molécules perçues en bouche, et celles de l’ordre de la représentation mentale influencée par le contexte dans lequel nous mangeons (notre humeur, l’environnement,..) mais aussi par notre propre histoire, notre culture et nos souvenirs.
Le goût “moléculaire” se décompose en 3 types de sensations : des sensations gustatives (sucré, salé, amer…), des sensations aromatiques (le goût des odeurs), et des sensations tactiles (chaud, froid, piquant, astringent…). Il est aussi étroitement lié aux textures.
À l’origine du goût, il y a le triptyque du terroir : l’environnement (conditions pédo-climatiques), l’humain (savoir-faire) et la variété (pour le végétal) ou la race (pour les animaux).
Est-ce que nous avons tous les mêmes références en la matière ?
D’une part, nous n’avons biologiquement pas tous les mêmes récepteurs, d’autre part, nous avons tous notre propre bibliothèque sensorielle, que nous construisons tout au long notre vie. D’ailleurs pour l’enrichir, il faut goûter, sentir, et s’amuser à identifier ce que l’on mange. Ainsi pour parler du goût, il faut utiliser un langage commun, mais qui n’a de sens pour les goûteurs que s’ils ont déjà expérimenté les goûts en question.
Peut-on vraiment parler de « vrais goûts » ?
Pour moi, derrière un « vrai goût », il y a un concept qui découle de trois axes :
– de vrais ingrédients qui font le goût (qui ne sont pas ultra-transformés) ;
– une réelle empreinte aromatique (et pas que des saveurs dans une texture) ;
– et, enfin, un goût réussi (prise en considération des attentes du bon, propre à chaque produit).
Trop d’aliments sont maquillés. Il ne s’agit pas de faux ingrédients pour autant, mais un aliment trop sucré, trop salé ou trop épicé va perdre de son identité originelle. Il y a également beaucoup d’artifices du goût qui bernent notre cerveau comme les arômes, les texturants, les exhausteurs de goûts ou encore les colorants. Ceux-là sont davantage problématiques, d’autant plus qu’ils sont délétères pour la santé à long terme.
Que proposes-tu pour se réhabituer aux « vrais goûts » ?
Je veux recréer le lien entre la qualité des ingrédients, le goût et la promesse produit, afin d’apprendre à distinguer le vrai du faux goût pour permettre au consommateur de faire un choix en toute connaissance de cause.
Je m’adresse aux consommateurs pour faire de la pédagogie sur le vrai goût et leur faire découvrir des produits goûtus, mais j’accompagne surtout les professionnels de l’alimentaire pour faire bouger les choses à la source.
Quelle est, concrètement, ta méthode de lecture du goût ?
Pour évaluer la qualité d’un goût, ma méthode est simple et fondée sur trois questions : je goûte et me demande quel est le goût. Puis, j’essaie de comprendre ensuite le lien entre ce goût et la liste d’ingrédients. Enfin, j’évalue si cela est bien conforme aux promesses marketing communiquées, en la confrontant notamment au degré de transformation des ingrédients. On a alors une idée de l’authenticité du goût d’un produit.
Cette méthode simple permet aux consommateurs de comprendre ce qu’ils mangent et ce qu’ils aiment en mettant des mots dessus.
Cette approche inédite permet de questionner les préférences alimentaires, tout en éveillant une curiosité à goûter différemment, en particulier chez les plus jeunes. Cela risque de prendre du temps, car nous avons été pendant trop longtemps habitués à certains référentiels comme par exemple le fait que le jambon soit rose.
Quels sont les produits qui t’ont bluffée récemment ?
La dernière claque que j’ai prise, c’était avec les houmous de la marque « Atelier V ». C’est juste incroyable d’en arriver à ce résultat avec une liste d’ingrédients aussi clean : il y a du savoir-faire là dessous. Je citerai également, en matière de chocolat, l’approche « bean-to-bar » (les artisans chocolatiers travaillant à partir de la fève), qui fait découvrir une autre dimension du goût du chocolat, avec des marques comme Hasnaa ou encore Bonnat. Enfin, mention spéciale pour la pâte à tartiner de la Noiseraie qui s’approche du Nutella mais sans artifice, un superbe produit de supermarché bio.
Dans ces quelques exemples, la raison du goût est directement liée au processus de fabrication et à la qualité des ingrédients. C’est sublime.
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