Temps de lecture : 3 min
La fermentation de précision suscite à la fois de grands espoirs et de grandes craintes. Certains parlent même d’une seconde domestication (celle des microbes, après celle des animaux). Une révolution à suivre de très prés.
On commence à entendre parler de fermentation de précision en France : la start-up Standing Ovation a levé 12 millions d’euros, juste après les 2 millions obtenus par Nutropy, Bon Vivant a reçu 4 millions d’euros en mars 2022.
Au sein de la grande famille des protéines alternatives, la fermentation de précision a longtemps été éclipsée par d’autres sources plus spectaculaires et donc plus médiatiques, au premier rang desquelles la viande cultivée (ou in vitro) et les insectes. Pourtant, elle s’est développée plus rapidement : les premiers produits (la protéine de lait du pionnier Perfect Day, suivie d’autres) sont commercialisés depuis 2020 aux Etats-Unis, et l’on compte aujourd’hui dans le monde une cinquantaine de start-ups travaillant sur des alternatives aux protéines laitières (caséine, whey), mais aussi aux œufs, à l’huile et aux graisses, au miel ou encore à la gélatine (base de données disponible sur demande). Elles ont levé 904 millions de dollars en 2021, un montant en explosion ces dernières années :
La fermentation de précision est issue de la biologie synthétique. Des micro-organismes, tels que des bactéries ou des levures, modifiés génétiquement (ou non selon les cas), sont mis à contribution (telles des « mini-usines ») pour synthétiser directement les protéines recherchées, par fermentation dans des bioréacteurs. Ces micro-organismes sont « nourris » avec du glucose qui peut être issu de plusieurs sources (maïs, betterave, canne à sucre, etc.).
Ces techniques sont utilisées depuis les années 1980 pour produire de l’insuline mais également, dans le domaine alimentaire, des enzymes et des vitamines. La chymosine, l’enzyme qui fait cailler le fromage, est notamment fabriquée de cette façon depuis 1990, afin de fabriquer de la présure artificielle (car celle-ci devait auparavant être prélevée dans l’estomac des veaux).
Si les sociétés du secteur aiment faire la comparaison avec le procédé ancestral utilisé pour produire de la bière, les techniques utilisées aujourd’hui doivent surtout beaucoup aux progrès réalisés dans l’édition génétique grâce à l’utilisation des outils de type CRISPR-Cas9 (ciseaux moléculaires).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Clustered_Regularly_Interspaced_Short_Palindromic_Repeats
A l’heure où les alternatives végétales se développent (elles représentent déjà 16% du marché du lait aux Etats-Unis), on peut se demander ce qu’apportent les alternatives issues de la fermentation de précision. Tout d’abord, à la différence du végétal, elles peuvent se targuer de présenter une composition nutritionnelle identique aux produits d’origine (à tel point que Perfect Day déconseille son produit aux personnes allergiques aux lait). De nombreuses start-ups se focalisent sur la production de caséine, afin de répliquer les fromages en termes de goût, de texture et de capacité à fondre.
Ensuite, la fermentation de précision met en avant ses avantages environnementaux par rapport aux produits issus de l’élevage, notamment la réduction des gaz à effet de serre :
Toutefois, il faudrait normaliser la méthodologie des analyses de cycle de vie pour pouvoir comparer ces impacts. De plus, les avantages de la fermentation de précision sont moins évidents par rapport aux alternatives végétales.
Il reste encore en outre des questions sur la gestion des co-produits et déchets de cette nouvelle industrie, et certains pointent les risques environnementaux susceptibles de se produire si des micro-organismes génétiquement modifiés s’échappaient des usines dans l’écosystème (ce qui, selon les start-ups, est impossible).
Les start-ups de la fermentation de précision multiplient actuellement les partenariats avec les grands groupes (Mars, General Mills, Nestlé, Unilever…), de même qu’avec les fabricants d’ingrédients (ADM, Puratos). Leurs capacités de production se développent un peu partout dans le monde. Cependant, il reste quelques obstacles avant que ces nouvelles protéines ne viennent « disrupter » les protéines animales comme le prévoit le think-tank RethinkX, selon lequel l’agriculture cellulaire remplacera 90 % des protéines de lait en 2030 :
- Les capacités de fermentation sont un véritable verrou, elles sont déjà saturées et en créer de nouvelles nécessite des investissements faramineux
- Le coût de production, par conséquent encore élevé
- Le frein de la réglementation dans de nombreux pays, notamment en Europe où ces produits doivent obtenir l’autorisation Novel Foods
Mais comme toujours pour les protéines alternatives, la grande inconnue réside dans l’acceptabilité des consommateurs, qui est très liée à la façon dont seront présentés les nouveaux produits : leur présence dans la liste des ingrédients sera-t-elle mentionnée ? Seront-il étiquetés comme OGM lorsqu’ils utilisent des micro-organismes génétiquement modifiés comme « usines » (certaines ONG le souhaitent, comme le Non-GMO Project, qui fait campagne contre les produits « Synbio dairy ») ? Répondront-ils au désir de naturalité qui pousse les consommateurs vers les étiquettes clean label ?
La fermentation de précision suscite à la fois de grands espoirs et de grandes craintes, certains parlent d’une seconde domestication (celle des microbes, après celle des animaux). Il est certain qu’il se passe dans ce domaine une révolution à suivre de près, mais tout en gardant à l’esprit que le secteur des protéines alternatives est très varié et propose également d’autres pistes très prometteuses.
Pour en savoir davantage sur les Protéines alternatives, voir le chapitre de l’étude Vigie Alimentation 2022 https://www.futuribles.com/fr/groupes/vigie-alimentation/presentation/
Pour creuser la question de la Fermentation de précision, voir le webinaire de formation https://www.cabinetalimavenir.com/etudes