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Cette semaine, un article publié dans Le Figaro m’interpelle : Fruits et légumes moches: pourquoi la vente en supermarché a toujours été un échec ?
Cette initiative portée par Intermarché avait pourtant du sens. Vendre des produits moches 30% moins cher et promettre de réduire le gaspillage alimentaire, on aurait pu vraiment croire que ça marcherait.
Quelles sont donc les causes d’un tel échec ? Cindy Lambart et Gervaise Debucquet, professeurs et membres du centre de recherche de l’Audencia Business School de Nantes, ont étudié la perception des fruits et légumes difformes par les consommateurs et l’article du Figaro relate leurs conclusions. Elles démontrent une inadéquation entre le circuit de la grande distribution et les profils des consommateurs qu’elles synthétisent en deux grands groupes :
- Les consommateurs «pragmatiques déracinés» (comprendre de l’amont agricole), qui ont une vision plutôt négative des produits difformes, concentrent une population jeune et urbaine, habituée à une offre standardisée. Chez eux, les produits difformes sont considérés comme moins bons que les produits esthétiquement parfaits. Cette population fait dans une large majorité ses courses dans les grandes surfaces, ce qui explique la politique des distributeurs.
- En comparaison, les consommateurs «terriens enracinés», des consommateurs plus âgés, ont une appétence plus forte pour la nature, et souvent un carré de jardin. Chez eux, les fruits et légumes difformes sont perçus comme ayant une meilleure saveur et de meilleures qualités nutritionnelles. Ces consommateurs déclarent souvent faire leurs courses dans un réseau parallèle, comme dans les AMAP ou les marchés.
Des produits naturellement imparfaits posent la question de nos propres références à la nature
Morale de l’histoire ? Cet exemple des fruits et légumes moches est assez symptomatique de notre attraction ou répulsion envers des choses totalement paradoxales. Nous détestons les choses chimiques mais nous adorons les choses ultra esthétiques ? Un véritable paradoxe à résoudre avant tout par l’éducation.
Nous aspirons a priori tous à des produits de plus en plus naturels. Moins d’additifs, de colorants, d’arômes artificiels, de conservateurs… Mais au moment de faire ses courses, nos réflexes prennent le dessus. Combien de consommateurs vont être séduit par les jambons sans nitrite qui se conservent à peine 10 jours (contre 21 jours pour un jambon classique) et qui, pour la plupart des offres, ont une couleur grisâtre ? ; comment être séduit par des fruits et légumes imparfaits certes sans traitements chimiques mais que l’on pourra plus difficilement conserver ? ; comment craquer pour une vitrine proposant des macarons aux couleurs fades ? ; etc. Eh bien, certainement en acceptant de changer notre regard sur les produits que l’on consomme.
Et dans ce domaine, la restauration et la pâtisserie gastronomique donnent le la. C’est ce qu’explique Charlotte Langrand dans son article Gâteaux au naturel sur le site Kitchen Théorie. Elle y décrit la révolution de palais propulsée par les meilleurs pâtissiers issus de cette jeune génération à coup de solutions de remplacement naturelles et extrêmement créatives.
Du Plazza Athénée à Intermarché…
Mais elle aborde également ce fameux paradoxe : « Les pâtissiers de restaurants, qui réalisent des desserts à l’assiette en quantité raisonnable, sont plus libres de réfléchir à une autre façon de pâtisser que leurs confrères en boutique, qui doivent fournir des gâteaux classiques en plus grand volume et satisfaire une clientèle qui réclame encore une tarte aux fraises en hiver et un entremet rose et brillant à la Saint-Valentin ». Que penser alors des comportements en grande distribution ?
Comme elle l’explique parfaitement, nous sommes dans une véritable phase de transition. La gastronomie ouvre la voie et ose sans avoir à se préoccuper des contraintes de coûts ni des traditionnels réflexes des consommateurs.
Peut-on vraiment concilier alimentation de masse et qualité ? Encore une fois, c’est une histoire d’éducation pour faire évoluer nos perceptions et donc nos comportements progressivement, avec le temps.
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