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Cet article sur la pomme de terre, signé par le bien nommé Bruno Parmentier, résonne comme un appel à la mobilisation citoyenne. Et pour nous permettre de passer à l’action, je vous propose une sélection de délicieuses recettes. Save the patates !
Stéphane de StripFood
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, notre consommation de pommes de terre a fortement diminué depuis le début du confinement, laissant nos producteurs avec un stock de l’ordre de 450 000 tonnes sur les bras. Tout l’enjeu réside maintenant à en disposer d’ici la fin de l’été pour faire de la place à la récolte 2020, qui devrait débuter mi-septembre.
La consommation et la production de pommes de terre n’ont cessé de baisser au fur et à mesure qu’on s’enrichissait et améliorait notre alimentation.
Si ce tubercule miraculeux arrive du Pérou en Europe dès le XVIe siècle, il n’est pas consommé en France, car il est vu comme « l’œuvre du diable », tout juste bon pour les cochons, contrairement au blé « sacré et divin », Il faut attendre la fin du XVIIIe pour que le pouvoir de persuasion, la ténacité et l’ingéniosité d’Antoine-Augustin Parmentier, pharmacien aux armées (qui en avait mangé énormément lorsqu’il était prisonnier des Prussiens), arrive à faire reconnaître ses immenses qualités nutritives.
Du coup, les Français, qui demandaient depuis des millénaires à Dieu de leur fournir leur « pain quotidien » (ce qui n’avait jamais été simple historiquement) ont pu se nourrir de façon beaucoup plus régulière avec le trio pain-pommes de terre-vin. Un Français consommait encore 150 kilos de pommes de terre par an en 1950 et on en récoltait alors 14 millions de tonnes chaque année. Depuis, la consommation et la production n’ont cessé de baisser au fur et à mesure qu’on s’enrichissait et améliorait notre alimentation. La consommation, exclusivement en produits frais dans le passé, s’est répartie entre le frais et le transformé, avec l’arrivée de la purée Mousseline dans les années 1960 puis des frites surgelées dans les années 1980.
Mais aujourd’hui nous mangeons à peine 25 kilos par an de pommes de terre fraîches et environ autant en plats cuisinés. Notons au passage que les consommations de pain et de vin ont également été divisées par trois dans la même période.
Le confinement a stoppé net notre consommation de frites
Au début du confinement, on s’est demandé si on allait manquer de nourriture et, le cas échéant, revenir à ces aliments historique de base. Mais après quelques inquiétudes marginales dans les premiers jours, chacun s’est aperçu que notre système alimentaire tenait et que le riz, les pâtes et la farine restaient disponibles, tout comme les conserves, les plats préparés, les surgelés ou les légumes.
Cependant il y a eu un changement majeur : tous les restaurants et cantines ont fermé. Environ 30 millions de repas pris collectivement par jour sont revenus à la maison. Et ce changement a, entre autres, affecté très fortement notre consommation de frites (considérées par les Anglo-saxons, qui les nomment « French fries », comme l’un de nos plats nationaux). Alors que nous en mangions comme des obsédés à midi, les usines à frites surgelées sont à l’arrêt depuis deux mois.
Les frites, un plat trop compliqué à préparer dans notre imaginaire domestique
La plupart des Français n’ont même plus de friteuse et rechignent à peler les pommes de terre. Passe encore de donner de la saucisse-purée aux enfants, mais les frites sont devenues dans notre imaginaire domestique un plat trop compliqué à préparer. En conséquence notre consommation a fortement baissé tout comme celle des Belges et autres Européens qui avaient l’habitude de déguster la frite issue des bonnes terres de la région des Hauts de France, où se situe l’essentiel des 8 000 exploitations et 145 000 hectares cultivés (avec un rendement incroyable trois fois supérieurs à celui des années 1950, tournant autour de 45 tonnes à l’hectare – à noter qu’en 2019, nous avons récolté 6,4 millions de tonnes de pommes de terre en France contre 27 millions en Europe de l’Ouest, qui inclue l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas).
Alors, que faire de ce surplus ?
Les producteurs français vont se retrouver avec environ 450 000 tonnes de surplus, soit l’équivalent de la production totale annuelle de l’ensemble de nos jardins potagers personnels, au moment même où les 40 à 60 000 tonnes de pommes de terre « primeur » arrivent sur le marché du frais.
Oublions l’idée de les conserver. Il est impossible de le faire au-delà de 10 à 12 mois car ce tubercule vivant et à forte teneur en eau respire, transpire, perd du poids, se flétrit et germe. De plus, il craint le gel, la fermentation et les attaques bactériennes et fongiques. Enfin, son stockage coûte cher car il doit se faire dans l’obscurité, avec une ventilation et une hygrométrie contrôlée, et à une température autour de 5°C.
Bien entendu il est possible d’en donner une partie aux banques alimentaires et autres restaurants du cœur (un processus déjà enclenché). Mais cela restera malgré tout marginal — probablement 10 à 20 000 tonnes au maximum — car ces pommes de terre, il faudra les cuisiner, or cela rebute justement pauvres comme riches.
Éplucher les pommes de terre rebute pauvres comme riches
Inutile également de songer à exporter ce surplus car nous sommes déjà le plus gros exportateur européen, voire mondial. Nos concurrents ont eux aussi trop de stock et nos clients ont le même problème, à commencer par les usines de frites belges, ou les pays du sud de l’Europe comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal, qui nous en achètent en frais. Et ne parlons pas du grand export, quand la Chine continue d’en produire 10 à 12 fois plus que nous, l’Inde 6 fois, la Russie 4 fois et l’Ukraine 3 fois.
On pourrait imaginer en donner à manger à nos animaux d’élevage. En effet, les ruminants sont capables de digérer les pommes de terre crues mais à condition que ce soit en petite quantité. Là encore, pas de chance, c’est justement l’époque où ils peuvent sortir manger de la bonne herbe. En revanche, les monogastriques comme les porcs et volailles ne les digèrent que cuites, ce qui augmente leur coût par rapport aux aliments habituels. Et par ailleurs, qui en paierait le transport ? Donc peu d’espoir de ce côté-là, d’autant plus que notre consommation de viande et de laitages a également baissé et que les éleveurs sont eux-mêmes en crise.
Il serait également vain d’imaginer en fournir davantage à l’industrie de la fécule. En effet l’industrie papetière en consomme pas mal (on en trouve également dans le textile, les couches pour bébé, le contre-plaqué, le caoutchouc, les rouges à lèvres, etc.). Mais pourquoi ces industriels se mettraient-ils à en consommer davantage subitement ? De même pour l’industrie de la vodka, qui n’est pas vraiment une spécialité française.
En ce qui concerne la méthanisation, nous avons peu d’équipement en France et leurs opérateurs n’ont pas attendu cette crise de la pomme de terre pour disposer d’approvisionnements réguliers.
Bref, il ne reste malheureusement que la solution la plus choquante : il faudra bien jeter ces pommes de terre avant la prochaine récolte avec un risque réel de voir se développer des dépôts sauvages de déchets dans la nature vecteurs de foyers infectieux de maladies fongiques ou de pollution par fermentation.
Il serait bon que l’Europe finance cette destruction si l’on ne veut pas que de nombreux producteurs fassent faillite ou changent de production, au risque de nous en faire manquer l’an prochain.
Pourquoi ne pas en manger davantage ?
On peut se redire à cette occasion deux vérités oubliées : la pomme de terre est un excellent aliment et il est très simple de la cuisiner.
À l’heure des régimes et de l’obsession de la minceur, la pomme de terre n’est plus vue comme celle qui nous sauve la vie pour pas cher mais comme celle qui nous fait grossir. Grave erreur : ce qui est mauvais pour la santé est l’huile et le sel utilisés pour leur cuisson. La pomme de terre est un aliment essentiellement constitué de sucres lents, ce qui devrait représenter la moitié de nos apports énergétiques, et pauvre en calories (85 kcalories / 100 g), tout comme les autres féculents comme le riz (87 kcal) et les pâtes (110 cal). Elle est riche en protéines, sels minéraux (calcium, potassium), vitamines (B1, B2 et B6) et en fibres alimentaires, qui favorisent la sensation de satiété et régulent le transit intestinal.
Pour un adulte, en dehors d’un régime hypocalorique, on estime qu’il faut en moyenne 250 à 300 g de pommes de terre (non pelées) pour se faire plaisir lors d’un repas. Cette quantité couvre une belle partie de nos besoins en différents nutriments. Notons que, pour préserver l’ensemble des vitamines et minéraux, il est préférable de la faire cuire avec la peau car l’épluchage ôte une partie des vitamines et minéraux et favorise leur dissolution dans l’eau.
SALADE DE POMMES DE TERRE ET MERLU EN COURT-BOUILLON par La Cerise sur le Maillot -lacerisesurlemaillot.fr
EN PHOTO : Recette de Salade de Pommes de Terre et merlu en court-bouillon par Stéphanie du superbe site La Cerise sur le Maillot.
Alors, pourquoi cette réticence à cuisiner cette plante si utile ? Tout d’abord on les pluches sont vues comme une corvée et l’on a tendance à surestimer le temps qu’elles prennent. Mon secret ? Je ne vais pas à la cuisine pour faire les pluches mais pour faire une pause en écoutant de la musique et, accessoirement j’en profite pour occuper mes mains et me rendre utile.
De plus, lorsque les pommes de terre sont bio, pourquoi les éplucher, alors que le meilleur est dans la peau ? Et même si l’on est rebuté par le fait de manger cette peau, il est tellement plus facile d’éplucher les pommes de terre cuites au four ou à la vapeur dans son assiette.
Et finalement, l’idée reçue selon laquelle les pâtes sont beaucoup plus faciles à préparer doit être révisée . Coupées en quatre, les pommes de terre ne mettent absolument pas plus de temps à cuire et on peut les manger avec le même type de sauces ou fromages râpés. Mais en plus, contrairement aux pâtes ou au riz, on peut aussi les faire cuire au four. Pourquoi réservons nous le terme de « rôti » à la viande ? On peut bien évidemment faire des rôtis… de légumes.
EN PHOTO : la recette traditionnelle suédoise de « Hasselbackspotatis » ou « pommes de terre rôties d’Hasselback » à retrouver sur le superbe compte Instagram d’Alvina Johansson Culs-de-poule.
La liste des plats nationaux et régionaux valorisant cette plante miracle est pourtant longue. Citons par exemple, outre la purée, les frites et les chips, le hachis parmentier, les pommes de terre en robe des champs, sautées, rissolées, soufflées, en beignets, en gaufres, les pommes dauphine, duchesse ou Anna, mais aussi l’aligot, le gratin dauphinois, la raclette, la tartiflette ou encore la salade tiède au hareng.
En + : les recettes pour passer à l’action
- Retrouvez les recettes essentielles à base de pommes de terre que m’a transmis pour cet article Anne Lataillade de l’incontournable blog Papilles & Pupilles :
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- La recette secrète des frites maison (au blanc de boeuf) de Julien au Beurre, le must pour accompagner son burger : Burger frites
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- La recette suédoise des pommes de terre rôties Hasselback sur la page Instagram de Culs de Poule (« bonnes femmes et bonnes bouffes »), le compte d’Alvina Johansson que je vous conseille chaudement pour ses idées recettes simples qui donnent vraiment envie.
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- Une recette tiède ou froide de la « salade de pommes de terre et merlu en court-bouillon » de Stéphanie de La Cerise sur le Maillot, un superbe blog de recettes à découvrir.
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- Enfin, pour changer des recettes, côté culture, un clin d’oeil à Elisabeth Debourse & Axelle Minne, deux journalistes belges qui sillonnent la Belgique en pleine canicule pour percer les mystères de leur petite fierté culinaire nationale. Mais au fait, les frites sont-elles belges ou françaises ? Podcast Salade Tout #1 – Road Frites : odyssée au pays des fritkots