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Fondateur de l’association Bleu Blanc Cœur, Pierre Weill a toute sa vie suivi son intuition afin de démontrer le lien entre santé des sols, santé des animaux et santé des êtres humains. Cet ingénieur agronome et docteur en biologie défend une vision globale de l’alimentation et qui doit rester avant tout accessible au plus grand nombre. Son crédo : Surcouts, minimums, impact maximum. Il interviendra dans le cadre du symposium « One Health 2022 » organisé par Bleu Blanc Coeur le 24 novembre prochain à Rennes.
Qui êtes-vous ?
Je suis Pierre Weill, j’ai 68 ans et je suis ingénieur agronome et docteur en biologie. En 1992, j’ai fondé Valorex, une entreprise de nutrition animale. Très tôt, face à notre dépendance au soja, j’ai pensé qu’il fallait développer notre autonomie protéique à travers la culture des légumineuses et protéagineux avec une vocation agronomique via la santé des sols. En 1995, j’ai publié un article sur l’impact du remplacement du soja par ces mélanges de légumineuses et de graines de lin sur la fertilité des vaches. On a fait ensuite une étude clinique en 1999 pour démontrer l’impact de l’alimentation des vaches sur les hommes.
Conscient qu’il s’agissait d’un projet de santé publique, j’ai créé en 2000 l’association Bleu Blanc Cœur dont je suis toujours président. Nous voulions faire quelque chose pour « soigner » les gens au sens que l’entendent les paysans quand ils disent qu’ils vont « soigner » leurs vaches en les nourrissant.
Toute ma vie, j’ai donc suivi mon intuition sur la santé des sols pour en arriver à la santé des vaches puis des Hommes.
En 2012, je suis devenu président du pôle de compétitivité Valorial à Rennes. Je suis devenu ensuite président du Centre culinaire contemporain à Rennes afin de m’intéresser à l’impact des usages sur la consommation. Il y a trois ans, j’ai monté une chaire à l’Université Rennes 1 « Aliments et bien manger » pour créer des ponts entre sciences dures et sciences humaines. Dans ce cadre j’ai fait un doctorat dont le sujet de thèse était « La santé des animaux et des écosystèmes profite à la santé de l’homme ». L’objectif était de démontrer ce fil conducteur avec des mesures concrètes.
Quel est vraiment le lien entre alimentation et santé ?
Il y a plusieurs façons de voir le lien entre alimentation et santé.
Il y a une vision punitive – de type nutriscore, avec les bons et les mauvais aliments – et une vision positive du lien alimentation / santé à travers le concept de densité nutritionnelle. Il s’agit d’une vision sur le comportement alimentaire beaucoup plus large qui prouve que tous les ingrédients ne se valent pas et que cela dépend du mode d’élevage et de l’alimentation des animaux. C’est aussi le cas pour les végétaux, car la teneur en nutriments des légumes dépend beaucoup de la conduite du sol (impact de la diversité et de la rotation des cultures ou encore de la pratique du labourage).
« La segmentation des œufs se fait par le mode d’élevage alors que la qualité de l’œuf dépend en fait de son alimentation. C’est par le bec que pond la poule ! »
Pouvez-vous éclairer le thème de « santé unique » ou « santé globale » ?
Le concept de « santé publique », l’ancêtre de la « santé unique », est né aux États-Unis en 1920. Derrière ce terme, l’idée que si la médecine est l’art de guérir les gens, cela devrait être aussi l’art de prévenir les maladies. À l’époque, on parlait déjà de santé environnementale.
« Les consommateurs veulent bien contribuer à la planète, mais en échange de récompenses »
Le modèle de « santé unique » est apparu chez nous en 2000 avec la vache folle et les questions d’antibio-résistance pour trouver davantage d’échos pendant la Covid. Les oméga 3 sont une magnifique preuve de ce lien entre santé des hommes, des animaux et des écosystèmes. En effet, ils sont fabriqués par les végétaux en fonction de la santé des sols, transformés par les animaux et mangés par l’homme.
À ce sujet, deux axes vont se développer :
- L’agriculture régénératrice, ou agro-écologie, travaillant sur le lien entre les élevages et les modes de cultures avec l’utilisation d’engrais organiques vs minéraux, diversification des cultures, et limitation au maximum du travail des sols ;
- Et le sujet du microbiote, qui prouve que les populations qui nous habitent (les microbes dans nos intestins ou d’autres organes) contribuent directement à notre santé. Mais ce ne sont pas encore des bénéfices d’achats, car les consommateurs sont bien prêts à contribuer à la santé globale (planète, animaux écosystèmes), à condition qu’ils soient récompensés par des bénéfices individuels (comme des bénéfices sur le goût ou leur santé).
Le concept de « santé unique » est un levier puissant pour la transition agronomique et alimentaire mais il est mis un peu à toutes les sauces. Il faudrait qu’on l’objective avec des mesures concrètes avant que cela ne devienne n’importe quoi.
Peut-on vraiment concilier alimentation de masse et qualité ?
Si on veut de l’impact en matière de climat et de santé, on ne peut pas faire de l’élitisme. Avec Bleu Blanc Cœur, nous voulons être accessibles et n’avons jamais voulu être un signe de qualité supérieure versus qualité inférieure. L’obligation de moyens fait le surcoût alors que l’obligation de résultat fait l’accessibilité. D’ailleurs, on le constate bien aujourd’hui, quand il y a un décalage entre le bénéfice perçu et le surcoût réel, les ventes décrochent.
Nous avons deux obligations de résultat en lien avec le mode de production : la nutrition (comme par exemple le pourcentage d’oméga 3 dans les œufs) et l’environnement (par exemple la quantité de CO2 par kilo d’œuf). Pour le mangeur, c’est l’assurance que le produit est vraiment différent et pour nous c’est une façon d’avoir de l’impact sur une alimentation de masse.
La Covid19 nous aura-t-elle appris quelque chose à ce sujet ?
Malheureusement, non. Ce qui a tué les gens ce n’est pas le virus, mais les excès d’inflammation. Ce n’est pas un hasard si les pays les moins touchés ont été le Japon, la Corée ou encore la Norvège, car ce sont de gros consommateurs de poissons et donc d’oméga 3, des anti-inflammatoires naturels. J’ai coécrit à l’époque une tribune autour du concept « d’alimentation barrière ». Mais la majorité des recherches se sont concentrées sur le préventif (les médicaments et les vaccins) et cela manque vraiment d’une vision beaucoup plus large. C’est certainement lié à l’urgence du court terme.
La majorité des recherches se sont concentrées sur le préventif (les médicaments et les vaccins) pour une question d’échelle de temps et non pas sur l’amont. Cela manque d’une vision beaucoup plus large. Quand on parle de prévention, c’est uniquement le dépistage.
Test du « gorille » invisible : on ne peut pas voir ce que l’on ne regarde pas !
Se dirige-t-on vers une alimentation santé personnalisée (selon le microbiote ou autre) et donc des produits sur mesure ?
Une alimentation de précision guidée par des préoccupations nutritionnelles, je n’y crois pas et j’espère que non ! Claude Fischler rappelle que l’alimentation, dans toutes les cultures, est toujours quelque chose de collectif. Pour moi c’est une donnée anthropologique de base.
Quelle priorité pour accélérer la transition alimentaire et éviter de creuser un peu plus chaque jour la fracture alimentaire ?
Face à cette urgence en matière de climat et de santé publique, on peut faire culpabiliser les gens ou choisir de les éduquer (mais cela prend du temps). Pour moi, la priorité c’est donc l’accessibilité.
« L’obligation de moyens fait le surcoût alors l’obligation de résultat fait l’accessibilité »
Les signes de qualité supérieures réservés aux gens qui, soit ont déjà eu une prise de conscience, soit ont les moyens de se payer une alimentation de qualité, nous ont fait prendre beaucoup de retard car ils ne deviennent plus accessibles aux gens qui en auraient vraiment besoin.
Si l’enjeu climatique et la prévention santé ne sont à la portée que des gens qui ont les moyens de payer 30 % plus cher, cela n’a pas de sens ! L’accessibilité est un combat qui ne peut pas être juste vu comme une segmentation, c’est un projet qui doit être avant tout global.