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Les signaux faibles font partie des outils utilisés en prospective pour détecter l’amorce de changements futurs.
En période de crise et lorsque les futurs semblent particulièrement incertains, on peut être tenté de lire dans les événements de l’actualité comme dans le marc de café pour en déduire des conséquences pour l’avenir. Mais comment faire lorsque ces signaux sont contradictoires ?
Ainsi, on voit d’un côté l’explosion du nombre de vues de vidéos expliquant la fabrication de pain maison, de photos des résultats sur Instagram et autres réseaux sociaux, confirmée par l’envolée des ventes de farine et de levure.
Mais de l’autre, les quelques restaurants McDonald’s réouverts (en Drive) ont provoqué une véritable ruée, et même des bouchons en Seine et Marne.
Qui a raison parmi ceux qui utilisent ces exemples pour déclarer : « le consommateur n’a pas changé » ou : « plus rien ne sera comme avant » ?
D’abord, il faut sans cesse le rappeler, il n’existe pas un, mais des consommateurs, cela a toujours été vrai mais ça l’est encore plus aujourd’hui : les individus diffèrent selon les revenus, les catégories sociales, l’âge, le sexe, le lieu de résidence (urbain, rural, péri-urbain), etc.
Prenons maintenant l’un de ces consommateurs, au hasard : il n’est pas toujours cohérent et peut aimer un jour manger sur le pouce (plat préparé, livré ou McDo), et l’autre passer deux heures aux fourneaux… Faire attention à avoir une alimentation équilibrée la plupart du temps, et s’autoriser parfois un écart (saucisson ou junk food)… Les occasions de consommations sont variées, même en situation de confinement (en témoigne le succès des apéros en visioconférence Skype, Zoom, FaceTime…, où trônent les chips et bières à consommer avec modération), leurs motivations aussi. La même logique ne s’applique donc pas toujours.
Comment, dès lors, interpréter ce qu’on observe, le fameux « signal faible » précurseur de nouvelles tendances (ou d’inflexion des anciennes) ? Eh bien le signal faible ne suffit pas, il faut l’interroger. Par exemple ici :
- Combien de personnes ont fait leur pain pendant le confinement ? l’ont-elles fait une seule fois ou régulièrement ?
- Continueront-elles à le faire quand elles verront que les boulangers affichent des pertes importantes de chiffre d’affaire ? (cette profession pourtant « au front » accuse un recul de 60% de ses ventes cf article ci-dessous via snacking.fr – NDLR)
- Ont-elles trouvé cela facile ? rapide ? agréable ?
- Auront-elles envie de continuer après le confinement et si oui, à quelle fréquence ? sans doute pas tous les jours, mais peut-être une fois par semaine ?
- En quoi cette nouvelle compétence culinaire va-t-elle leur donner la confiance nécessaire de se lancer dans d’autres préparations « fait maison » ?
- En quoi cette pratique les amènera-t-elle à s’interroger sur la composition des produits qu’ils achètent, et sur leur degré de transformation ?
On le voit, la question n’est pas ici de faire l’hypothèse que ce comportement perdurera à l’identique après le retour « à la normale » (si tant est que celui-ci arrive un jour…), mais d’explorer les conséquences d’un changement d’habitude, même ponctuel.
Quant au client du McDo, n’assouvit-il pas la nostalgie d’une époque où il pouvait retrouver ses amis autour d’un repas consensuel et bon marché ? La dimension de sociabilité permise par ces restaurants, notamment pour les jeunes, est en effet un élément important de leur succès, ainsi que l’a montré le sociologue Jean-Pierre Corbeau (ou comme l’illustre cette publicité de McDo – NDLR).
Qui plus est, le McDo peut être assimilé à une nourriture « doudou », réconfortante dans cette période anxiogène, mais aussi à une fête pour les enfants, pour briser la monotonie des journées sans école et sans copains. On ne peut en déduire que les adeptes du BigMac se nourrissent exclusivement ainsi. Par ailleurs, les aspirations au naturel, au bio, aux produits de qualité, interpellent également les acteurs de la restauration rapide qui font évoluer leur offre.
Arrêtons donc d’opposer artificiellement deux mondes et de tirer des conclusions rapides sur la consommation de demain : comme, et même encore plus qu’hier, elle sera plurielle, contrastée, en évolution voire en reconfiguration, à un rythme plus lent que certains ne souhaiteraient (pas de « grand soir » du jour au lendemain), mais plus rapide que d’autres ne veulent le voir.
EN + 3 autres éclairages intéressants sur la question :
McDo et le monde d’après. Une tribune du professeur de philosophie Gilles Vervisch
Au front, les boulangers accusent pourtant une perte d’activité de plus de 60 % (snacking.fr)