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L’augmentation de la température de l’eau se traduit par une diminution de la quantité d’oxygène qu’elle contient, ce qui conditionne purement et simplement la survie des poissons. D’une manière plus générale, les animaux à sang froid sont très sensibles aux modifications de la température, puisqu’ils sont incapables de la réguler eux-mêmes ; tous leurs processus fondamentaux tels que la reproduction, la croissance, la maturation et la migration en sont fortement dépendants.
En ce qui concerne les fleuves, ces phénomènes sont toujours amplifiés par d’autres changements, tous directement imputables à l’homme : barrages et autres aménagements des cours d’eau, pollutions, dégradation de l’habitat, introductions d’espèces, sans compter également la surpêche.
Il faut prendre conscience que dorénavant, la plupart des espèces de poissons migrateurs effectuant leur cycle de vie entre la mer et la rivière sont en danger. Les canadiens par exemple ne peuvent que constater une baisse très importante de la population des saumons et autres poissons dans leurs fleuves et lacs. Nous pouvons les comprendre, nous qui avons vu depuis longtemps les saumons purement et simplement disparaître de nos rivières !
Autre exemple actuel : les Suisses, s’inquiètent sérieusement du devenir de leurs truites.
Par rapport à la nourriture des populations européennes, ces disparitions restent néanmoins anecdotiques, car cette activité est dorénavant essentiellement récréative et non plus alimentaire. D’ailleurs une bonne partie des pêcheurs français ne fait ça que pour le sport et remettent leurs prises dans la rivière .
Il y a plus grave, les menaces sur le poisson de mer. Au delà de la surpêche, on observe trois facteurs limitants dus aux conditions atmosphériques : migration, réduction de la taille et augmentation de la toxicité.
Malgré le fait que les eaux de surface des océans se réchauffent trois fois moins vite que les milieux terrestres, les mouvements y sont très rapides, en moyenne de 75 Km par décennie, car il y est plus facile pour les organismes vivants de s’y déplacer pour retrouver des eaux plus fraîches. Ceci n’est qu’une moyenne : le phytoplancton peut migrer à la vitesse incroyable de plus de 400 km par décennie, et certains poissons osseux comme la morue ou le zooplancton invertébré de plus de 200 km. Même les crustacés, les mollusques et les algues vivant au fond de la mer franchissent plusieurs dizaines de kilomètres par décennie (alors que les animaux terrestres migrent en moyenne de 6 km au cours de cette période). Cette fuite en avant aura une fin : on ne pourra pas stocker tous les poissons de l’océan près des pôles.
De plus, les coraux des mers tropicales, qui, eux, ne peuvent pas bouger, ne pourront donc plus servir de nourricerie pour les poissons brouteurs ; il faut donc s’attendre à de graves difficultés pour la pêche tropicale qui est une source essentielle de nourriture pour les pays du sud (et pour ceux du nord qui vont y piller la ressources avec leurs bateaux usines).
Le manque d’oxygène combiné avec la raréfaction du plancton devrait également diminuer le développement et donc la taille des poissons, dans une fourchette comprise entre 14 et 24 % d’ici 2050.
Changements attendus pour les poissons vivant au sein d’une région définie (encadré rouge) dans le futur, en fonction de la latitude et de la profondeur. À la suite de la réduction de la concentration en oxygène dissout dans l’eau causée par le réchauffement climatique, les poissons pourraient devenir plus petits et migrer vers les pôles
En fait, tout est question d’équilibre, et nous serions bien avisés perturber les équilibres fondamentaux de notre planète.
En particulier, le quart du gaz carbonique émis par les activités humaines (25 millions de tonnes par jour) est actuellement absorbé par les océans. Nous augmentons fortement la quantité de ce gaz dans l’atmosphère ; heureusement l’océan va nous suivre et en absorbera davantage, ce qui est en soi une bonne chose. Mais, revers de la médaille, cela accentuera l’acidité des eaux. Cette dernière a augmenté de 30 % depuis le début de la période industrielle, il y a 250 ans. Si, comme il est prévu, ce phénomène s’accélère au cours des 4 prochaines décennies, elle pourrait augmenter de 120 % d’ici à 2060, soit un niveau supérieur à ceux qu’a connu notre planète au cours des 21 derniers millions d’années, comme l’annonce le projet européen EPOCA (European project on ocean acidification). Or, les précédents épisodes d’acidification de l’océan ont donné lieu à des extinctions massives d’espèces. C’est ainsi qu’il y a 250 millions d’années, d’intenses éruptions volcaniques ont acidifié les océans, et on estime que 95 % des espèces sous-marines ont disparu.
D’ores et déjà, de nombreux organismes fabriquant un squelette ou une coquille calcaire ont été affectés, comme les moules et les huitres. Cependant, il y a plus grave : la disparition des coraux, où vivent 30 % des poissons et qui protègent les côtes de la houle et des tempêtes : ils blanchissent, puis s’effondrent rapidement.
Cela a commencé par les coraux les plus superficiels, qui ont diminué de moitié dans les trente dernières années. Ce n’est malheureusement qu’un début car, d’ici 2100, 70 % des coraux profonds se trouveront également baignés dans des eaux corrosives pour leur squelette. Le rapport 2018 du GIEC estime qu’avec une augmentation de température moyenne de 1,5° on perdra 70 à 90 % des coraux, et qu’avec 2° on les perdra tous !
D’ores et déjà, aux Caraïbes, on estime que 75 à 85 % de la surface occupée par les coraux a été perdue. La Grande Barrière de corail en Australie, qui est pourtant un des écosystèmes marins les mieux protégés au monde, a enregistré un déclin de 50 % de ses coraux en un demi-siècle.
Alors qu’ils sont aujourd’hui des capteurs nets de carbone atmosphérique, les récifs coralliens pourraient devenir émetteurs dès 2030, accélérant ainsi le réchauffement.
Mais il y a pire. Les fonds marins constituent en fait, et de très loin, le principal gisement de carbone de la planète, et ils s’enrichissent en permanence, car c’est là que l’océan dépose ce qu’il absorbe, en principe pour des millénaires une fois transformé en roches sédimentaires. Or les chaluts actuels les raclent violemment et provoquent ainsi (involontairement) la remontée dans l’atmosphère de quantités importantes de ce carbone.
Cela concerne des surfaces considérables : on estime que 4,9 millions de km2 sont ainsi raclés chaque année, soit 1,3 % de la surface océanique. 26 experts internationaux ont estimé dans la revue Nature que cette pratique d’agitation des sédiments marins conduit à faire remonter dans l’atmosphère de 600 à 1.500 millions de tonnes de CO2 par an, soit autant que l’ensemble du transport aérien (918 millions de tonnes en 2018), ou l’équivalent de ce qu’émettent 320 millions de voitures. Cette agitation de la surface des fonds ne concerne évidemment qu’une toute petite partie du carbone qui est stocké, mais en fait, à elle seule, elle annulerai 15 à 20 % de ce que l’ensemble des océans absorbent chaque année, une fonction qui est pourtant de plus en plus indispensable à notre simple survie sur Terre .
Il serait ainsi particulièrement urgent de limiter, voire d’arrêter, le chalutage de fond dans des zones particulièrement sensibles comme les bords des plateaux continentaux des côtes chinoises ou européennes, là où les courants océaniques apportent de l’eau riche en nutriments des fonds marins, et alimentent de hauts niveaux de biodiversité, lesquels attirent évidemment les pêcheurs.
Cette précision peut paraître complètement décourageante, vu les intérêts économiques en jeu. Mais, en même temps, on peut être rassuré, parce qu’il ne s’agit pas d’eaux internationales mais bien d’eaux couvertes par des législations nationales ; il est donc en théorie possible d’agir… à la fois pour le maintien de la biodiversité et l’atténuation du réchauffement climatique.
Plus évidents et extrêmement spectaculaires, les pollutions accidentelles des eaux de rivière ou de mer provoquent des hécatombes de poissons un peu partout sur la planète. C’est la face la plus visible dans un domaine qui est souvent carrément chronique. Malheureusement, la plupart du temps, les industriels concernés sont relativement peu inquiétés. Il ne reste plus qu’à espérer que, au moins en France, le délit d’écocide qui est en cours d’adoption permettra de diminuer significativement ces catastrophes.
Bien entendu le déversement de poisons dans les eaux produit des effets absolument immédiats et très visibles. Mais la pollution au quotidien également ; citons par exemple le fait que le rejet via nos urines de quantité de contraceptifs, somnifères, antidépresseurs, antidouleurs, antibiotiques et autres médicaments couramment utilisés, sans oublier les cosmétiques, qui ont du mal à être entièrement filtrés par les stations d’épuration ! Ce n’est absolument pas sans conséquence sur la faune de nos rivières et de nos rivages.
Par exemple, d’après une étude britannique, 20 % des poissons d’eau douce mâles seraient devenus transgenres, notamment à cause des molécules présentes dans les pilules contraceptives qui finissent dans les rivières. Ces poissons acquièrent des attributs féminins et se sont même mis à produire des œufs. Certains d’entre eux possèdent une qualité de sperme affaiblie et présentent un comportement moins agressif et compétitif, ce qui les rend moins à même de se reproduire avec succès.
Il en est de même pour les ruissellements de pesticides couramment utilisés en agriculture. On se doute que les herbicides, fongicides et insecticides ne produisent rien de bon dans nos rivières et nos littoraux ! D’où l’importance absolue d’éviter au maximum leur ruissellement en laissant des bandes enherbées qui protège les bords des rivières, ruisseaux et étangs. Mais elles ne sont jamais efficaces à 100 % en cas de gros orages et d’inondations !
On peut également mentionner un phénomène qui est très courant, par exemple en Bretagne : les sous-produits de l’excès de fertilisation agricole provoquent une augmentation forte du taux de nitrates et de phosphore dans les eaux de rivière et de mer. Les algues profitent elles aussi de ces fertilisants et se développent alors de façon incontrôlée, provoquant une raréfaction de l’oxygène (c’est le phénomène de l’eutrophisation), ce qui asphyxie alors purement et simplement les poissons. Sans oublier la production de toxines délétères et dangereuses pour les êtres vivants qui s’aventurent sur les plages.
Terminons par la pollution plastique des océans, qui est devenue un véritable fléau à l’échelle mondiale. Des quantités invraisemblables de ce plastique sont absorbés par les poissons, ce qui fort évidemment est très mauvais pour leur santé ! On parle là des sacs plastiques qui se retrouvent dans la mer, et sont mangés tels quels par les gros poissons ou les tortues. Mais aussi des produits de leurs décomposition : les microplastiques (entre 5 millimètres et 1 nanomètre) et les nanoplastiques (inférieurs à un nanomètre), qui se confondent alors avec le plancton et sont absorbés par tous les animaux marins. Ces microplastiques peuvent bloquer ou perforer leur système digestif, provoquer des malnutritions et leurs perturbateurs endocriniens peuvent empêcher le développement des larves.