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Mangerons-nous encore du poisson et des crustacés demain ?
C’est peu de dire que la consommation de ces produits a flambé dans les dernières décennies et dans la plupart des pays du monde. On les pare de toutes les vertus, bien qu’il nous ramènent aussi, fidèlement, toutes les pollutions que nous avons déversées dans la mer (quand ils y ont survécu). Mais notre appétit vorace et notre incapacité à nous réguler à l’échelle internationale les font disparaître purement et simplement. D’autant plus qu’ils sont également de grandes victimes du réchauffement climatique. C’est pourquoi, demain, il faudra élever le poisson plutôt que le pêcher et passer massivement à l’aquaculture, comme l’ont déjà fait les chinois et un certain nombre d’autres peuples asiatiques. A l’avenir, il faut apprendre à déguster ces mets de choix avec modération, et surtout de façon durable.
Bruno Parmentier
Il s’agit du premier volet d’une série de 5 contributions à lire ou à regarder en vidéo :
- #1 On mange dorénavant trop de poisson sur terre
- #2 La surpêche a fait disparaître de nombreuses espèces et en menace d’autres
- #3 Le réchauffement climatique et la pollution menacent les poissons
- #4 Si on veut continuer à manger du poisson, il faut l’élever et passer de la pêche à l’aquaculture
- #5 Qu’est-ce qu’une pêche durable ? Comment choisir de manger du poisson durable ?
Etat de la consommation de poisson et crustacés
Au total, on mange annuellement sur terre 156 millions de tonnes de poissons et crustacés, contre 18 millions en 1950. En moyenne 20 kg de poisson et crustacés par an et par humain. Et en France, c’est beaucoup plus que cette moyenne : 35 kg (contre 10 en 1950).
Où mange-t-on le poisson ?
Les plus importants niveaux de consommation se situent évidemment dans les populations habitant au bord de la mer, par exemple nettement plus à Lorient qu’à Lunéville ; dans les pays développés, cette différence s’est toutefois un peu estompée grâce à l’efficacité des transports frigorifiques qui fait que le poisson débarqué le lundi par les pêcheurs lorientais est présenté l’œil vif dès le mardi sur les étals Lunévillois.
Mais pas totalement : d’après l’étude Nutriset-Santé de 2009 ; on continue à consommer +10 % de poisson que la moyenne nationale en Bretagne et +107 % de plus de fruits de mer, alors que ces chiffres sont respectivement de -23 % et -45 % en Lorraine.
Ces différences sont évidemment bien plus importantes entre Dakar et Bamako ! Il est donc logique que les plus gros consommateurs de poissons soient les coréens (78 kg par habitant), norvégiens (67 kg), portugais (62 kg), birmans (60 kg), malaysiens (59 kg) et japonais (58 kg).
Qui mange du poisson ?
En France la consommation de poisson est surtout le fait des personnes âgées (2 fois plus chez les plus de 55 ans que chez les moins de 25 ans), des personnes avec un niveau d’éducation supérieure et des hauts revenus (2 fois plus) et des femmes, car cette nourriture est considérée plus « féminine » que la viande rouge ! Un jeune homme ouvrier ou agriculteur alsacien de niveau bac technique a beaucoup moins de chance d’en manger qu’une femme basque, âgée et aisée, cadre supérieure et titulaire d’un master !
À noter que certains végétariens mangent du poisson ; on les appelle pescetariens lorsqu’ils s’abstiennent certes de consommer les viandes rouges et blanches, mais mangent quand même du poisson et des fruits de mer.
D’où vient notre poisson ?
Les Français sont de relativement gros consommateurs, mais ils importent plus de 70 % de leur consommation. Le saumon frais de Norvège, le thon, le maquereau et la sardine en conserve, les crevettes de l’Equateur, ou encore le cabillaud et le lieu ont fait beaucoup de chemin avant d’arriver dans nos assiettes. On a d’ailleurs bien vu avec les conflits autour du Brexit qu’une partie non négligeable du poisson consommé en France a été pêché autour des îles britanniques.
Le poisson, bon ou mauvais pour la santé ?
Le poisson a la bonne réputation d’un « aliment santé » ; il est riche en minéraux et oligoéléments : sélénium, iode, zinc, cuivre, fluor, en vitamine A, D et E, en acides gras Oméga-3 et pauvre en gras saturés et en cholestérol ; il constitue donc une excellente source de protéines. Sa limitation vient du fait que, dans notre culture, il est réputé plus compliqué à cuisiner, ce qui fait qu’on en mange beaucoup plus dans les restaurants et cantines que chez soi ; on a ainsi vu un effondrement de la consommation de poissons et crustacés pendant les périodes de confinement dues à la Covid.
Mais toute médaille a son revers : nous ne cessons de polluer nos rivières, nos lacs et nos mers. Logiquement, les animaux qui y vivent avalent nos déchets toxiques et nous les ramènent à domicile, prêts à consommer. Il est donc recommandé aux femmes enceintes de ne pas trop en manger, et pour tous de ne pas en abuser. On voit d’ailleurs périodiquement des interdictions de consommer des huîtres ou des moules lorsque la mer où elles ont été élevées est plus polluée que d’habitude.
Certains poissons concentrent beaucoup plus que d’autres les polluants toxiques tels que dioxine, PCB, mercure, cadmium, DDT ou méthyl-mercure. Les gros poissons carnivores, qui ont mangé des poissons moyens, qui eux-mêmes ont mangé des petits poissons, sont bien plus chargés que leurs proies. La concentration peut ainsi être multipliée par 10 en passant du poisson mangé au poisson mangeur. Après deux ou trois stades de la chaîne alimentaire, on passe à des multiples par 100 ou 1 000.
Il est recommandé de varier les espèces et les lieux d’approvisionnement.
C’est la raison pour laquelle, il ne faut pas abuser de certaines espèces (espadon, requin, lamproie, marlin, siki), tout comme les poissons prédateurs sauvages (thon, lotte (baudroie), loup (bar), bonite, empereur, grenadier, flétan, brochet, dorade, raie, sabre) ou encore les poisson d’eaux douces, qui sont souvent nettement plus polluées (anguille, carpe). D’une manière générale, il est prudent de varier les espèces et les lieux d’approvisionnement.
Il y a beaucoup de fraudes dans le poisson
Un autre sujet de préoccupation dans le poisson est celui de la fraude. La plus courante concerne la provenance. Les crevettes tropicales par exemple sont évidemment pêchées à l’autre bout du monde et elles ont traversé de nombreuses mers et frontières, autant d’occasions de faire valser les étiquettes. Au bout du compte, comment le consommateur pourra t-il reconnaître avec certitude des crevettes de Madagascar par rapport à celles d’Equateur ou de Thaïlande, quand on sait qu’elles ne sont absolument pas vendues au même prix ?
C’est encore plus patent pour les poissons déjà découpés et vendus ou ceux en carrés panés. Sur ce terrain c’est souvent « trompe qui peut » ! La même ONG américaine estime qu’au moins 1/3 des étiquettes ne mentionnent pas la bonne espèce.
D’une manière générale, les substitutions d’espèces ne sont évidemment pas inventées pour profiter au consommateur ! Ce dernier peut être perdant à trois niveaux :
- économique, quand un poisson noble est remplacé par un plus modeste vendu au prix fort ;
- moral, lorsqu’on lui vend des espèces menacées par la surpêche ou issues de l’aquaculture alors qu’il pensait manger un poisson sauvage ;
- et enfin sanitaire, lorsqu’il mange un poisson qui peut provoquer des troubles digestifs, ou fortement chargé en mercure.
Un réel plaisir, à déguster avec modération
Il paraît donc souhaitable de réduire notre consommation de poisson, et de l’acheter en meilleure intelligence : choisir un poissonnier en qui on ait confiance et qui soit capable de tracer ses produits, diversifier les espèces et les provenances, privilégier les petits poissons au gros, et bien évidemment les poissons issus de la pêche durable… et se régaler, même si c’est avec modération.
Mais la raison majeure de limiter sa consommation de poisson consiste à contribuer activement à arrêter leur hécatombe et éviter leur disparition, comme on le verra dans les vidéos suivantes qui détailleront les effets dramatiques de la surpêche, de la pollution et du réchauffement climatique.