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La truffe a-t-elle perdu son goût, ou nous sommes-nous habitués à des standards différents à coups de produits aromatisés dénaturés ou exacerbés ? De la Corrèze à la Dordogne, en passant par l’Occitanie, immersion dans le Sud-Ouest truffier pour redécouvrir le vrai goût de la truffe, entre le marché de Chartrier-Ferrière et la Maison Henras, la plus ancienne de France.
LE MARCHÉ AUX TRUFFES
À Chartrier-Ferrière, une petite commune située au sud de Brive-la-Gaillarde, ce matin-là, il y a la foule des grands jours. Dans la salle polyvalente, dont l’accès bien gardé est interdit au public, on assiste au défilé de trufficulteurs qui viennent faire contrôler leurs petits joyaux transportés minutieusement dans des boîtes ou des petits paniers. À travers la vitre, on peut apercevoir des personnes qui scrutent les diamants noirs à la lumière et sous toutes leurs coutures.
Une fois par an se déroule dans ce petite village corrézien, à la frontière de la Dordogne, le marché primé de la truffe. Ce jour-là, les acheteurs se pressent. Sous une tente, les trufficultures ne sont pas vraiment tout jeunes. Chacun campe fièrement devant son panier rempli de sa récolte plus ou moins abondante, avec, à ses côtés, une balance. Sur ce micromarché, on peut aussi acheter des chênes truffiers certifiés. On trouve même une petite annonce pour vendre un chien dressé pour chercher les truffes.
Un fringant grand-père de 85 ans me lâche, amusé : « Je ne roule pas sur l’or, mais je mange des truffes tous les jours ! ». Devant lui, une petite panière avec quelques truffes du Périgord, affichées à 900 euros le kilo, et des variétés « brumal », beaucoup moins cotées, à 400 euros le kilo. Tous se plaignent à l’unisson d’une bien mauvaise année due à la sécheresse.
Autrefois, centre gravité de la truffe noire, la France, qui est resté un marché d’amateurs, n’est aujourd’hui que le 5ème pays loin derrière l’Espagne.
À côté, une trufficultrice exhibe fièrement ses joyaux de près de 200 grammes. Côté clients, on s’affaire. Les gros billets changent de mains discrètement et du côté de la buvette, de petits paquets flottent au vent près des acheteurs comblés. Un producteur réputé voit son stock liquidé en quelques minutes seulement. « Il a toujours des truffes incroyables », me lâche une acheteuse au coin de l’oreille.
La France compte environ 20 000 trufficulteurs, dont la récolte annuelle est en moyenne de seulement 3 kilos. Au début du XXe siècle, la France produisait en moyenne 1 000 tonnes de truffes noires par an. Aujourd’hui, la production est descendue à 30 tonnes en moyenne.
Cette activité reste chez nous majoritairement un complément d’activité pour des agriculteurs ou des retraités.
LE DIAMAND NOIR
La truffe est un champignon rare dont seulement quelques variétés se démarquent par la richesse de leurs saveurs. Connue comme étant le « diamant noir » de la gastronomie française, avant d’être un produit de luxe, c’est un véritable trésor produit de la terre.
La Rolls de la truffe, c’est la Tuber Melanosporum, ou truffe du noire du Périgord. On la trouve dans le Sud-Ouest, mais aussi dans le Sud Est, en Touraine ou en Charentes. En Europe, elle se cultive en Espagne, en Italie et dans les Pays de l’Est. La saison de récolte est l’hiver, de décembre à mars. C’est la variété la plus chère qui se commercialise entre 900 et 1 000 euros le kilo. Cette variété se développe dans les sols calcaires qu’elle affectionne, entre 1 et 15 cm de profondeur, au pied de chênes verts ou de noisetiers. Elle vit en symbiose avec ces arbres qui lui fournissent les sucres dont elle a besoin. En contrepartie, les truffes aident les racines des arbres à mieux absorber les minéraux, l’eau et l’azote.
L’hiver, on trouve également la truffe blanche du Piémont, un produit d’exception, autour de 3 000 euros le kilo.
L’été, on trouve la fameuse blanche de la Saint-Jean, mais qui est beaucoup moins aromatique. Elle se commercialise autour de 100 euros le kg.
Si la France est restée sur une production très artisanale, c’est l’Espagne aujourd’hui qui est numéro un de la production de la truffe noir du Périgord, grâce à la professionnalisation de sa culture via, en particulier, l’apport de l’irrigation.
L’ARÔME SUPER-STAR
Depuis quelques années, ce produit d’exception est devenu ultra tendance. On retrouve la truffe dans d’innombrables produits et préparations comme les huiles, les fromages, les sels ou encore le beurre et même les chips. Des marques spécialisées dans la truffe proposent aujourd’hui une offre large de produits dont certaines proposées via un réseau de boutiques spécialisées.
Comme sur de nombreux marchés en quête de valorisation, la truffe rencontre un très beau succès quand elle est associée à certains produits comme les fromages. Les Français en raffolent avec des combinaisons toujours plus audacieuses, en particulier lors des fêtes de fin d’année. Du côté des restaurateurs, on observe le même engouement au-delà des tables gastronomiques. La truffe s’invite désormais dans de nombreuses pizzerias ou restaurants. Dans les faits, il s’agit le plus souvent d’huiles ou de crèmes aromatisées à la truffe qui permettent au restaurateur de réaliser une jolie culbute en en mettant plein les papilles de clients. La rémanence de ces arômes ultra puissants est un indice.
« Ce sont les Italiens qui ont démocratisé le goût de la truffe avec leurs huiles de truffe blanche d’Alba ! », me confie Laurence Rolland, directrice générale de la Maison Henras, et ayant déménagé au début du 20ème siècle dans le Lot. « Ces produits ont contribué à standardiser les palais, mais en réalité, 90 % des gens ne connaissent pas le vrai goût de la truffe. » Selon elle, nous nous sommes habitués à des aromatiques artificielles, ultra puissantes. Mais dans la réalité, nous sommes bien loin du goût originel de la truffe.
Car la truffe est beaucoup plus subtile que cela. Ce champignon complexe est composé de plus de 60 molécules aromatiques très fragiles qui s’évaporent rapidement. Elle ne supporte pas les températures élevées. Il est donc recommandé, lorsqu’elle est intégrée à une préparation cuite, de la cuire à très basse température ou de l’intégrer en fin de cuisson, pour éviter de l’exposer aux fortes chaleurs. De plus, « l’arôme naturel de truffe n’existe pas », poursuit Laurence Rolland. Les arômes existant sont donc artificiels et surboostés.
Résultat : l’écrasante majorité des produits proposés dans le commerce sont des produits avec des arômes et nous n’y voyons que du feu. Mais cela n’empêche pas les fabricants d’utiliser ce subterfuge pour valoriser de façon totalement déraisonnée leurs créations. Chez Monoprix, par exemple, la marque « Artisan de la truffe » propose, entre autres, une « préparation culinaire à base d’huile d’olive vierge extra saveur truffe blanche » à 179 euros le kilo. Un gérant d’une boutique spécialisée dans la truffe avoue n’utiliser « pratiquement que de la truffe d’été car c’est la moins chère ». Dans sa boutique, tous les produits sont estampillés « arôme truffe ».
CHEZ MAISON HENRAS, UN TRAVAIL D’ORFÈVRE
Chez Maison Henras, désormais située à Montauban, on reçoit les truffes en lots de terre. Sept salariés travaillent ici avec un savoir-faire rare que la direction se réjouit d’avoir pu maintenir en fidélisant ses salariés. « Nous travaillons la truffe d’exception, ce qui nécessite d’aller s’approvisionner là où le produit sera le meilleur, que ce soit en France (Dordogne, Charentes ou Quercy blanc) ou en Espagne, la majorité de notre production », me confie Laurence Rolland.
Le canifage.
Après les avoir brossées délicatement, les truffes sont palpées, senties, observées sous toutes les coutures puis canifées pour en déterminer le degré de maturité et la puissance aromatique. Elles sont ensuite classées en différentes catégories : extra, 1er choix, morceaux, pleutres et brisures. Sur 100 kilos reçus, seulement 50 % seront expédiées fraîches. Elles sont destinées à la commande pour les restaurateurs en France et à l’étranger.
Les truffes qui ne sont pas valorisées fraîches sont appertisées, afin de pouvoir être utilisées par la suite dans une gamme large de préparations (conserves, huiles, sauces, tartinables…) qui ne contiennent – c’est assez rare pour le signaler – aucun arôme.
Laurence ROLLAND, Directrice Générale de la Maison HENRAS
Les secrets de la Maison Henras pour ne pas céder aux arômes artificiels ? Transformer la truffe en première ébullition, une cuisson légère qui préserve tous les arômes. Mais les associations sont également travaillées avec certains ingrédients, comme l’artichaut, dont la combinaison avec la truffe en exhausse les goûts. Toujours en quête d’innovations, la maison centenaire rivalise d’ingéniosité. Elle a travaillé avec un partenaire (Dry4good) qui a mis au point un tout nouveau procédé de lyophilisation de la truffe à basse température, qui permet de la réduire en poudre sans en détruire les arômes. C’est de cette façon qu’elle signe les premières chips aux éclats de truffes sans aucun arôme.
Cette année la saison sera peut-être plus courte au regard de la sécheresse et de la douceur de février. Les professionnels annoncent de plus une production de truffes qui s’est effondrée de moitié.
LA CINQUIÈME SAVEUR
Le cas de la truffe interroge plus largement notre rapport aux saveurs et aux vrais goûts. Cherchant à toujours plus surprendre nos palais, il est parfois interpellant de constater que les goûts naturels sont beaucoup moins puissants et beaucoup plus subtils que nos versions industrielles qui ont façonné pendant des années nos goûts. Nous sommes non seulement devenus accros à des esthétiques parfaites mais aussi à des goûts standardisés et toujours plus puissants.
Mais la truffe se révèle pleinement pour qui sait l’associer et la cuisiner dans des préparations. C’est bien entendu tous le savoir-faire des Chefs. Combinées avec certains ingrédients, elle sublime littéralement les autres saveurs.« C’est la 5e saveur, l’umami », lance Laurence Rolland.
Alors, si se présente à vous le privilège de goûter à ces petits joyaux, soyez exigeants, fuyez les artifices et osez (re)découvrir le vrai goût de la truffe !
Pour en savoir plus :
Fédération Française des trufficulteurs