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Armand Heitz est un paysan à la tête d’une ferme en polyculture élevage et adepte du circuit court. Cet ardent défenseur du patrimoine français nous invite à questionner la notion de terroir. Quand la standardisation à outrance tue à petit feu la diversité et la richesses de notre patrimoine et de nos territoires.
Ce texte est dédié à Pierre Rabhi, paysan pionner de l’agroécologie en France.
Un produit du terroir est un produit témoin de l’héritage agronomique, climatique et culturel d’une région. Ce qui est fantastique avec un produit du terroir, c’est que le voisin de parcelle va avoir un produit différent car il n’a pas le même sol ni les mêmes méthodes de culture. C’est cette diversité qui va rendre un territoire riche et résilient.
Il est évident que les process industriels tuent le terroir car le but de l’industriel est d’avoir un produit le plus homogène et régulier possible. Je vous propose que l’on évoque dans cet article quelques composantes du terroir afin de voir si, dans notre contexte actuel, la notion de terroir est toujours pertinente.
Tout commence sur un sol. En 60 ans, nos sols ont perdu plus de la moitié de leur matière organique. Les haies détruites ont emporté avec elles toute la biodiversité qu’elles faisaient vivre. Les forêts sont comparables à des champs en monoculture. Les réponses en vogue en ce moment pour améliorer nos sols morts et soumis aux fortes chaleurs estivales sont l’irrigation, l’apport d’engrais ou l’ombrage par panneaux solaire. Heureusement, la vigne est une plante très résistante, mais combien de temps va-t-elle résister à nos erreurs agronomiques ?
Parlons de la vigne justement. Dans les années 1960, notre gouvernement souverain et bienveillant a décidé que pour assurer la pérennité de nos vignes, il était préférable que ce soit des organismes et instituts qui contrôlent et gèrent la multiplication de nos plants de vignes.
Avant 1960, le vigneron bourguignon pouvait à sa guise composer sa parcelle avec une vingtaine de cépages différents. Il pouvait gérer la production de ses plants. Quelques vignes issues de ce travail sont encore existantes de nos jours alors que les vignes bienveillantes et souveraines que nous plantons actuellement arrivent difficilement à produire pendant 20 récoltes.
Affaibli par un travail de sélection aux antipodes des règles naturelles, notre patrimoine viticole est en danger. Avons-nous réussi à garder la maîtrise sur nos vins ? À l’approche des vendanges et jusqu’à la mise en bouteille, les laboratoires vous invitent à surveiller acides, pH, sucres, anthocyanes et tannins. L’argument infaillible est que plus l’on contrôle, meilleur sera le vin. Si des analyses à la récolte venaient à ne pas être dans la norme, il ne faut pas s’en faire. Sucre, acide, tannins sont à disposition. L’important n’est pas d’être la fidèle image de son terroir. L’important est de se rapprocher au maximum d’un idéal arbitraire diffusé par une soi-disant personne influente.
La pollution normalisante s’est également attaqué au matériel de cave. Alors que j’étais en train de finir ma formation d’œnologue, je me souviens avoir défendu à mon professeur que pour faire un vin de terroir, il fallait accepter des grappes avec une maturité plus faible, des grappes avec une maturité un peu trop avancée et également un peu de maladie. Celui-ci m’avait indiqué que non. Il faut que toute la récolte soit la plus homogène possible et m’avait collé une mauvaise note à l’examen suivant.
C’est aujourd’hui l’avènement des trieuses optiques et de la régulation de température. Le but étant encore une fois de ressembler à ce qu’une personne bien pensante aura jugé comme bon. Comme si ce dictat commercial ne suffisait pas, l’Europe verse des aides aux vignerons afin que nous puissions nous équiper de ces dernières technologies. Les conséquences sont désastreuses car ces matériels en inox ont une empreinte carbone à la production colossale et sont également très gourmands en énergie au fonctionnement.
Les conséquences se retrouvent également sur le produit fini. Il suffit de voir l’homogénéité gustative des châteaux Bordelais ou des rosés de Provence qui suivent la même recette avec les mêmes équipements pour soi-disant faire le meilleur vin car Monsieur Parker en a décidé ainsi.
Avez-vous déjà goûté des vins des nouveaux pays producteurs comme la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud ou la Californie ? De nombreuses fois en dégustation à l’aveugle avec mes amis producteurs, alors que nous goûtons quotidiennement du vin, nous n’avons su reconnaître s’il s’agissait d’un vin français ou d’un vin du nouveau monde. Sommes-nous mauvais dégustateurs ? Je ne le pense pas. Comme nous prenons le même porte greffe, le même clone, que nous travaillons sur des sols quasi-morts ou perfusés en nutriment, et que nous utilisons les mêmes techniques en cuverie, alors il n’y a rien de surprenant que le vin français ressemble à s’y méprendre à celui du nouveau monde.
L’agriculture a 8000 ans, et c’est le paysan qui a su au fil des années perpétuer ce patrimoine. Chers politiciens, vous vous êtes accaparés il y a 70 ans les droits que nous autres paysans avions sur nos terres et vous nous avez transformé en vulgaires outils du productivisme de masse. En 70 ans, vous avez détruit nos campagnes, notre biodiversité, nos sols et notre savoir-faire. Prenez conscience que le terroir n’est pas une affaire de politique mais une affaire de paysan. Rendez-nous nos droits si vous ne souhaitez pas achever nos terroirs et continuer à produire des vins standardisés et impropres à une consommation saine et durable.
Publié par l’auteur sur StripFood :