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Cette semaine avait lieu un webinaire de l’Institut for a positive food sur le thème de « cuisiner soi-même » avec, comme invitées, Pascale Hebel (directrice associée C-Ways), Nicole Darmon (directrice de Recherche à l’INRAE) et Mariette Sicard (Head of Food Sciences Excellence Center chez Groupe Seb). Une belle occasion de démystifier un certain nombre d’idées reçues en la matière !
La pratique de la cuisine maison a longtemps décliné, pour se stabiliser au début des années 2010 avec la montée des inquiétudes vis-à-vis des risques alimentaires.
Fortement valorisé par les institutions de santé publique – que ce soit le PNNS en France ou la FAO et l’OMS au niveau mondial – le « fait maison » est également surreprésenté dans les médias.
Le « boom de la cuisine maison » : une thématique sur-représentée dans les médias
Si le choc du Covid et les confinements successifs ont été propices pendant un temps au fort développement du fait maison, la pratique de la cuisine comme tendance lourde de consommation doit être absolument nuancée.
Sous contraintes (de temps et d’espace), nos comportements évoluent (source : Nextrends)
Pascale Hebel alerte d’emblée sur le fantasme autour de cette pensée magique du fait maison : « Il s’agit avant tout d’une injonction portée par les foyers les plus favorisés, les fameux « Hauts Capitals Culturels » (appelés aussi « bobos » ou « enfants gâtés » précise t-elle) comme levier de distinction sociale. »
La cuisine est nettement surreprésentée chez les CSP+, les plus diplômés et les plus jeunes (source : Trendshaker 2022)
Comme le rappelle Mariette Sicard, les évolutions de nos modes de vie et de notre rapport à l’alimentation doivent être regardées avec précision afin de pouvoir s’y adapter, comme l’illustre l’infographie ci-dessous. On y apprend par exemple que 28 % des consommateurs (France, États-Unis et Royaume-Uni) déclarent prendre désormais un petit déjeuner sur le pouce. « Aux États-Unis, la voiture est même considérée comme un lieu de prise alimentaire comme la cuisine » poursuit-elle. On y apprend également que seulement 28 % des familles britanniques partagent le même repas tous les jours. Même si la France semble être davantage préservée (on cuisine encore en moyenne 1 heure / jour pour un couple), ces tendances à la destructuration des repas et à la montée du « snacking » ne riment pas forcément avec le fait maison.
Autre donnée clef à avoir en tête, la consommation est impactée directement via l’évolution de la taille des ménages. Ainsi, 30% des ménages européens sont désormais des foyers d’une seule personne. Une donnée structurelle qui ne favorise pas non plus le développement du fait maison.
Nos nouvelles habitudes de consommations impactent le fait maison (source : SEB)
Les motivations autour du fait maison sont avant tout des bénéfices émotionnels, comme la recherche de lien social, le fait d’acquérir de nouveaux savoir-faire ou encore l’estime de soi. C’est la raison pour laquelle on retrouve un fort engouement pour les recettes de partage comme les tapas ou encore le brunch.
Succès des recettes maison tournées vers le partage (source : Nextrends)
Pour aller plus loin, lorsque l’on explore les études en France et dans le monde sur le lien entre fait maison et santé, fait maison et impact financier ou encore fait maison et environnement, disons que les liens sont bien loin d’être évidents.
Pour Nicole Darmon « la seule corrélation significative concerne la préparation à partir de produits bruts (or ce n’est pas la norme aujourd’hui dans le fait maison, NDLR) qui est associée chez les femmes à un risque moindre de devenir obèse ».
Quant au lien entre cuisine maison et pouvoir d’achat, cuisiner maison ne revient pas forcément moins cher. En effet, il convient d’intégrer à la forte inflation des matières premières et de l’énergie l’amortissement des nombreux appareils électroménagers dont les ménages sont de plus en plus friands (21% des foyers français possèdent un robot culinaire chauffant – Gifam 2022). Mais c’est surtout sans compter le coût du temps passé à cuisiner, à 75 % féminin. Un seul contre-exemple peut-être : la lunch box, une choix réellement plus économique que la restauration et qui a fortement le vent en poupe.
Le phénomène de la lunch box en plein boom permet de mieux manger tout en maitrisant son budget (source : Trendshaker)
Par ailleurs, du côté des freins au développement du fait maison l’on trouve l’inflation (touchant les plus modestes), le manque de temps et le fameux « capital culinaire » – autrement-dit le savoir-faire (technique, conceptuel ou perceptuel). Pascale Hebel relève à ce sujet que la France est l’un des seuls pays où il n’y a plus de cours de cuisine. Selon elle, au-delà des recettes, il manque surtout le geste et cela commence par les courses et savoir quels produits acheter.
Au final, la question du fait maison interroge fortement sur deux éléments intrinsèquement liés : la définition même de ce que recouvre vraiment le fait maison et la question de la responsabilité de la personne à qui il incombe de cuisiner.
Sur la définition du fait maison, Nicole Darmon précise qu’il est dorénavant admis que la cuisine maison aujourd’hui est essentiellement de la cuisine d’assemblage.
La recette de la quiche lorraine « maison » à partir d’une pâte industrielle, un grand classique.
Mariette Sicard nous invite quant à elle à élargir le cadre de cette réflexion pour réaliser ce qu’implique vraiment en amont et en aval le fait de cuisiner maison. « Dans les recettes de cuisine, on comptabilise le temps de préparation et de cuisson, mais curieusement jamais le temps de la vaisselle ! », s’étonne-t-elle. C’est sans compter la phase, en amont, de recherche d’inspiration, de listes de courses, les emplettes, et enfin la confrontation entre les intentions et les contraintes d’évolution des aliments au cours de la semaine.
Le fait-maison se joue bien avant et après l’acte culinaire (source : SEB)
Nicole Darmon conclut enfin avec la question du genre : « Tant que le rapport hommes / femmes ne changera pas, toute recommandation à ‘cuisiner soi-même’ est en réalité une injonction qui repose à plus de 75 % sur les épaules des femmes. » Le retour au fait maison est ce qu’on peut appeler un véritable mythe.
Pour accéder au replay du webinaire, c’est ici :