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Alors qu’elle devient de plus en plus un sujet politique, paradoxalement l’alimentation aura été quasiment absente du débat présidentiel. Elle est pourtant essentielle pour notre santé, notre souveraineté, le climat et bien entendu pour notre pouvoir d’achat. L’alimentation mérite un ministère à la hauteur de ces enjeux.
Tribune publiée le 12 mai 2022 dans La Tribune.
Nous avons progressivement perdu le fil nourricier qui nous reliait à l’amont agricole. Nous avons perdu le lien avec les territoires agricoles, tout comme celui avec le potager familial. C’est tout un socle de connaissances des saisons, des produits, des origines, des espèces animales et végétales qui s’est perdu, ainsi que de nombreuses connaissances autour des savoir-faire de production et de transformation. La transmission intergénérationnelle de la cuisine se perd elle aussi.
Notre alimentation est beaucoup plus qu’un carburant. Elle est le pilier de nos vies et de notre santé.
Ce fameux « bon sens paysan » qui invite à consommer de tout, avec équilibre mais pas n’importe quand et surtout réunit autour de la même table, véritable lieu de socialisation, est en péril. Le schisme qui s’est opéré dans notre culture nous a progressivement conduit à oublier la valeur de notre alimentation. Cédant aux sirènes du « Qui est le moins cher ?», nous nous sommes collectivement aveuglés au point de décréter que la baguette, symbole de notre alimentation française, devait être un produit d’appel comme l’essence. Or, notre alimentation est beaucoup plus qu’un carburant. Elle est le pilier de nos vies et de notre santé.
Pour un grand ministère de l’alimentation
Quoi de plus populaire et concret que le sujet de notre alimentation ! Nous pouvons mesurer chaque jour l’impact des aléas climatiques (sécheresse, gel), mais aussi l’impact des conflits comme la guerre en Ukraine sur la disponibilité des produits de consommation courante ainsi que sur leur prix. La question de notre pouvoir d’achat y est donc étroitement liée. Notre alimentation a également des impacts sur le long terme à la fois sur notre santé, le climat ou encore la dynamique de nos territoires.
Nous devrions lui consacrer un grand ministère, englobant celui de l’agriculture devenu trop étriqué. Ce serait le ministère du «mieux manger» avec comme chantiers prioritaires: mieux produire, de façon plus durable, lutter contre la précarité alimentaire, mieux éduquer les nouvelles générations, mieux informer le consommateur et défendre notre souveraineté alimentaire et la compétitivité de notre modèle agricole et alimentaire français.
Un sujet populaire de plus en plus politique
L’alimentation s’affirme chaque jour davantage comme une affaire individuelle. Nous revendiquons le droit de nous alimenter selon nos préférences, nos convictions, nos croyances ou nos contraintes. Manger devient un sujet politique, clivant comme jamais les débats ! On promeut, sans nuance et sans arguments, tantôt le grand retour du plaisir à table, avec le mythe du « bon vivant », tantôt celui de la rigueur moralisatrice.
Au-delà de ces visions caricaturales, prétextes à créer des punchlines politiques, des marques en appellent à la tolérance. C’est le fameux «Aimez la viande, mangez des légumes» lancé par l’association Interbev, surfant avec habilité sur un mouvement flexitarien. Ou le slogan d’une marque de lardons vegan «C’est un juif, un viandard, un musulman et un vegan à la même table. Et c’est pas une blague !», qui met en avant la faculté de l’alimentation de réunir.
Regagner l’intérêt des citoyens à la politique… par leur assiette
Il est surprenant que face à la désaffection des citoyens envers la politique, jugée trop éloignée de leur quotidien, le personnel politique ne se soit pas encore emparé de ce thème puissant qu’est l’alimentation pour remobiliser le corps électoral. L’agriculture n’aura été que le 16ème thème discuté par les différents candidats dans cette campagne présidentielle, et l’alimentation le 28ème . Elle offre une occasion unique de réintéresser les citoyens-consommateurs à la politique par leur assiette, et un levier de sens pour un projet de société plus global.
Mieux manger tous ensemble sans détruire la planète, voilà la feuille de route du futur ministère de l’alimentation.
Si la question du climat n’est pas parvenue à s’imposer au cœur des présidentielles, c’est entre autres parce que le climat convoque le temps long et rentre en conflit avec les urgences du très court terme. Mais c’est aussi parce qu’il est porté dans le débat public de façon anxiogène. Si ces inquiétudes sont légitimes, l’angoisse reste un frein puissant.
Or, si la question alimentaire porte celle du climat, elle dispose d’un atout pour faciliter le changement de comportement : la dimension positive autour du plaisir. Parce que l’alimentation réunit plus qu’elle ne divise, elle constitue une arme de mobilisation massive. Mieux manger tous ensemble sans détruire la planète, voilà la feuille de route du futur ministère de l’alimentation.