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Obésité, gaspillage, aide alimentaire, fruits et légumes made in France, Politique agricole commune, soja, agriculture écologique, réchauffement climatique… Ça nous démange, d’imaginer le monde d’après, surtout qu’on a du temps pour y penser actuellement.
Il convient néanmoins d’être d’une grande prudence. En effet, on lit beaucoup d’autojustifications, chacun tentant de défendre ses positions d’avant sur le thème du « je vous l’avais bien dit ». Va-t-on devenir plus sages, plus prévoyants, plus solidaires, ou bien le chacun pour soi, le droit à la futilité, l’égoïsme individuel et collectif reprendront-ils le dessus ?
Bruno Parmentier est auteur de « Nourrir l’humanité » et « Faim zéro » (Editions La Découverte), de « Manger tous et bien » (Editions du Seuil) et de « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (Diffusion internet), et animateur du blog Nourrir-Manger et de la chaîne You Tube Nourrir-Manger.
Il répond chaque jour sur StripFood à une nouvelle question pour commencer à imaginer l’agriculture et l’alimentation de demain.
Face à la crise, voulons-nous plus ou moins d’Europe agricole ?
La Politique agricole commune a été absolument fondatrice dans la construction européenne. A l’heure actuelle, c’est même la vraie seule grande politique qui a été menée avec constance depuis le début de l’Europe des Six en 1957, et elle occupe encore une bonne part du budget commun. Cette crise donne l’occasion d’en faire en quelque sorte un bilan à chaud.
L’union a réellement fait la force !
Disons-le, aujourd’hui, ce bilan est très positif : malgré le confinement, la désorganisation logistique, la fermeture de tous les restaurants et cantines et les difficultés de toutes sortes, on mange à sa faim partout en Europe et on n’a pas vraiment peur de manquer ! Les camions de nourriture continuent à franchir les frontières et à approvisionner nos marchés. Et on se félicite de constater que, mis à part les protéines végétales et les produits tropicaux, nous sommes collectivement largement autosuffisants, alors qu’individuellement peu de pays le sont. L’union a réellement fait la force. Nous sommes 446 millions, beaucoup habitent dans des pays qui ne produisent pas assez de nourriture, comme la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège ou la Suisse et après l’affolement des premiers jours de confinement et malgré la fermeture de nombreux marchés, personne ne craint la pénurie !
Nous nous sommes dotés d’outils de régulation des marchés et d’amortissement des crises climatiques, sanitaires ou économiques plutôt performants. C’est plutôt la peur de les utiliser à fond qu’on peut parfois déplorer. Par exemple, la réglementation de la PAC accorde des « pouvoirs spéciaux » à la Commission européenne pour en réguler le fonctionnement défaillant, en agissant directement sur les marchés agricoles, quitte à déroger au droit de la concurrence. Mais elle hésite à les utiliser actuellement, alors que se conjuguent pourtant dans certains secteurs comme le lait et les fruits, baisse des prix et surproduction, et ce probablement pour des années. Allons-y, ce n’est pas le moment de faire du surplace.
Va-t-on jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Mais soyons objectifs et sachons reconnaître ce qui marche : malgré ses lourdeurs, bravo l’Europe, qui est aujourd’hui notre vraie patrie pour la nourriture ! Et ce serait absolument dramatique de brader cet acquis si positif en prenant prétexte des failles évidentes de solidarité sur d’autres plans, comme l’accueil des réfugiés, la gestion non concertée de cette crise du Covid, et maintenant le financement de la relance. Va-t-on jeter le bébé avec l’eau du bain ? Car, depuis des années, il est de bon ton de critiquer la politique agricole commune, trop productiviste, pas assez écologique (ou trop), trop lente, trop libérale, trop interventionniste, trop pointilleuse, concentrée sur des détails, trop ouverte, trop fermée, trop chère, inféodée à divers lobbies, etc. Mesurera-t-on ce qu’aurait été une crise du Covid sans la PAC ? Voit-on à quel point des pays comme les USA interviennent fréquemment et fortement pour soutenir leurs agricultures et leurs agriculteurs ?
Une crise alimentaire gravissime menace dans les pays du Sud et particulièrement en Afrique, ce n’est pas le moment de tergiverser.
Une nouvelle PAC est à redéfinir.
Or, nous sommes justement en train de redéfinir la nouvelle PAC pour les prochaines années. Ira-t-on vers plus de solidarité pour affronter en commun les défis alimentaires et écologiques qui nous attendent ? Saurons-nous nous concentrer sur l’essentiel : comment nous organiser au mieux pour que tous les Européens puissent continuer à manger régulièrement, sainement et à coût abordable, sans réchauffer la planète, et que nos paysans puissent en vivre correctement ?
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