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Obésité, gaspillage, aide alimentaire, fruits et légumes made in France, Politique agricole commune, soja, agriculture écologique, réchauffement climatique… Ça nous démange, d’imaginer le monde d’après, surtout qu’on a du temps pour y penser actuellement.
Il convient néanmoins d’être d’une grande prudence. En effet, on lit beaucoup d’autojustification, chacun tentant de justifier ses positions d’avant sur le thème « je vous l’avais bien dit ». Va-t-on devenir plus sages, plus prévoyants, plus solidaires, ou bien le chacun pour soi, le droit à la futilité, l’égoïsme individuel et collectif reprendra-t-il le dessus ?
Bruno Parmentier est auteur de « Nourrir l’humanité » et « Faim zéro » (Editions La Découverte), de « Manger tous et bien » (Editions du Seuil) et de « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (Diffusion internet), et animateur du blog Nourrir-Manger et de la chaîne You Tube Nourrir-Manger.
Il répond chaque jour sur StripFood à une nouvelle question pour commencer à imaginer l’agriculture et l’alimentation de demain.
Comment nourrir les plus démunis autrement qu’en recyclant notre gâchis ?
Pendant la crise, nous nous découvrons de gros problèmes d’approvisionnement alimentaire de tous les gens qui sont « à la marge » : travailleurs pauvres, étudiants fauchés, familles monoparentales, chômeurs en fin de droits, travailleurs au noir, sans domicile fixe, réfugiés, etc. Avec la fermeture des cantines scolaires et des restaurants universitaires qui leur donnaient accès à une nourriture pas chère du tout, de très nombreuses personnes viennent rejoindre ceux qui auparavant bénéficiaient de tous les systèmes organisés pour donner une deuxième chance à notre immense gâchis alimentaire : banques alimentaires, restaurants du cœur et autres soupes populaires.
On jette 1/3 de la nourriture produite dans le monde.
En fait les demandes ont doublé ou triplé, alors qu’en période « normale » 5,5 millions de personnes recevaient déjà ponctuellement ou régulièrement des aides alimentaires. Parfois c’est des deux côtés : des étudiants qui viennent aider bénévolement et qui demandent aussi à être bénéficiaires.
Rappelons que l’on jette environ le tiers de la nourriture produite dans le monde, soit 1,3 milliards de tonnes, et plus de 200 kilos par personne et par an dans les pays riches. Une bonne partie de cette gabegie vient de nos systèmes industrialisés collectifs. Auparavant, près de 20 millions de français déjeunaient quotidiennement dans les restaurants et cantines, qui ont tous fermé tout comme la plupart des marchés ouverts. C’est justement là où nos banques alimentaires s’approvisionnaient traditionnellement. Le gâchis s’est déplacé ailleurs, dans les champs lorsqu’on n’a pas pu récolter, ou à domicile, des lieux que nos systèmes solidaires ne sont pas organisés pour toucher. On a donc à la fois un afflux considérable de gens et pas assez d’approvisionnement dans les centres de distribution de nourriture, qui en plus manquent de main d’œuvre. Et trop de fruits et légumes, de lait, de viande, de poisson et autres produits périssables ne sont plus récoltés, ou restent invendus.
Aux Etats-Unis par exemple, les écoles, les universités, les restaurants, les bars et les cantines n’achètent plus de lait, de viande, de fruits, de légumes et d’autres aliments, entraînant les prix des céréales et du bétail dans une spirale infernale. Dans le même temps, des dizaines de millions d’Américains se retrouvent au chômage (là-bas peu ou pas indemnisé), l’économie est en grande partie paralysée, et de longues files d’attente se sont formées devant les banques alimentaires. L’administration Trump, dans le souci aussi de soutenir sa forte base électorale chez les agriculteurs, s’est associé à des distributeurs régionaux et locaux pour acheter pour 3 milliards de dollars de produits agricoles qui ont vocation à être distribués aux banques alimentaires, aux églises, ainsi qu’à des organismes d’aide. Pour commencer, elle prévoit d’acheter pour 100 millions de dollars par mois de fruits et légumes frais, pour 100 millions de produits laitiers et 100 millions de viandes, ce qui occasionne d’énormes problèmes logistiques. Trump qui se met à nourrir les pauvres, on aura tout vu !
On commence à peine à voir se dessiner de tels programmes en Europe, et en France, à la fois pour soutenir les producteurs (aide au stockage de lait et de viande), les associations alimentaires (25 millions de subventions débloquées par la France le 23 avril), les territoires les plus en souffrance (14 millions) et directement les personnes fragilisées (distribution de chèques d’urgence alimentaire, aide exceptionnelle aux 4 millions de bénéficiaires du RSA et de l’allocation de solidarité spécifique), etc.
La réduction du gaspillage est une excellente nouvelle pour la planète mais pas pour les plus démunis.
Tout cela oblige à revoir l’ensemble des systèmes d’aides alimentaires aux plus démunis. Et à observer que, si on arrive à diminuer drastiquement notre taux de gâchis, ce qui serait une excellente nouvelle pour la Planète, il conviendra d’organiser d’une manière ou d’une autre un approvisionnement alimentaire à la source pour les plus démunis, qui de fait vivaient pour partie du recyclage des excès de ce même gâchis !