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Tous les politiques et experts (ou presque) nous disaient depuis des années que la mondialisation, la croissance, l’industrialisation, la déforestation, la pollution des océans, la baisse de la biodiversité… étaient inéluctables et que rien ne pourrait les arrêter. Or nous venons de découvrir qu’il y avait en fait un bouton rouge bien caché dans notre planète et que l’on pouvait tout arrêter du jour au lendemain, avec des conséquences incalculables à ce jour.
Le Covid19 a tué moins de 30 000 personnes dans un pays qui déplore 600 000 décès par an.
Or le coronavirus n’est qu’un « petit » problème ponctuel et provisoire en comparaison des « vrais » problèmes du XXIe siècle que sont principalement le réchauffement de la planète et l’épuisement des ressources, en particulier celles de la biodiversité.
Le Covid-19 a « l’avantage » de faire très peur à court terme ; il a tué en deux mois en France un peu moins de 30 000 personnes alors que notre pays déplore 600 000 décès par an, soit 50 000 par mois. Et encore, à l’heure du bilan total, il faudra porter à son « crédit » tous les décès « évités » : accidents de la route ou du travail, pollution atmosphérique (48 000 morts par an paraît-il !), etc. Les réactions et mesures de précaution que nous avons prises, pour le moins vigoureuses, ont permis d’éviter le pire : un débordement total de nos hôpitaux et, paraît-il, plus de 65 000 morts supplémentaires. Bravo à tous, poursuivons ensemble ce travail de prévention tant qu’il n’y a ni vaccin ni traitement.
21 000 personnes meurent de faim chaque jour sur Terre.
À l’échelle mondiale, on en est à 300 000 morts en trois mois, un chiffre très largement sous-estimé vu le manque de transparence d’un grand nombre de pays. Mais on a déploré 15 millions de décès « ordinaires » pendant le même trimestre, et n’oublions pas que meurent de faim 21 000 personnes chaque jour sur Terre – et un enfant toutes les 10 secondes – dans l’indifférence générale et que ces derniers chiffres risquent d’augmenter considérablement avec les problèmes économiques et logistiques gigantesques induits pas le confinement.
Or, pendant la crise, le réchauffement climatique continue sa progression. Même si ce fut agréable de vivre en France un mois d’avril à 3°C de plus que la normale (à noter qu’il s’agit du 11e mois de suite dans ce cas), cela reste très inquiétant et annonce de probables canicules et sécheresses pour cet été, qui vont fortement affecter l’agriculture.
Le réchauffement climatique se présente comme une menace vague, à long terme, pour « les autres ».
Or, les autres problèmes à venir, ceux qui vont s’aggraver avec le dérèglement climatique, se présentent comme des menaces vagues, à long terme, et surtout pour « les autres », principalement dans les pays tropicaux (ceux qui connaissent cyclones, sécheresses, incendies majeurs, inondations catastrophiques, nuages de criquets, etc.).
Pourtant ils vont très probablement occasionner beaucoup plus de morts ! Est-ce que cet avertissement solennel du Covid-19 changera durablement notre rapport à la planète, à la nature, aux océans, aux forêts vierges, aux terres agricoles… et qu’on appliquera collectivement la même énergie stupéfiante qui nous a fait vigoureusement tirer le signal d’alarme à la construction collective d’un avenir plus durable, plus humain, plus raisonnable ?
Rien n’est moins sûr, car au vu l’ampleur de la crise économique qui s’annonce, il apparaîtra plus facile de redémarrer comme avant, en tentant de parer au plus pressé comme on sait déjà le faire, et ensuite, seulement ensuite, passer au problème suivant ?
Exemple typique : faut-il renflouer à l’identique et sans se poser de question les industries automobiles et aéronautiques, pour éviter qu’elles ne sombrent en entraînant des pans entiers de l’économie et de l’emploi ? Subventionner massivement « l’économie d’avant » en espérant retrouver le bon vieux temps du « business as usual », quand ça coûtait moins cher de prendre l’avion de Paris à Marseille que le TGV, et quand le poids des voitures, majoritairement utilisées en ville par une seule personne, était passé de 500 à 1 500 kilos ? Avec seulement quelques ajustements, du type relocalisation d’une partie de l’industrie pharmaceutique et des masques en Europe, des investissements dans nos hôpitaux et une touche de social ?
Ou bien cette période d’arrêt nous aura-t-elle rendu plus raisonnables, plus soucieux du long terme ? On avait l’impression que nous pourrions acheter des masques de protection rapidement en Chine en cas de besoin, va-t-on faire comme si l’on pourra pragmatiquement et efficacement aviser le moment venu lorsque l’on devra faire face à une vraie catastrophe climatique ? Va-t-on tenter de ré-industrialiser en partie la France (au moins dans le médical) en observant que l’Allemagne, qui elle n’a pas perdu son industrie, déplore près de 5 fois moins de morts que la France pour une population plus nombreuse, possède 3 fois plus de lits de réanimation et pratique 3 fois plus de tests ? Si oui, avec des industries du XXIe siècle, ou bien à la mode du XXe ?
Ces dernières années, d’aucuns estimaient que l’Union européenne devait prendre la tête de la lutte contre le dérèglement du climat et qu’il fallait y mettre le paquet. Un chiffre astronomique avait été avancé : 1 000 milliards d’euros d’investissements dans ce secteur de l’économie décarbonée. Même si on avait dépensé plus que cela pour seulement sauver les banques en 2008, cela paraissait un chiffre tellement astronomique que c’en était déraisonnable. Et aujourd’hui, juste pour éviter un effondrement social et économique, on sort de telles sommes du chapeau en quelques semaines ! C’était donc possible ! Mais… peut-on faire deux fois le coup ?
Qui peut vraiment protéger la biodiversité et fixer du carbone dans les sols pour refroidir la planète, sinon les agriculteurs ?
Si l’on veut vraiment s’atteler à la fois à la nécessaire relance économique et à la construction d’une économie qui réchauffe moins et qui épuise moins la Nature, cela passe, entre autres mais nécessairement, par cette nouvelle agriculture. Car qui peut vraiment protéger la biodiversité et fixer du carbone dans les sols pour refroidir la planète, sinon les agriculteurs ? Le défi climatique ne pourra se gagner que s’ils sont en première ligne. Par exemple, on s’est aperçu qu’il nous reste 3 000 milliards d’arbres sur Terre et que, pour la refroidir, il faudrait en replanter 1 000 milliards de plus. On ne pourra pas le faire sans les agriculteurs.
Va-t-on inciter, favoriser, aider, subventionner la transition vers une agro-écologie intensive décarbonnée (couverture permanente des sols, agro-foresterie, plantation de haies, baisse radicale des engrais minéraux et des pesticides chimiques, retour à une forme de polyculture-élevage un peu partout, diminution de l’élevage, raccourcissement des chaines alimentaires, etc.) ?
Les agriculteurs doivent être rémunérés deux fois, pour nourrir et pour refroidir la planète.
Et c’est quand même une bonne nouvelle de constater que cette nouvelle agriculture agro-écologique peut tout faire à la fois : nourrir efficacement l’humanité, augmenter la fertilité et la biodiversité des sols et refroidir la planète en fixant de grandes quantités de carbone atmosphérique via une nette augmentation de la photosynthèse. En contournant habilement les obstacles psychologiques et organisationnels, nous pourrions y arriver assez rapidement, d’autant plus que, du point de vue scientifique, c’est le moment : nous apprenons seulement maintenant à mieux connaître la vie des sols et allons pouvoir la favoriser plutôt que de nous en méfier !
Les agriculteurs doivent dorénavant accomplir non plus une mais deux missions absolument vitales et nous devrions donc inventer des systèmes originaux et volontaristes pour financer chacune des deux :
- bien nourrir l’humanité, malgré le réchauffement et sans réchauffer,
- et refroidir la planète, en fixant dans et sur leurs terres un maximum de carbone atmosphérique.