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François Robin est un crémier fromager élu meilleur ouvrier de France (MOF) en 2011. Fils d’un éleveur de chèvres de Touraine (AOP Sainte-Maure-de-Touraine), il se dirige dans un premier temps vers la musique et l’art contemporain. Mais, rattrapé par ses origines, il devient fromager en 2007, puis responsable du rayon fromage chez Fauchon place de la Madeleine en 2009. Aujourd’hui, il se consacre à la formation de futurs fromagers en accompagnant les porteurs de projets en France ou à l’étranger. Pour StripFood, et dans le cadre du Salon du Fromage et des Produits Laitiers qui s’ouvrira dimanche 27 février à Paris, il décode l’évolution du secteur et nous éclaire sur les grandes tendances.
Si le réseau de la grande distribution concentre 85 % du volume des fromages vendus en France, les artisans (dont environ la moitié d’entre eux travaillent sur les marchés) bénéficient d’une forte dynamique de développement. Leur valeur ajoutée réside, à l’image d’un caviste, tant dans la sélection de l’offre que dans le conseil.
Selon François Robin, les tendances sont finalement assez globales, mettant la France devant le challenge de faire vivre la tradition fromagère dans un nouveau champ de compétition, le monde.
« Cheese is the new wine »
Le fromage suit exactement les traces du vin dont on a vu changer les fondations ces 40 dernières années avec l’arrivée des vins du Nouveau Monde. Des régions du monde comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore les États-Unis font aujourd’hui du fromage. En Europe, on redécouvre la qualité du patrimoine fromager. Devant cette nouvelle concurrence, la capacité de se renouveler est clef. François Robin en appelle donc à l’esprit d’innovation. À l’étranger, le poids de la tradition est beaucoup moins fort et les créateurs de fromages se forment et s’adaptent au terroir et à leurs envies. La tradition fromagère française ne doit pas rester figée et demeurer ainsi sur ses acquis comme on a pu le voir pour certains appellations dans le vin.
« Bon à manger, bon à penser »
Le mouvement vers davantage de qualité est une tendance lourde. On aspire à plus de transparence et d’engagements concernant les origines et les conditions de production. Communiquer sur les hommes et femmes qui font le fromage devient de plus en plus nécessaire. Raconter une histoire autour du fromage est un levier de création de valeur important.
Pour François Robin, l’avenir c’est le bio mais pour l’instant ce n’est pas une attente majeure côté consommateurs chez les artisans. Les attentes se concentrent davantage sur le goût, le plaisir, une offre large et affinée. Il est vrai qu’il y a encore un décalage important de qualité avec l’offre bio dans les épiceries spécialisées bio. Cela dit, cela devrait évoluer, car le temps agricole et sociétal n’est pas le même. Selon lui, la question du bien-être animal sera clef.
Le grand retour des artisans crémiers-fromagers
La profession de fromager a bien failli disparaître. On ne comptait plus que des fromagers dans les grandes villes et au sein des régions de tradition fromagère. Il y avait même de véritables déserts fromagers comme à Marseille.
Aujourd’hui, la tendance s’inverse, même si la grande distribution domine très largement. François Robin accompagne quant à lui une centaine de créations par an sur un métier qui compte au total 3 600 artisans. Il s’agit à 99 % de reconversions professionnelles avec une forte accélération depuis deux ans en raison de l’épidémie de la Covid-19.
Glissement de la consommation vers l’apéritif
La consommation traditionnelle de fromage entre le plat principal et le dessert tend à décliner en dehors des repas de fête. On glisse davantage vers une consommation vers l’apéritif ou l’afterwork. Mais on observe également une hausse de la consommation de fromages par les végétariens pour son apport nutritif ou pour des repas plus légers (formule soupe et fromage). En revanche, l’usage du fromage comme ingrédient à cuisiner ne semble pas vraiment s’installer.
« Comfort food » : succès des fromages crémeux et à fondre
Les Français ont besoin de nourriture qui fait du bien aux papilles et au mental. C’est le boom des fromages enrichis en crème autour de sensations ultra fondantes et réconfortantes. C’est aussi le succès des fromages à fondre qui ne se dément plus. Raclette, fondue, Mont d’Or ou tartiflette n’ont jamais eu autant la côte.
Hold-up des fromages aromatisés
C’est dans ce rayon que la créativité est à son comble. Fromages fumés avec des essences nobles ou liées au terroir, fromages frottés ou infusés avec du vin, des spiritueux ou des ingrédients comme la fève de Tonka, c’est la consécration de savoir-faire bien spécifiques. A l’origine de ces goûts nouveaux et créatifs, il y a des techniques qui prennent le temps. Les consommateurs en raffolent !
Des plateaux de fromages plus cosmopolites
Les Français sont de plus en plus curieux des produits étrangers qui représentent en moyenne désormais entre 10 et 15 % de l’assortiment chez un fromager. À condition que le fromage ne prenne pas une case déjà occupée par un fromage français. Il sera en effet compliqué de vendre un camembert américain !
La truffe, superstar
Comme sur de nombreux marchés en quête de valorisation, la truffe rencontre un très beau succès quand elle est associée aux fromages. Les Français en raffolent avec des combinaisons toujours plus audacieuses.
L’offre végétale est encore anecdotique. Jusqu’à quand ?
Il y a une véritable dissonance entre le bruit médiatique et la réalité. Pour François Robin, il y a complètement une place pour cette offre mais à condition qu’elle crée son propre univers plutôt que de piller le vocabulaire fromager. Ce qui l’inquiète davantage, c’est la végétalisation des gammes chez les grands groupes laitiers dont certains projettent le basculement de la moitié de leur offre d’ici 2030. Avec le lait de soja ou celui d’avoine, les niveaux de marges sont beaucoup plus importants mais il s’agit d’une véritable menace pour les éleveurs.
Les 2 coups de cœur de François Robin :
- Dénicher un fromage 100 % lait de la race de chèvres du Rove dans le sud de la France. Il s’agit d’une race de chèvre sauvée par la passion de quelques personnes qui produisent un lait incroyable.
- Craquer pour le Bleu de Termignon, un vrai voyage gustatif en direct de la vallée de la Maurienne. Il ne reste plus que quatre producteurs.