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Nous sommes confinés depuis le 17 mars. Cette période inédite que nous vivons questionne la place qu’occupe notre alimentation dans nos vies. Si on observe une évolution de nos comportements à court terme, qu’en sera t-il demain ? Pour aborder cette question d’actualité, j’ai décidé de donner la parole à Nathalie HUTTER-LARDEAU, nutritionniste. Je suis ravi de l’accueillir pour la première fois sur StripFood. Les photos culinaires ont été réalisées par la styliste culinaire Emilie LARAISON dans le cadre d’un précédent article sur la cuisine de confinement. Stéphane de StripFood
Selon le sociologue Thibaut de Saint Pol (Observatoire Sociologique du changement), « en France, manger est une activité jugée aussi agréable que de lire ou d’écouter de la musique, en particulier si le repas est partagé, ce qui est très différent par exemple des pays anglo-saxons. Au-delà du plaisir d’être ensemble, le repas est un lieu d’échanges et de transmission, notamment auprès des enfants. Mais manger ensemble est aussi un moyen de régulation et de contrôle : ce qu’on mange, la quantité et comment est influencé par le contexte social du repas et avec qui on mange, ce qui a des conséquences sociales, mais aussi en termes de santé ». *
Dès le début du confinement, notre rapport à l’alimentation s’est vu immédiatement modifié et de nouvelles pratiques se sont installées autour de nos tables, même en visio à l’instar des « aperoskype » ou des recettes en live de Cyril Lignac sur M6.
L’alimentation et la santé au coeur de nos vies
De food-bashing à food-praising, l’alimentation est devenue un des motifs de déplacement de première nécessité et sa chaîne d’approvisionnement essentielle au bon fonctionnement du pays. L’offrande alimentaire a même repris du sens, à l’heure où des repas sont offerts au personnel soignant pour les remercier de leur engagement.
Au quotidien, accéder à nos aliments est redevenu une préoccupation majeure que l’on avait peut-être eu tendance jusqu’encore très récemment à considérer comme un acquis.
Cette soudaine distance apparue entre nos lieux d’approvisionnement habituels nous conduit à repenser notre alimentation, à réfléchir nos menus, à distinguer l’indispensable du superflu. Cette période si particulière, nous impose de ne plus manger au jour le jour, d’éviter l’achat d’impulsion, mais à l’inverse de construire notre alimentation sur la semaine pour optimiser nos approvisionnements et limiter nos déplacements. L’occasion unique de tenter de planifier son équilibre alimentaire dans la durée pour y insérer plus de variété alimentaire. C’est d’ailleurs ce que semblent faire les Français – selon une enquête de l’institut YouGov pour L’Obs, 43 % des Français achèteraient davantage de fruits et légumes depuis le confinement.
Et si nous relocalisions nos achats, vraiment ?
En réduisant nos déplacements, nous favorisons aussi les commerces de proximité, expérimentons de nouvelles adresses, nous relocalisons certains de nos achats…
Cependant avoir la famille constamment à la maison a eu aussi un impact direct sur notre budget alimentaire que l’on a vu grimper au fil des semaines. Le panier moyen aurait augmenté de 89 % la semaine du 30 mars au 5 avril dans les hypers et supermarchés selon l’institut IRI. Du coup, il nous faut réapprendre à jongler efficacement entre produits frais et denrées non périssables et redécouvrir comment associer les restes pour limiter le gaspillage.
Mais les courses sont aussi devenues des vecteurs potentiels de contamination, que l’on fait entrer dans la maison. Cette nouvelle source de méfiance exacerbe encore le lien que l’on accordait déjà entre alimentation et santé et les questions que l’on pouvait se poser. Il nous faut à nouveau apprendre à composer en adoptant les bons comportements comme il est souvent de mise en alimentation.
De plus en cette terrible période, les injonctions sont nombreuses et notre alimentation n’échappe pas aux mises en garde car notre balance énergétique est particulièrement menacée, entre accès permanent aux placards et au frigo et immobilisation forcée. Mais finalement, cette situation exceptionnelle révèle encore davantage le caractère sédentaire de nos vies habituelles, tout en générant un avide besoin salvateur de bouger. Comme quoi tout ne dépend pas uniquement de ce que l’on met dans l’assiette.
On prend le temps de cuisiner davantage. Et demain ?
Mais surtout, nos repas sont venus rythmer notre quotidien et ont pris une importance considérable dans nos vies confinées. La cuisine a même pris des allures d’activité distrayante parfois même pour l’ensemble de la famille où il faut apprendre à composer avec les goûts et les préférences de chacun. Toujours selon YouGov, 61 % des Français affirment être retournés aux fourneaux depuis le début du confinement. Ce temps de préparation peut alors être même mis à profit en matière d’apprentissage de soi mais aussi des autres. Il peut s’avérer être un réel moment de partage et de transmission entre les générations. Le plaisir de préparer vient donner une nouvelle dimension au plaisir de manger en renouant avec les sens tels que le toucher, l’odorat. On sait d’ailleurs que le plaisir lié à l’alimentation peut être un allié dans le choix des portions et dans le sentiment de rassasiement ressenti après le repas. Il peut être un véritable atout pour adapter l’alimentation à ce nouveau mode de vie plus sédentaire.
Face à ces injonctions, la dimension sociale liée à l’alimentation est également exacerbée. La convivialité reprend sa place au sein des foyers. Partager son repas, en faisant de ce moment une vraie pause, va d’une part structurer nos journées en leur donnant un rythme et d’autre part jouer un rôle dans la prévention du surpoids, notamment chez les plus jeunes.
À ces bénéfices santé s’ajoute également un véritable impact bien-être non négligeable en cette période, puisque les repas en famille permettraient de diminuer les risques d’insomnies et d’anxiété.
Et si finalement cette période sans précédent pouvait nous donner de nouveaux réflexes et nous permettre de remettre du bon sens dans notre alimentation pour mieux manger tout en se faisant plaisir ?
Pour en savoir plus :
Atlantic Santé
Delibento
WomUp
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
*Extraits de la monographie Président : « Pour mieux manger… Regardons plus loin que notre assiette ! »
Étude IRI : IRI vision actualité. Insight & communication IRI France. Données arrêtées au 5 avril 2020. Édition S14 2020
Étude YouGov pour L’Obs https://www.nouvelobs.com/food/20200409.OBS27304/legumes-surgele-et-bio-le-confinement-a-deja-change-l-assiette-des-francais.html
Courses vectrices de contamination : les bons gestes
https://www.anses.fr/fr/content/covid-19-les-gestes-%C3%A0-adopter-pour-faire-les-courses
Plaisir alimentaire et choix des portions :
Cornil, Y., & Chandon, P. (2016). Pleasure as an ally of healthy eating? Contrasting visceral and Epicurean eating pleasure and their association with portion size preferences and wellbeing. Appetite, 104, 52-59
Cornil, Y., & Chandon, P. (2016). Pleasure as a substitute for size: How multisensory imagery can make people happier with smaller food portions. Journal of Marketing Research, 53(5), 847- 864
Partage du repas :
Shirasawa, T., Ochiai, H., Yoshimoto, T., Matoba, M., Sunaga, Y., Hoshino, H., & Kokaze, A. (2018). Effects of eating dinner alone on overweight in Japanese adolescents: a cross- sectional survey. BMC pediatrics, 18(1), 36.
Boothby, E. J., Clark, M. S., & Bargh, J. A. (2014). Shared experiences are amplified. Psychological science, 25(12), 2209-2216
Haghighatdoost, F., Kelishadi, R., Qorbani, M., Heshmat, R., Motlagh, M. E., Ardalan, G., & Azadbakht, L. (2017). Family dinner frequency is inversely related to mental disorders and obesity in adolescents: The CASPIAN-III study. Archives of Iranian medicine, 20(4), 218-223.