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Produire du thé en France ? Quelle drôle d’idée ! Il s’agit pourtant du projet un peu fou d’Émile Auté, dont les plantations se situent en Bretagne et dans le Perche. Rencontre avec ce véritable paysan du thé qui m’a reçu près de Vendôme, dans le nord du Loir-et-Cher, au sein de son atelier adossé à sa pépinière.
C’est chez lui, à Sargé-sur-Braye dans le Loir-et-Cher, qu’Émile Auté m’a donné rendez-vous. Il m’accueille à la Maison Montplaisir qui affiche fièrement sa plaque de membre du Collège Culinaire de France – cette association fondée par de grands chefs français œuvre à soutenir les producteurs et artisans qui contribuent à sauvegarder notre patrimoine culinaire.
Au cœur du hameau, en bordure de nationale, Émile Auté se projette dans un tiers-lieu qui ressemblerait à une véritable place de village, avec le grand jardin aménagé en différents petits îlots dédiés à la culture du thé. Au fond de la parcelle, une grande serre abrite déjà les futurs plants. Face à ce jardin et à côté de son atelier, différents corps de métiers verront le jour. L’ouverture au public est prévue mi juin pour des visites de pépinières et les parcours dégustation dans le jardin.
Bienvenue dans l’univers d’Émile Auté, le paysan du thé français !
Credit Photo : Laurent Alvarez
Son histoire commence à Cognac où, après une carrière dans la restauration sur l’île d’Oléron, Émile Auté a travaillé comme barman au sein d’un bar à cocktails. C’est à cette époque qu’il s’initie à la création d’infusions et de thés à partir de la cueillette de fleurs comestibles et d’herbes sauvages. Mais, porté par l’envie de créer et de produire lui-même, ce passionné du monde végétal né à Blois décide de tout plaquer en 2015 et s’installe alors dans le Loir-et-Cher, la terre d’où il est originaire.
C’est en lisant le premier numéro du magazine Kaizen que j’ai eu un déclic. L’appel de la nature devient plus fort et je décide de changer de vie.
Après une longue période de formation autour du thé et de nombreux voyages à travers le monde, il se lance en premier lieu dans la création de thés aromatisés. Il achète du thé en Asie et en Inde pour réaliser ses propres créations avec des fleurs, de vrais fruits et des baies qu’il déshydrate lui-même, ou encore des épices. Ses clients sont des épiceries fines ou de vrac, des salons de thé ou encore des hôtels et restaurants.
Credit Photo : Laurent Alvarez
Émile Auté propose rapidement des ateliers pour apprendre à faire son propre thé. Ils sont destinés aux professionnels mais aussi aux amateurs. Comme un parfumeur, il travaille méticuleusement les assemblages qui vont réussir à incarner à merveille l’identité souhaitée. Il a ainsi créé une série de « thés des châteaux » : pour le Clos Lucé à Amboise, il a composé un thé vert avec des baies sauvages et du basilic ; pour le Château de Valmer un thé vert, raisins et fleurs de sureau ; et, pour le château de Chenonceau, un thé à la fraise et à la rose.
Émile compte aujourd’hui plus de 100 revendeurs sur le territoire français, dont une dizaine d’établissements étoilés. Tous sont venus à lui grâce au média le plus puissant, le bouche-à-oreille. Il forme tous ses revendeurs à la consommation de ses produits, afin d’en faire de véritables connaisseurs et ambassadeurs. Lorsqu’il évoque le jour où la Cheffe Anne-Sophie Pic lui a envoyé un message pour le rencontrer, son visage s’émerveille. Il est également très fier d’avoir intégré le restaurant Nicolas Carro (Hôtel de Carantec), mais aussi celui de Nicolas Conraux, chef de la Butte à Plouider, tous deux en Bretagne, dans le Finistère. Ses créations sont parfois proposées en accord mets et thés, ou bien comme ingrédients d’élaborations culinaires (granités, gelées ou encore desserts comme l’île flottante au thé).
Les nouveaux design ont été créés par Laurie Dyevre, artiste botaniste de la « Voie Sociale Edition »
Émile a ensuite décidé d’aller encore plus loin en lançant sa propre production de thé français, ce qui lui a permis d’entrer dans « la cour des grands ». S’inspirant de la permaculture et de l’agroforesterie, la volonté de celui qui est désormais un « paysan du thé » est de créer, avec d’autres producteurs, une véritable filière qui pourrait se substituer à l’importation.
Dans le Loir-et-Cher, derrière son atelier, on trouve sa pépinière et, un peu plus loin, un ESAT à qui il va confier bientôt l’ensachage et l’expédition de ses produits. Ses plantations sont quant à elles en Bretagne à Saint-Pol-de-Léon, dans la baie de Morlaix – une région au climat particulièrement propice à la culture du thé – ainsi que dans le Perche.
Il se défend de vouloir singer une culture qui n’est pas la sienne et revendique clairement la production d’un thé de terroir avec ses propres méthodes de production et de transformation. En effet, comme pour le vin, les plants de thé prennent véritablement le goût du terroir où ils sont cultivés. Pour aller encore plus loin et renforcer ce goût local, il revisite le Milky oolong, un thé au goût sucré et lacté (que les amateurs comparent souvent à un thé au lait mais sans lait) et que l’on retrouve trop souvent rehaussé d’arômes dans le commerce. Émile fait infuser ses feuilles fraîchement cueillies dans un bain de vapeur de lait de vaches percheronnes ou de chèvres des fossés pour lui donner naturellement un goût tendre et crémeux.
Émile Auté revendique également un mode de préparation spécifique. Ses thés de France nécessitent une maîtrise de l’infusion avec du matériel adapté pour tirer jusqu’à huit infusions successives lors d’une dégustation. Savoir prendre le temps reste la clef pour accéder à cette belle expérience gustative.
Afin de rendre ce thé breton accessible à ceux ne maîtrisant pas tout cet art de la préparation, il vient de créer « Fin Prêt », un thé déjà infusé plus d’une douzaine d’heures à boire chaud ou froid. Du thé blanc, des pommes, des poires et des fraises cultivées en Bretagne : voilà tout ce qui compose ce thé glacé, infusé dans une eau locale sans sucre ajouté. Les étiquettes sont en papier recyclé et les encres sont d’origine végétale. Ce thé sera disponible uniquement en Bretagne chez ses revendeurs et restaurateurs partenaires.
La dernière création en date d’Émile Auté est un pu-erh (une famille de thés fermentés), un thé dont l’affinage a été prolongé dans des barriques réformées de Cognac pour une expérience gustative unique. Ce thé puissant et boisé fait ressortir les fragrances du bois de chêne et, bien sûr, le goût incomparable du cognac – mais sans l’alcool, car les barriques sont vidées de tout liquide avant d’être remplies de feuilles de thé. Un clin d’œil avec son métier d’origine de barman, mais surtout l’occasion d’oser la réconciliation entre deux mondes traditionnels qui ne communiquent jamais en Chine, le monde du thé et celui de l’alcool de riz.
Pour en savoir plus : https://www.emileaute.com/
https://www.instagram.com/emileaute/