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Aujourd’hui, la problématique n’est pas tant de consommer de la viande, mais plutôt d’en consommer trop à l’échelle de la population mondiale. Il nous faudrait réduire (mais pas supprimer) notre consommation de viande, et ce pour des questions climatiques et nutritionnelles.
Les raisons du changement.
C’est un fait : on aime la viande.
Les chiffres l’attestent : 89% des Français déclarent aimer la viande. 79% pensent qu’en manger est bon pour la santé. Et 90% considèrent qu’en manger est compatible avec le bien-être animal.
Cependant, la prise de conscience est là : malgré un ancrage fort dans le patrimoine culturel, 68% pensent qu’en France, on mange trop de viande.
Néanmoins, lorsqu’il s’agit de franchir le pas et de modifier son alimentation, c’est plus compliqué : 24% des Français se disent flexitariens (20% en Europe(1)) et 2,2% disent appartenir à un régime sans viande. 74% se disent omnivores (2).
Et on n’a pas complètement tort.
Sur le plan de la santé, il a été démontré que les flexitariens (ceux qui ont un régime incluant la viande modérément) ont une espérance de vie plus élevée. Plus élevée que ceux qui mangent beaucoup de viande ; que ceux qui excluent la viande au profit du poisson ; plus élevée que les végétariens et les vegans (3).
La consommation de viande en France tendrait-elle vers cet idéal du flexitarisme ? En tout cas, elle baisse régulièrement, de 400 g par semaine en 2010 pour atteindre 300 g par semaine en 2019 (4) (soit ~ 2 à 3 fois par semaine).
Alors, pourquoi se restreindre ?
Pour la Planète, tout d’abord.
Toutes les données nous amènent à une conclusion : la nécessité de transformer notre alimentation. Le Giec, qui a publié les derniers volets de ses analyses le 28 février et le 4 avril 2022, ne sait plus comment aborder les choses pour déclencher la prise de conscience.
L’alimentation (en France) est le 2e poste contributeur aux émissions de gaz à effet de serre (5).
Et au sein du poste « alimentation », la consommation de viande tient la plus grande part, devant le lait et les œufs, ou le poisson par exemple.
Le principe de consommer moins de viande n’est donc ni une utopie, ni un délire végétario-écologique.
Et sur un second plan : pour notre santé.
La viande, et plus particulièrement la viande rouge, est « à réduire » car associée à la consommation d’acides gras saturés, de cholestérol et bien souvent de sel selon les modes de préparation. Cette même viande rouge est par ailleurs classée comme « cancérogène probable » par l’OMS. Le PNNS préconise de « Privilégier la volaille et limiter les autres viandes (porc, bœuf, veau, mouton, agneau, abats) à 500g par semaine. »
Maintenant, constater est une chose. Agir en est une autre. Et quitte à agir, autant le faire avec enthousiasme. On a beau être inquiets, s’il n’y avait pas de solutions, on aurait mis le sujet au placard. Alors consommer moins de viande c’est l’opportunité de :
- Consommer moins mais mieux.
- Chercher d’autres sources de protéines, notamment grâce à l’innovation et aux start-ups.
Si la viande a sa place, comment l’inclure autrement ?
On peut énoncer sans choquer que la viande a sa place dans notre régime alimentaire omnivore. Il nous faut donc tout faire pour lui redonner la bonne place dans notre assiette.
Sommes-nous capables de changer pour un usage plus responsable ?
En 2017, le WWF a profilé un panier alimentaire « standard » vs un panier « responsable » incluant bien la viande.
Cependant, évoluer vers ce type de panier n’est pas chose aisée : 85% des Français n’envisagent pas de changer de régime alimentaire.
Reconnecter les producteurs et les consommateurs
C’est peut-être la révolution sociale qui va nous y conduire, spontanément. En effet, nous devons composer avec le renouvellement des générations. Selon l’Insee, la moitié des agriculteurs français a plus de 50 ans. Ils laisseront 160 000 exploitations d’ici une dizaine d’années. Que faire de ces exploitations ? Je vois deux solutions (combinables entre elles) :
- Soit on produit moins.
- Soit on produit autrement.
Produire et vivre l’exploitation agricole autrement, c’est ce que tend à faire la ferme-école Hectar. Elle forme des agriculteurs aux pratiques agroécologiques et crée une ouverture vers l’innovation. Un exemple de pratique nouvelle ? Une agriculture tournée vers l’autonomie alimentaire et protéique complète des élevages. Aujourd’hui, à titre d’exemple, l’autonomie protéique est de 85 % dans des élevages de vaches à viande. C’est-à-dire que 15 % restants proviennent des céréales, coproduits céréaliers, tourteaux de soja ainsi que les autres tourteaux et concentrés d’après GIS Avenir Elevages.
Enfin, l’actualité récente du conflit ukrainien nous rappelle à quel point il est essentiel d’atteindre une souveraineté alimentaire complète pour conserver une alimentation accessible à tous (accessible physiquement et financièrement), intégrant toute la chaîne de valeur : élevages, cultures et intrants.
Au-delà du Mieux Produire, il nous faut trouver d’autres ressorts pour couvrir nos besoins en protéines.
Diversifier nos sources de protéines sans altérer notre régime alimentaire
Les pressions climatiques, démographiques et nutritionnelles impliquent de trouver des voies de diversification de nos sources de protéines. Diversifier : oui. Mais il faut diversifier en bien.
Coup d’œil sur le marché des protéines alternatives
Le marché mondial des aliments à base de protéines végétales serait multiplié par 3 entre aujourd’hui et 2030 (selon Bloomberg Intelligence). Sachant que nous l’avons estimé à ~4 Mds€ en 2020 (6). Pour la partie Substituts de Viande, il englobe les substituts de 1e, 2e et 3e génération. A cela s’ajoute le marché des viandes de 4e génération. Dans le détail,
- La 1ère génération, la plus classique, est majoritairement composée de produits les moins transformés possibles, dont l’intérêt premier est de reproduire l’apport en protéines (tofu, seitan, tempeh) ;
- La 2ème génération, se distingue de la 1ère par sa ressemblance visuelle avec les produits carnés (boulettes, steaks, escalopes…) ;
- La 3ème génération, combine les apports nutritionnels et la ressemblance visuelle, mais va plus loin en cherchant à concurrencer le goût et la texture. Les produits sont alors appelés « meat-analog »
- Et la 4ème, il s’agit de la culture in vitro de chaire animale.
Aussi, parmi les nouvelles ressources de protéines envisagées, on peut citer les insectes. L’intérêt écologique est validé. Les entreprises s’investissent pour lever les barrières réglementaires avec des autorisations pour l’alimentation humaine en cours d’obtention. Par ailleurs, ces produits doivent encore faire leurs preuves en matière d’acceptabilité en France et dans d’autres régions du monde : 60 % de la population mondiale n’est pas prête à consommer des insectes (7).
Diversifier sans ultra-transformer
Les substituts de protéines animales (surtout de 3ème génération) posent question quant à leur degré de transformation. Leur teneur en additifs, sel, matières grasses est mise en cause. Il ne faut pas changer pour changer : manger plus végétal si on mange beaucoup plus salé et avec plus d’additifs, c’est favoriser la transition environnementale au détriment de la transition nutritionnelle.
Gardons en tête le concept One Health, qui considère que nous n’avons qu’une santé à l’échelle humaine : que notre santé et celle de notre écosystème sont étroitement connectées.
L’innovation clean label et sans viande est en marche, avant même que les autorités n’aient émis de recommandations.
- Du végétal clean : la startup Excellent a développé une formulation de steak végétal bio, sans OGM, sans additifs et dont les qualités organoleptiques sont très proches de celle de la viande de bœuf.
- Des opportunités d’innovation sont également à chercher du côté des produits hybrides : combinant des protéines animales et des protéines végétales, ils répondent à l’idéal d’un ratio protéique 50/50. Mais aussi à une formulation moins contraignante (et qui sait, plus clean) grâce à la présence de chair animale. Le Canadien Maple Leaf, mais aussi certaines MDD ou encore Madrange se sont déjà lancés. Madrange et ses gammes hybrides obtiennent ainsi un Nutri-Score A ou B.
Les entreprises qui travaillent les protéines alternatives sont innombrables. L’association Kind Earth Tech édite le répertoire des entreprises qui travaillent à la création de nouvelles protéines sur newprotein.org. Il s’agit sans doute du répertoire le plus complet, qui utilise 3 clés d’entrées : par produits finis, par marques, par ingrédients.
Notons tout de même que deux levées de fonds de taille ont été clôturées en 2022 :
- Un premier record pour le secteur en janvier 2022 avec La Vie et ses 25 M€. La Vie entend démocratiser les « lardons » végétaux.
- Record aussitôt battu par Umiami qui produit des simili-carne de volaille 100% végétaux. Avec un tour de table de 26,5 M€, l’entreprise compte construire une usine pour une production à grande échelle.
- Très récemment, Planted, spécialiste des protéines végétales, lève 70 millions d’euros et Gourmey s’arme pour cultiver du foie gras artificiel à grande échelle : la start-up française a amassé 48 millions d’euros.
Quelle viabilité pour les substituts de viande ?
A travers cette question, je pense tout d’abord à la viande cellulaire (viande de 4e génération). Sa commercialisation est autorisée dans plusieurs pays sous un statut Novel Food : à Singapour depuis fin 2020 et aux Pays-Bas (uniquement des échantillons) depuis mars 2022.
Elle est séduisante pour libérer les terres agricoles et prendre en compte le bien-être animal. Si les qualités nutritionnelles semblent être maîtrisées, l’intérêt écologique reste à confirmer à cause de la consommation en eau et en énergie du procédé de culture. Le coût est également un sujet.
« Faire » sans les produits transformés, serait-ce possible ?
Sans doute possible mais pas aisé. Pour cela, il faudrait :
- Que les recommandations nutritionnelles officielles (PNNS) évoluent rapidement et en suivant les recommandations du Giec. Sur le modèle de ce qui se fait au Canada par exemple. L’objectif serait alors d’inclure les protéines végétales de façon concrète, en privilégiant celles qui présentent le meilleur équilibre entre valeur nutritionnelle et coût énergétique.
Les grands principes du Guide Alimentaire Canadien, mettant largement en avant les protéines végétales
- Que la population suive ces recommandations. Quand on voit la difficulté à suivre les recommandations énoncées depuis 20 ans sur les fruits et légumes (2/3 des adultes français ne parviennent pas à consommer 5 fruits et légumes par jour (8)), ce n’est pas chose aisée. Toutefois, il y a très certainement matière à faire mieux en travaillant l’éducation alimentaire et nutritionnelle sous un angle positif, interactif et immersif et cela dès le plus jeune âge dans nos écoles.
- Enfin, en développant l’appétence pour le « faire par soi-même », en développement certain grâce aux réseaux sociaux et aux influenceurs. #veggiefood fait l’objet de + d’1,2 million de publications sur Instagram ; #recettesvegan n’en a que 61 242.
Pour conclure,
Il nous faut imaginer une consommation respectueuse des Hommes via des recettes saines, et de la Planète via l’impulsion d’un cercle vertueux du « moins mais mieux », qui devrait devenir notre ligne de conduite.
Il faut donc se résoudre à consommer de la viande différemment : moins de viande c’est certain, mais en la conservant au sein des recommandations nutritionnelles. De meilleure qualité, évidemment, en respectant le bien-être animal et le travail des agriculteurs. Mais aussi au travers de nouvelles habitudes de consommation (apprendre à cuisiner les alternatives végétales par exemple).
Imaginer une consommation de viande raisonnée (1 fois par semaine ?), combinée à des protéines alternatives pour les autres repas (légumineuses, substituts de 2e et 3e génération) semble être une préconisation réaliste et adaptée à court terme.
Comme souvent en matière d’alimentation, la solution n’est pas unique ni extrême, mais la combinaison de différentes approches modérées. Avec en fil conducteur l’éducation, pour permettre à chacun de faire ses choix de manière éclairée.
Finalement, et cela ne s’applique pas uniquement à notre sujet du jour, nous devons rapidement faire preuve de plus de sobriété.
1 Selon une étude menée par l’enseigne Veganz auprès de 2 600 clients en Europe en 2020.
2 Ifop pour FranceAgriMer. Végétariens et flexitariens en France en 2020. Mai 2021.
3 Paul N. Appleby. Am J Clini Nut. Mortality in vegetarians and comparable nonvegetarians in the United Kingdom. 2016 Jan.
4 Interbev, d’après les enquêtes Credoc CCAF 2010, 2013, 2016 et 2019 sur les adultes de 18 ans et plus.
5 MyCO2. Empreinte carbone française moyenne, comment est-elle calculée ? 11 janvier 2022.
6 Nutrikéo, 2020
7 Etude Omnibus réalisée du 15 au 30 juin 2021 auprès de 18 983 personnes dans 17 pays pour YouGov.
8 Selon Interfel, janvier 2021.