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C’est peu de dire qu’il a fait chaud et sec cet été ; en France et dans la quasi-totalité de l’Europe. Certains experts ont d’ailleurs pu écrire que c’est la plus grande sécheresse en Europe depuis 500 ans. Les conséquences sont évidemment multiples et catastrophiques : restrictions d’eau, méga-incendies, inondations dévastatrices à venir… et, bien entendu, grandes difficultés économiques pour les agriculteurs et augmentation importante du prix de l’alimentation. Ce dernier aspect mérite un approfondissement, car tous les aliments ne seront pas logés à la même enseigne.
En orange, les zones en état de sécheresse sévère, et en rouge les zones en état de sécheresse extrème. Futura Sciences @Windy
L’eau douce et accessible sert d’abord à manger !
C’est une erreur de penser que l’eau douce sert à se laver les dents le matin, prendre une douche, tirer la chasse d’eau des toilettes, alimenter le lave-vaisselle ou encore à arroser ses fleurs. En fait, à l’échelle globale, ces utilisations sont tout à fait anecdotiques (ce qui ne doit pas nous empêcher actuellement de veiller à fermer le robinet pendant qu’on se lave les dents, ou de prendre des douches courtes plutôt que de grands bains !). L’eau qui tombe sur notre pays sert en fait essentiellement à faire pousser les plantes, et en particulier donc à manger !
La France reçoit chaque année de l’ordre de 500 milliards de M3 d’eau sous forme de pluie et de neige (500 à 2 000 millimètres d’eau suivant les régions). Environ 60 % s’évapore, soit 300 milliards de M3, soit directement, soit via les plantes qui les ont absorbées pour pousser et transpirer. Restent donc 200 milliards qui se répartissent dans les rivières, les lacs et les nappes phréatiques. On en prélève environ 5,5 milliards pour l’eau potable et environ 3 milliards pour l’irrigation (et autant pour l’industrie).
Les plantes ont été « livrées sans moteur » ! Donc, pour que la sève monte dans la plante, il faut en permanence que cette dernière transpire. Il faut en moyenne une tonne d’eau pour produire un kilo de céréales. Non pas l’eau qui se trouve dans le grain de blé ou le grain de maïs bien sûr, mais l’eau nécessaire pour que la plante transpire, et donc pousse, régule sa température , fait circuler les éléments nutritifs et produise ses grains. Il s’agit évidemment essentiellement d’eau de pluie, et très accessoirement d’eau d’irrigation.
Il faut 140 litres d’eau pour une seule tasse de café !
C’est évidemment encore nettement pire quand on mange ou utilise les seuls fruits des arbres, ou ses feuilles (comme pour le thé) ou seulement ses graines (comme l’amande ou le café). À titre d’exemple, il y a « virtuellement » 200 litres d’eau dans un kilo de tomates, 150 dans un kilo de salade… 2 000 dans un kilo d’avocat et 16 000 dans un kilo de café. Il faut carrément 4 litres d’eau pour produire une seule amande, contre 1,5 litres pour une fraise, et 140 litres pour une seule tasse de café !
Ce qui entre dans notre assiette quotidienne de carnivore européen nécessite 4 tonnes d’eau pour être produit !
Notons que, de façon contre-intuitive, à peu près, toutes les céréales se valent : environ une tonne d’eau pour un kilo de céréales. La différence vient pour l’essentiel du cycle de vie. Le blé est une céréale adaptée à nos climats, car il a besoin surtout d’eau en mars, avril et mai, quand en général il pleut ; nos champs de blé sont donc très peu irrigués (seulement 4 % des surfaces plantées). En revanche, le maïs, lui, a besoin de boire en juin, juillet, août, quand il ne pleut plus beaucoup sous nos latitudes. Quand on passe du blé au maïs, il importe donc de conserver d’une manière ou d’une autre l’eau de pluie du printemps pour la resservir l’été. C’est pourquoi la moitié des 1,5 million d’hectares irriguée dans notre pays sert à produire du maïs (même si au final cela ne concerne que 37 % des surfaces plantées en maïs), ce qui alimente les polémiques en période de sécheresse.
Cette année, la récolte de blé n’a pas été bonne, car les champs de blé, non irrigués pour la plupart, ont été fortement asséchés, puis durement frappés par la canicule. Mais rassurons-nous, du blé il y en aura et on n’est pas près de manquer de pain en France. Les paysans français produisent en effet trois fois plus de blé que ce que les Français mangent : un tiers de la récolte sert à manger, un tiers à nourrir les animaux (poulets, cochons, veaux, etc.), et un tiers est exporté (au Maghreb, en Afrique de l’Ouest et en Europe du Sud principalement). Ce sont d’abord les exportations qui vont souffrir. Et si les prix mondiaux ont autant augmenté, ce n’est pas principalement à cause de la sécheresse, mais à cause de la guerre en Ukraine.
La récolte de pommes de terre (une culture non irriguée) risque d’être historiquement basse ; on parle de 20 à 50 % de baisse. Et là il s’agit d’un produit périssable ; on ne pourra pas se retourner sur la récolte de l’automne 2021. Les frites seront forcément plus courtes et plus chères cet hiver, d’autant plus que le prix de l’huile de cuisson flambe également.
En revanche, partout où on a pu continuer à arroser, le maïs, le tournesol et le colza ont quand même pu se développer. Les légumes en serre ont pu continuer leur cycle de vie, et, chaque fois que possible, on a maintenu l’irrigation pour les légumes de plein champ et les arbres fruitiers, même si ces derniers ont des racines profondes qui les rendent un peu plus indépendants.
L’augmentation du prix des céréales aura surtout des conséquences indirectes
À part le riz, les céréales que nous mangeons sont en général transformées. C’est le cas en particulier du blé et du maïs, que nous mangeons abondamment, mais sous forme de pain, de nouilles, de crêpes, de couscous, de plats cuisinés… et aussi de viandes, de laitages et d’œufs. Le « poids » de la céréale dans le prix de l’aliment final est très divers, ce qui provoque des augmentations de prix plus ou moins fortes. D’autant plus que de nombreux acteurs interviennent entre le champ de blé et l’assiette, et que chacun d’eux va tenter de minimiser ses pertes, ou, mieux, d’augmenter ses marges au passage.
Décomposition du prix d’une baguette.
C’est ainsi qu’on a pu observer que le prix de la baguette de pain n’a pratiquement pas augmenté, alors que celui des pâtes a littéralement flambé, particulièrement celui des produits génériques de premier prix. C’est que la baguette est un produit artisanal alors que la pâte est un produit industriel. Pour produire des baguettes, il a fallu que le boulanger se lève à 2h du matin, paye son commis en heures de nuit, que son épouse passe des heures à les vendre une par une en rendant la monnaie ; il a fallu faire chauffer le four, acheter des emballages, payer un loyer cher, car la boulangerie est justement en centre-ville, etc. Au total, il n’y a que 5 à 8 % de blé dans le prix du pain. Donc la baguette n’a pris « que » 5 à 10 centimes.
En revanche, les nouilles sont des produits complètement industriels. Personne ne se lève à 2h du matin pour faire des nouilles, ce sont les machines qui travaillent presque toutes seules, et en fin de course, l’industriel les vend par tonnes et non pas une par une. Le poids du blé dur dans le prix des nouilles est donc beaucoup plus important, et logiquement le prix de ces dernières a augmenté de 30 à 40 %, principalement les pâtes premiers prix, dont les marges sont serrées.
Il en va de même pour l’élevage. La nourriture du cochon représente 70 % de ses coûts de production. Et qu’est-ce qu’il mange le cochon ? Du blé, du maïs, du soja, du colza, du tournesol : rien que des productions dont les prix ont flambé. Quand on manque de céréales, le prix de la côte de porc ne peut qu’augmenter fortement, et les revenus des éleveurs diminuer dangereusement.
Un poulet de chair a consommé au total de l’ordre de 5,5 kilos d’aliments avant d’aller à l’abattoir ; une poule pondeuse doit manger de l’ordre de 150 grammes tous les jours pour pondre un œuf de 50 à 70 grammes. Le prix de ces aliments va donc continuer à augmenter fortement, d’autant plus que la grippe aviaire s’en mêle cette année.
En matière d’élevage, la situation est fortement aggravée par le fait que cette sécheresse a brûlé les prairies ; dès le mois d’août, il n’y a pratiquement plus d’herbe à manger pour les ruminants, qui ont donc attaqué le foin récolté au printemps. Inutile de préciser qu’il n’y aura donc pas assez de foin pour l’hiver ! Et comme, malheureusement, il n’y aura pas beaucoup sur le marché, puisque cette situation touche quasiment toute l’Europe, beaucoup de vaches vont se mettre à manger précocement du maïs et du soja, aggravant ainsi les tensions sur le marché des céréales et renchérissant le prix du lait et de la viande bovine.
Le prix du ticket de cantine ne peut donc qu’augmenter également… Rappelons qu’en gros, les familles les plus modestes ne paient que les ingrédients, et que les collectivités locales, qui financent déjà tout le reste (les bâtiments, les équipements, les salaires, etc.) ont actuellement des finances trop tendues pour commencer à prendre en charge en plus les augmentations des coûts des approvisionnements. Gageons que beaucoup joueront un peu sur les portions, notamment de viande… mais qu’en France, aucun enfant n’en mourra de faim.
En revanche, la vigne est une plante aux racines très profonde, qui a l’habitude de résister à la sécheresse en allant prélever l’eau à plusieurs mètres de profondeur (en France, il est même carrément interdit de l’irriguer !). La vendange, certes effectuée avec 15 jours ou 3 semaines d’avance, semble devoir être tout à fait correcte, avec du vin qui s’annonce de qualité.
Notons qu’une des composantes essentielles du prix de la nourriture vient de la concentration extrêmement forte de l’aval dans cette filière : on compte 400 000 agriculteurs, 80 000 industriels et artisans agroalimentaires…et seulement 5 acheteurs pour 80 %, de la nourriture des Français. En définitive, le prix du célèbre « panier moyen de la nourriture » dépendra beaucoup plus de la politique des Carrefour, Leclerc, Auchan ou Aldi que de celle des agriculteurs et de leurs coopératives. Et là, il faudra se méfier des effets d’annonce des spécialistes du marketing, comme celui de la chaîne qui annonce bloquer les prix de 100 aliments pendant 100 jours, alors qu’elle en propose 40 000 dans ses rayons…
En résumé, contrairement à ce qui va se passer au Liban, au Burkina Faso ou au Bangladesh, personne ne mourra de faim en France à cause de l’augmentation des prix alimentaires. Malheureusement, dans les pays du Sud, les annonces de « tsunami de la faim » faites par le secrétaire général des Nations unies risquent bien de se produire et il mourra probablement davantage d’africains de la faim causée par la guerre en Ukraine que d’européens des bombardements…
Mais à Roubaix, Aubervilliers ou Saint-Nazaire, si l’on ne meurt pas de faim, on s’étranglera de colère quand beaucoup de gens aux revenus modestes constateront qu’ils ne pourront plus mettre de fromage râpé dans les nouilles de leurs enfants, ou leur servir régulièrement de grosses platées de steaks hachés-frites. Et, comme en période de COVID, les queues risquent de s’allonger cet hiver devant les restaurants du cœur et autres banques alimentaires, ce qui diminuera la popularité du gouvernement.
Voyons néanmoins certaines choses positivement… Cette situation va accélérer la diminution de consommation de viande et de laitage en France et en Europe, qui est elle-même absolument indispensable, à la fois pour des raisons écologiques et pour des raisons sanitaires !
Que faire pour ne pas se retrouver dans la même situation l’année prochaine ?
Beaucoup de Français pensaient que le réchauffement climatique ne concernait pas vraiment les pays tempérés comme notre bel hexagone, bordé par un océan.Ils réalisent maintenant que la sécheresse, ça n’est pas forcément uniquement pour le Sahel, le Maroc ou le sud de l’Espagne.
Mais gardons notre sang-froid : la France n’est pas en voie de désertification et il va continuer à y pleuvoir, sauf que de façon plus violente et plus concentrée, et les étés seront de plus en plus secs. Ce qui urge, c’est donc d’apprendre à mieux économiser et gérer cette ressource qui devient plus saisonnière et plus rare.
Il n’y a pratiquement pas un seul champ en France, qui ne reçoive pas suffisamment d’eau pour y faire pousser du maïs ou du blé ! Le problème principal vient du fait que, lorsqu’il pleut, nous rejetons immédiatement la majorité de l’eau dans les rivières et dans la mer, quitte d’ailleurs à provoquer des inondations, pour après pleurer pour en récupérer pendant l’été. Nous devons donc absolument apprendre à mieux stocker cette eau pour l’utiliser de façon plus harmonieuse sur l’ensemble de l’année, en fonction des besoins.
Il faut probablement arrêter de rêver à de nouveaux barrages et de grandes « bassines » artificielles, qui ne sont plus acceptables socialement. Notons d’ailleurs que les grands barrages historiques comme celui de Serre-Ponçon ont a de plus en plus de mal à se remplir. C’est que, quand l’eau est en plein air et qu’il fait chaud, elle s’évapore à grande vitesse ! Et de toute façon, la disparition maintenant très rapide des glaciers des Alpes et des Pyrénées rend beaucoup plus problématique cette solution.
Les méga-bassines, un sujet très polémique
Des réseaux de mares et retenues collinaires resteront probablement très utiles néanmoins, quand elles se remplissent naturellement avec l’eau de pluie qui ruisselle et aurait sinon terminé sa course dans la rivière et dans la mer ; lorsqu’elles sont remplies en pompant dans les nappes phréatiques, c’est effectivement beaucoup plus problématique. Bref, des travaux d’aménagement hydraulique sont quand même à entreprendre dans beaucoup de régions de France, ce qui ne manquera pas de provoquer d’intenses débats tant ces dossiers sont maintenant devenus idéologiques et symboliques dans une période de grande tension politique.
Mais en fait, et de très loin, le meilleur stockage de l’eau est celui qui s’effectue dans le sol, dans le champ lui-même. Le secret est alors de remplacer l’irrigation par l’élevage de vers de terre. On découvre maintenant que l’activité qui symbolisait l’agriculture depuis des millénaires, le labour, est probablement la principale atteinte à la planète que l’homme ait inventée. Le labour durcit le sol, gèle la biodiversité et la fertilité, provoque une forte érosion, et rend le sol nu inapte à la photosynthèse une bonne partie de l’année. Lorsque le sol est couvert en permanence par de la végétation et protégé par des arbres, la faune du sol se multiplie. En particulier les vers de terre qui passent leur temps à le labourer et à l’attendrir et en particulier à faire des trous verticaux qui seront autant de microcanaux qui permettent à l’eau de pluie de se frayer un chemin à l’intérieur du sol.
Ces mêmes microcanaux permettent d’allonger considérablement la longueur des racines des plantes annuelles, qui, sinon, n’ont pas vraiment le temps de percer le sol. Un blé ou un maïs semé sur une terre durcie par des labours incessants ne parvient à allonger ses racines qu’entre 30 et 50 cm. Sur un sol non labouré depuis des années, ces mêmes racines peuvent descendre à 2 M de profondeur ; ça tombe bien, c’est là qu’on aura soigneusement stocké l’eau de pluie de l’hiver. Ce sont les techniques dites de « conservation des sols » qui sont maintenant très éprouvées. Bref, plus il fait sec, moins il faut labourer, et plus il faut revenir aux haies et à l’agroforesterie !
Le labour appauvrit considérablement la fertilité et la biodiversité des sols
Les plantes annuelles ont la capacité d’allonger fortement leurs racines pour aller chercher elles-mêmes l’humidité et les éléments nutritifs, si toutefois le sol n’est pas préalablement durci par des successions de labours profonds. L’autre idée est évidemment de s’interroger beaucoup plus sérieusement sur ce que l’on va semer l’année prochaine. D’abord, il y a blé et blé et maïs et maïs ! L’essentiel de l’amélioration génétique qui a été faite dans les dernières décennies était tourné vers la productivité, pour produire toujours plus de grains. Souvent, ces gains de productivité ont été obtenus au détriment de la résilience, et ces semences modernes se révèlent beaucoup plus fragiles et en particulier sensibles au temps qu’il fait. Maintenant, on veut du grain de blé et de maïs, même quand il fait chaud, même quand c’est sec, même quand il y a des inondations, quitte à en avoir un peu moins. Et pour ce faire on va semer ensemble diverses variétés complémentaires et aussi plusieurs espèces, en particulier des céréales et des légumineuses qui s’aident mutuellement à pousser.
De plus, le maïs est une plante du tropique humide qui peut être avantageusement remplacée par une plante du tropique sec, comme le sorgo, qui a moins besoin de l’eau l’été et dont le cycle végétatif se rapproche un peu plus de la culture du blé.
Et on va certainement aussi développer beaucoup l’agri-voltaïsme, consistant à cultiver des plantes où élever des animaux en dessous de panneaux solaires mobiles, qui permettent de produire de l’électricité tout en faisant de l’ombre pour protéger les plantes en période de canicule, et de se neutraliser pour laisser passer les rayons solaires quand ils sont moins abondants.
En conclusion, on est loin d’avoir dit notre dernier mot sur la gestion de la chaleur et de l’eau dans notre pays. Beaucoup d’innovations sont encore à faire et beaucoup de transformations agricoles à imaginer, pour qu’on puisse se nourrir, même avec des étés aussi chauds et secs que celui que nous venons de vivre.