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Beena Paradin Migotto est entrepreneure et autrice culinaire. Elle dirige le collectif de conseil Amirita, qui accompagne ses clients sur des sujets d’innovation et de croissance, et écrit des livres autour de la cuisine indienne et des épices. Il y a quelques jours, je publiai dans StripFood un article intitulé « Le fait maison est-il vraiment une tendance lourde ? ». Un contenu qui nous a inspiré une conversation. En voici une synthèse agrémentée de quelques références extérieures pour éclairer le sujet.
Selon Beena, il y a une grande confusion entre la cuisine des Chefs et la cuisine de ménage ou cuisine ménagère. Si la première est de plus en plus starifiée à travers des émissions populaires comme Top Chef ou le Meilleur Pâtissier avec son lot de grands chefs hyper médiatiques, la seconde est en revanche clairement dévalorisée. C’est un peu la traditionnelle « popotte », la cuisine du quotidien.
Si la journaliste gastronomique Emmanuelle Jary a déclaré dans l’Humanité “Top chef a fait beaucoup de mal à la cuisine », pour Beena Paradin, la formule mérite néanmoins un peu de nuance. Elle reconnait en effet que ce traitement élitiste de la cuisine a contribué à nous éloigner de plus en en plus de la cuisine. En revanche, pour elle, dans un contexte de rupture de la transmission familiale de la cuisine et de dévalorisation de la profession, Top Chef a contribué à créer du rêve et du désir.
Alors, pour contribuer à promouvoir cette cuisine ménagère du quotidien, il y aurait selon elle deux actions prioritaires à mettre en place : intégrer la cuisine dès l’école en transmettant des savoirs essentiels comme par exemple « les 10 recettes simples à apprendre pour cuisiner toute l’année » mais aussi resensibiliser à cette cuisine de ménage en enlevant le biais du genre.
En effet, côté cuisine des Chefs, ce sont à 95% des hommes qui sont mis en avant. Selon la journaliste Charlotte Langrand « les femmes ne représentent que 5% des chefs étoilés du célèbre Guide Michelin et elles gagneraient 24% de moins que les hommes » (2). Côté cuisine de ménage, en revanche, cela repose clairement majoritairement sur les femmes. Ce qui pousse d’ailleurs Nicole Darmon à déclarer « Tant que le rapport hommes / femmes ne changera pas, toute recommandation à ‘cuisiner soi-même’ est en réalité une injonction qui repose à plus de 75 % sur les épaules des femmes. »(1)
La cuisine des Chefs.
La cérémonie de remise du Guide Michelin 2023 (© Crédit photo : archives Anne Lacaud / « SUD OUEST)
La cérémonie de remise du Gault&Millau 2024
Sur ce thème, la journaliste Nora Bouazouni déclarait dans une interview pour Télérama « Les hommes apparaissent comme les garants d’un savoir-faire culinaire, d’une tradition, alors que dans la réalité, ce sont les femmes qui ont toujours fait à manger. Mais une femme qui cuisine un bœuf bourguignon pour sa famille, ça n’est pas prestigieux, c’est normal, elle est là pour ça… (…) Ce que décrit très bien Pierre Bourdieu dans La Domination masculine, quand il évoque la distinction entre le cuisinier et la cuisinière. »(3)
D’ailleurs, aujourd’hui, les héroïnes de cette cuisine de ménage ont toutes disparu que ce soit Françoise Bernard ou Ginette Mathiot.
« Bonne femme se dit de préparations évoquant une cuisine mijotée, simple, familiale ou rustique (que l’on retrouve dans les appellations « à la ménagère » et « à la paysanne », souvent servie dans le récipient de cuisson (cocotte, plat, casserole) » supertoinette.com
Vidéo Michel olivier (YouTube)
« Dans les émissions populaires de Michel Olivier ou Joel Robuchon, ce qui était fort c’est qu’on refaisait ensuite chez soi les recettes alors qu’aujourd’hui personne ne refait vraiment une création de Top Chef à la maison » précise Beena. Voire même, renchérit-elle « on regarde aujourd’hui Top Chef en mangeant un burger livré à domicile » ! Un comble.
Livre de cuisine de ma grand-mère.
Pour Beena, des personnalités comme Julie Andrieu, Laurent Mariotte ou dans une moindre mesure Cyril Ligniac (même si les recettes qui se veulent accessibles restent encore trop sophistiquées) prolongeraient quelque par aujourd’hui cet héritage. Des éditions comme « Simplissime » participeraient également à ce que les gens se mettent en cuisine de façon abordable.
Mais afin de renouer avec cette cuisine de ménage en mobilisant aussi les hommes, et si on commençait déjà par lui trouver un nouveau nom à cette cuisine de bonne femme ?
Liens vers sources :
(1) https://www.stripfood.fr/le-fait-maison-est-il-vraiment-une-tendance-lourde/
(2) https://www.europe1.fr/societe/femme-dans-le-monde-culinaire-comment-se-faire-une- place-3953868
(3) https://www.telerama.fr/idees/cuisine-et-sexisme-les-femmes-nont-pas-fini-den-baver,n5181805.php